Depuis tout petit, Nick Park moule, démoule, façonne, polit et bricole des animaux de tous poils : pingouins et moutons, chiens et cyberchiens, poules et poulets, lapinous et lapins-garous… Il aime aussi l’Angleterre, ses tasses de thé et ses autochtones. De tout cela, il a fait Wallace et Gromit, héros pointés à la gloire de la couronne. Dix ans après Un mauvais pantalon, voici enfin Le mystère du lapin-garou, le premier long métrage du fameux chien et de son inventeur de maître. Allez, tous en chœur : « Cheese ! ».
Pourquoi avoir attendu aussi longtemps pour offrir à Wallace et Gromit leur premier vrai film ?
Nick Park : Tout simplement parce que nous n’avions pas trouvé l’histoire ! Et nous ne voulions pas gâcher les personnages dans un long métrage alors que nous ne connaissions rien sur ce format. Il nous fallait des idées fraîches, des personnages nouveaux.
D’où Chicken run ?
Il fallait bien essuyer les plâtres ! (Rires) Nous avons eu l’idée de Chicken run bien avant celle du lapin-garou pour Wallace et Gromit. Nous ne voulions pas faire un long métrage avec Wallace et Gromit juste pour dire que nous l’avions fait.
En quoi est-ce un défi de faire un long métrage avec Wallace et Gromit ?
Avec un long métrage, vous devez garder l’attention du spectateur et donc avoir une histoire assez consistante pour durer dans le temps. Nous avons passé beaucoup de temps sur le scénario.
Combien de temps vous a pris ce film ?
Entre l’idée et la sortie du film ? Presque cinq ans. Nous avons dessiné un storyboard, nous l’avons monté puis nous n’avons tourné que ce dont nous avions vraiment besoin. Ce tournage a pris près de deux ans. Chaque animateur filme trois secondes par jour, soit deux minutes de film par semaine pour une équipe d’une vingtaine d’animateurs.
Comment faites-vous pour garder foi en votre projet et ne pas abandonner en route ?
C’est très dur. (Rires) Au final, vous manquez d’objectivité. C’est dur d’avoir toujours confiance dans l’effet d’un gag quand vous y pensez depuis quatre ans, de résister à l’envie de faire un nouveau tri parmi toutes ces idées que vous trouviez bonnes au départ et de conserver vos aspirations jusqu’au bout.
Comment est née cette histoire de lapin-garou géant ?
L’idée est venue à cause d’un livre pour enfants. J’avais proposé une histoire d’invasion de lapins dans le jardin de Wallace et Gromit mais elle n’avait pas été retenue. Nous avons donc repris cette idée pour la développer en pensant à un film d’horreur. Les courts métrages font toujours référence à des genres cinématographiques, alors avec Steve Box [le co-réalisateur, ndlr], nous avons parlé des films que nous aimions. Il y avait beaucoup de films d’horreur, notamment les vieux films des années trente et quarante, ceux avec les loups-garous. Mais nous voulions faire un film d’horreur comique et absurde, à la Wallace et Gromit, c’est-à-dire sans la chair ni le sang mais avec des lapins et des légumes. C’est le premier film d’horreur végétarien de l’histoire du cinéma. (Rires)
Vous êtes-vous inspiré d’un film d’horreur en particulier ?
Non, nous avons pris le genre en son entier. Une fois l’idée en tête, avec Steve, nous avons évoqué les films d’horreur de la Hammer que nous adorions, ceux avec Lon Chaney Jr. Et nous nous en sommes inspirés pour certains personnages : le flic sceptique, les locaux bizarres, le curé fou… Nous avons commencé à travailler sur ces clichés du film d’horreur et nous les avons intégrés dans le nôtre. Nous avons aussi mis un peu de King Kong, un peu des Dents de la mer avec ce monstre que vous ne voyez pas mais que vous savez être là, rodant sous terre….
Pourquoi Steve Box a-t-il pris le relais de Peter Lord avec qui vous avez fait tous les Wallace et Gromit ?
Après Chicken run, Peter s’est lancé sur d’autres projets. J’avais besoin d’un co-réalisateur pour ce film et Steve me paraissait un bon choix car il a un passé avec Wallace et Gromit. Il s’est occupé du pingouin et de Wendolene dans Un mauvais pantalon.
Steve Box est-il différent de Peter Lord dans le travail ?
Bien sûr… Ils sont différents… Oui… J’imagine que vous voulez connaître ces différences ? (Rires) C’est dur à dire. Ils se ressemblent sur beaucoup de points… Je partage le même humour avec Peter. Mon dieu, cette question est difficile ! Laissez-moi réfléchir… Ils sont différents. Peter a un humour plus grand public. Steve a un regard extérieur intéressant pour Wallace et Gromit. Nous sommes sur la même longueur d’ondes. Il est aussi plus jeune, il a une grande confiance dans la spontanéité et dans les idées qui surgissent tout à coup. C’est bien de l’avoir dans l’équipe. Il a foi dans les vieux Wallace et Gromit. C’était un allié précieux face à Dreamworks [le studio qui produit le film, ndlr].
Pourquoi ? Dreamworks a-t-il voulu changer Wallace et Gromit ?
Non… En fait, ils sont restés très atones pendant toute la production du film. Peut-être parce que c’est un Wallace et Gromit et qu’ils savent que nous savons y faire dans ce domaine. Ils nous ont fait de bonnes critiques. De mauvaises aussi. (Rires) Nous avons tenu compte de certaines mais pas toutes. Il y a donc eu quelques clashes. Mais Jeffrey Katzenberg [patron de Dreamworks, ndlr] est très respectueux. Il nous faisait part de son opinion mais nous avions la liberté d’en tenir compte ou non. (Rires) Cela s’est donc plutôt bien passé.
Dreamworks a-t-il eu son mot à dire pour les voix de Victor Quatermaine (Ralph Fiennes) et de Lady Campanula Tottington (Helen Bonham Carter) ?
Dreamworks voulait au moins deux noms connus aux Etats-Unis dans les rôles principaux. Pour la promotion là-bas. Mais nous avons eu la liberté totale de choisir des acteurs anglais. Ces deux personnages, Victor et Campanula, sont distingués, très haute société, ils n’existent plus vraiment aujourd’hui, ils viennent d’un autre temps, d’un autre monde. Nous voulions donc des voix à l’accent façon vieille BBC ou façon vieux films de guerre anglais. Nous avons pris des extraits de voix de Ralph et de Helen et nous avons fait un screen test en animant les personnages sur ces voix. Et cela fonctionnait. A la perfection.
En parlant de perfection, il se raconte que contrairement à Chicken run, vous avez cherché à l’éviter dans ce Wallace et Gromit en laissant des empreintes de doigts et des éraflures sur les personnages ?
C’est vrai que sur Chicken run nous avons tout fait pour que les personnages soient les plus parfaits possibles dans leur rendu final. Mais c’était trop. Autant faire de l’image de synthèse ! Tout le charme est dans le côté artisanal de la pâte à modeler. Wallace et Gromit viennent de la plasticine. C’est pourquoi ils sont ce qu’ils sont. C’est comme pour le lapin-garou. Nous aurions pu faire sa fourrure en images de synthèse, comme dans Monstres et Cie, mais nous avons voulu la faire à la façon des vieux films de Ray Harryhausen, avec de la fausse fourrure. Cela fait aussi partie du charme et c’est un vrai antidote aux films en images de synthèse.
Utilisez-vous des images de synthèse dans Wallace et Gromit ?
Pour certains éléments comme l’eau, le feu ou encore le brouillard, pour ce que nous ne pouvons pas faire en pâte à modeler. Quand les lapins sont aspirés par le Bun-Vac 6000, ils sont en images de synthèse. Mais vous ne voyez pas la différence. Enfin, si, maintenant que vous le savez. (Rires) Je n’ai rien contre cette technologie, je l’apprécie même quand elle est entre de bonnes mains comme pour Shrek ou Les Indestructible. Je pense juste que la plasticine est mieux pour Wallace et Gromit.
Ne ferez-vous donc jamais un Wallace et Gromit en 3D ?
Jamais de la vie! (Rires) Cela ne leur irait pas. Wallace et Gromit sont nés de la plasticine. Ce n’était pas vraiment un choix au départ, c’est juste arrivé comme ça. Aujourd’hui, leur personnalité et leur âme naissent de la façon dont ils sont animés. Je maîtrise aussi mieux les personnages car je suis en contact direct avec eux, je peux plus facilement les manipuler qu’en 3D. J’aime mettre la main dessus. (Rires)
Animer des personnages en pâte à modeler reste un défi pour vous ou est-ce devenu de la routine ?
Rien de tout cela. C’est une passion. (Sourire)
Essayez-vous de faire passer un message dans votre film, comme dans Chicken run avec la lutte pour la liberté et la recherche d’un monde meilleur?
Dreamworks voulait un de ces messages mais nous ne voulions pas que ce soit aussi évident. Nous voulions éviter ce cliché hollywoodien d’une leçon de morale. Cela ne va pas avec le style de Wallace et Gromit. Dans les films américains, les héros apprennent toujours quelque chose à la fin mais Wallace, lui, n’apprend jamais rien ! Nous voulions donc de la subtilité, un humour plus européen et nous avons trouvé une morale qui fonctionne avec ce film. Gromit a toujours essayé de changer Wallace et le film commence avec Gromit qui veut délivrer Wallace de son obsession pour le fromage…
Ce qui est impossible…
Nous savons tous que c’est impossible. (Rires) Mais cela permet à Gromit d’apprendre qu’il ne faut pas essayer de changer Wallace. Jolie morale, non ? (Sourire)
Ce monde de Wallace et Gromit que vous avez créé, est-ce votre monde idéal?
(Rires) Je ne sais pas. (Rires) Quand j’ai créé Wallace et Gromit, j’étais encore étudiant et je voulais… J’ai toujours aimé les films qui se passent dans des lieux où vous vous sentez bien, où vous êtes heureux d’être là. Ce monde est un peu nostalgique, comme arrêté dans le temps, mais pas totalement dans le passé. Il y existe une certaine réalité avec des problèmes de société. Cela ne fait pas trop dessin animé mais pas trop réel non plus, pas trop dans le passé mais pas trop dans le présent non plus.
Où allez-vous pêcher les inventions de Wallace?
C’est un des éléments les plus amusants de ce boulot. Nous cherchons des machines ridicules qui font des trucs faciles et pour lesquels nous n’avons pas besoin de grandes technologies. Ces machines doivent aussi posséder des éléments d’absurdité et de stupidité, ce qui n’est pas facile à combiner. (Rires) Je pense donc à tout et à n’importe quoi et j’attends que cela me fasse rire. (Rires) Et en un sens, nous véhiculons aussi un message pour en revenir à votre question précédente car nous parsemons le film d’un certain scepticisme face à la technologie. Je suis moi-même un technophobe confirmé.
Avez-vous déjà pensé à la prochaine aventure de Wallace et Gromit?
(Mystérieux) Ah, ah ! (Rires) J’y pense. J’ai plein d’idées mais je ne sais pas celle qui aboutira. Je ne sais pas si ce sera un long ou un court métrage. Mon projet immédiat est de me reposer ! Mais je n’en ai pas fini avec Wallace et Gromit, rassurez-vous.
Article paru dans Ciné Live – N°94 – Octobre 2005
Crédit photos : © Dreamworks Animation SKG / Aardman Animations
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