La légende horrifique de la Llorona – la Pleureuse en espagnol – fait partie du folklore latino-américain. Le fantôme de cette femme pleure la mort par noyade de ses enfants. Vêtue d’une robe blanche, elle hante les rivières et autres points d’eau afin de les retrouver. Elle est de mauvais augure pour quiconque entend ses sanglots. La malédiction de la Dame blanche est réalisé par Michael Chaves, un petit nouveau parrainé par James Wan. Le film sort en salles ce 17 avril.
Michael Chaves s’est fait connaître grâce à la publicité (comme avec le spot « APB Reloaded » pour le jeu vidéo éponyme) tout en développant son talent dans les clips vidéo (« Make Note of Every Sound » de Seven Saturdays ou « Bury a Friend » de Billie Eilish) et dans la fiction avec des courts métrages, dont The Maiden, et la web série Chase Champion. La malédiction de la Dame blanche, produit notamment par James Wan, est son tout premier film. Il doit ensuite enchaîner avec le troisième opus de la franchise des Conjuring. Il aurait également été choisi afin de réaliser prochainement The Reckoning pour Michael Bay. [Cette interview contient des spoilers]
Vous vous êtes fait connaître avec votre court métrage The Maiden (2016) mais La malédiction de la Dame blanche est votre premier long. Comment avez-vous été engagé sur ce projet ?
J’ai commencé par réaliser des publicités et pendant mon temps libre, j’ai fait le court métrage que vous citez, The Maiden. C’est l’histoire d’un agent immobilier qui vend une maison hantée. J’aimais la grande noirceur de cette idée. Ce court était vraiment terrifiant, avec une belle atmosphère. La semaine où je l’ai mis en ligne, j’ai reçu un déferlement d’appels et d’e-mails – je ne m’attendais pas à tant de retours. En moins d’une semaine, j’étais assis avec les gens de New Line. Ils avaient ce script sur la Llorona. Je connaissais la légende car j’ai grandi dans la Californie du Sud et je l’avais déjà entendue. Leur script était génial. Ils le développaient et l’écrivaient depuis un peu plus d’un an et il était déjà très bien avancé. C’est drôle mais cette expérience a été vraiment surréaliste. J’ai toujours était un fan de New Line. J’ai grandi avec leurs films, de Seven aux Griffes de la nuit en passant bien sûr par la franchise Conjuring. J’adore leurs longs métrages. Pendant le rendez-vous, j’ai eu l’impression de plus me répandre de ma passion pour les œuvres de New Line que d’essayer de me vendre. (Rires) Mais quelque part, ça a marché. Je pense qu’ils ont juste aimé mon court métrage, qu’ils ont apprécié le fait qu’il se concentre sur les moments de frayeur et l’atmosphère. Et ils m’ont engagé.
Qu’aimiez-vous dans ce script sur la Llorona ?
Son côté effrayant ! Il contenait déjà quelques-uns des passages iconiques, comme celui de la baignoire qui est une des séquences clés de La malédiction de la Dame blanche. J’aimais cet aspect classique qu’il faisait résonner en moi. Il n’avait pas d’autre ambition que d’être le métrage le plus terrorisant possible. Et j’adore ce genre de réalisation et les différentes expériences qu’il vous fait vivre. C’est pour ça que je vais au cinéma. Il existe tant de raisons qui vous éloignent des salles qu’un bon film d’horreur ou un grand huit cinématographique suffit à donner envie d’y retourner.
Avez-vous apporté des modifications au script afin qu’il corresponde plus à votre vision de l’histoire?
J’ai travaillé sur quelques parties en effet. Depuis le début, je voulais une scène cauchemardesque avec un parapluie. J’ai développé cette idée. Cela me semblait juste iconique. Je pensais pouvoir en faire quelque chose de sombre tout en m’amusant. Je suis très fier du résultat. Le passage dans la voiture a aussi reçu d’excellents retours. Je crois que c’est vraiment la première vraie séquence que j’ai travaillée avec les auteurs. Elle a peu changé au cours de la production, de son écriture jusqu’à son montage. Ce qui est drôle avec le montage, c’est que vous regardez votre œuvre encore et encore. Quelqu’un aurait dû me prévenir ! (Rires) Je viens de la pub et c’est mon premier long métrage ! Personne ne m’a dit que j’allais le regarder 300 fois ! A un moment, après l’avoir vu aussi souvent, le charme n’opère plus et vous commencez à vous demander s’il est si horrifique que ça. Je me souviens qu’une projection test approchait et en revoyant mon travail, j’ai eu le sentiment que seul ce qui se passait dans la voiture ne fonctionnait pas comme il le fallait, que quelque chose n’allait pas, que je devais apporter quelques changements. Nous avons cependant projeté le film tel quel et c’est devenu le moment préféré des spectateurs. Tout le monde, des producteurs aux membres de mon équipe, m’ont alors dit: “Tu n’y touches pas ! Cette séquence reste exactement comme elle est !” C’est bizarre car vous croyez savoir précisément ce qui fonctionne et être capable d’identifier ce qui ne marche pas alors que vous ne le découvrez vraiment qu’une fois que vous commencez à montrer le résultat à un public. Certaines personnes y ont vu une influence de Jurassic Park alors que je n’y ai pas du tout pensé. Ce classique a été évidemment important pour moi en grandissant et, a posteriori, il devait effectivement être dans un coin de ma tête quand nous avons créé cette scène.
Vous dites connaître la légende de la Llorona mais il existe plusieurs versions de son histoire. Pourquoi avoir choisi celle de la femme trompée par son mari et qui noie ses enfants par vengeance ?
Choisir quelle légende prendre était un des plus gros défis que nous avons dû relever. J’avais l’impression que notre but était en fait de trouver la version ultime de cette histoire. Mais elle fait partie du folklore. C’est une tradition orale qui se transmet de génération en génération. Il n’y a donc pas de version ultime, il n’y a pas de texte écrit. Chacun a son point de vue sur la question, sa propre interprétation. Il n’y a ni biographie ni livre sur la Llorona auquel on pouvait se référer. On a donc commencé à interviewer des gens, des grands-mères et même des curanderos, ces guérisseurs religieux. Et tous en faisaient un récit différent ! On pensait que plus on creuserait le sujet et plus on verrait clair, plus on approcherait d’une réponse et de la version ultime. Mais en fait, plus on approfondissait nos recherches et plus on entendait de nouvelles variantes. L’élément qui était cependant constant concernait les enfants et leur noyade. Et ce qui revenait le plus souvent était cette histoire d’infidélité de son mari. Mais dans certaines narrations, elle ne s’en prend pas à ses enfants mais à son époux volage. Elle l’attire à la rivière grâce à sa beauté et se transforme alors en ce terrible monstre. Et même si ça sonne bien, ça n’allait pas avec l’histoire que nous voulions raconter. Au final, la question est toujours la même : Comment offrir le meilleur récit possible et honorer la légende ? Et c’est un conte que l’on récite souvent aux enfants, que les grands-mères racontent à leurs petits-enfants. C’est un avertissement, du genre : « Sois sage ou la Llorona viendra te prendre. » Elle possède cet aspect croquemitaine. Et nous nous sommes donc concentrés sur ça. C’est un fantôme, une créature qui chasse les enfants. C’est une histoire simple et primitive. Et surtout effroyable. Nous voulions faire un film de monstre classique, avec des éléments comme dans Les dents de la mer où ce requin s’en prend sans relâche aux enfants. Donc voilà comment on est arrivé à cette version de la Llorona. En deux mots. (Rires)
Mais contrairement aux Dents de la mer, vous montrez le spectre dès le début.
Exactement. Nous avons beaucoup discuté afin de savoir quand révéler la Llorona. Nous avions une version du script où on la voir beaucoup plus tard dans le récit, une autre où elle porte un voile la plus grande partie du temps. Quand vous commencez à développer les scènes censées faire peur, vous sentez que vous avez besoin de quelque chose d’accrocheur et d’impactant. Avec Les dents de la mer, vous pouvez ne pas montrer le requin, vous pouvez le garder sous l’eau mais vous avez besoin de voir quelqu’un se faire dévorer dans des effusions de sang. Comme vous l’avez vu, mon long métrage n’est pas sanglant. Nous avons été pointilleux à ce sujet et nous avons alors réalisé qu’il fallait donner au public un électrochoc et un bon coup de poing. C’est comme ça qu’on est retombé sur nos pieds et j’espère qu’on a trouvé le compromis idéal pour que le résultat fasse peur sans que les spectateurs aient l’impression du déjà-vu.
Avez-vous une approche différente quand il s’agit de faire peur avec des scènes de jour comme celle de la Llorona et du parapluie ? Car il semble toujours plus facile de terroriser les gens avec des séquences dans la pénombre.
J’adore les frayeurs en plein jour ! J’en aurais tournées plus si j’avais pu. Le problème est que l’on filmait dans un Los Angeles supposé être pluvieux, avec une tempête, et que nous avions un nombre limité de jours de tournage en extérieurs. Mais que ce soit de jour ou de nuit, le but quand il s’agit de faire peur est de toujours prendre le spectateur par surprise, de constamment créer l’imprévu. Dans un sens, on est si conditionné à voir des choses terrifiantes arriver la nuit que de choisir de le faire de jour est d’emblée nettement plus excitant et un plus grand défi à relever car vous devez alors vraiment prendre les gens au dépourvu. C’est comme dans La mort aux trousses et la scène dans le champ de maïs. Hitchcock s’est demandé quel était l’environnement le moins terrifiant possible : un grand espace vide en plein jour. Et rendre effrayant cet environnement qui ne l’est absolument pas à la base est la raison pour laquelle cette séquence et l’imagerie qui s’y rapporte ne vous quittent pas une fois que la lumière se rallume. Hitchcock a su prendre une idée et la présenter sous un angle nouveau.
Vous citez des œuvres de Steven Spielberg et d’Alfred Hitchcock. Quelles ont été vos références principales concernant La malédiction de la Dame blanche ?
L’un des plus évidentes est Poltergeist. Cette référence est apparue très tôt car c’est un classique quand il s’agit de parler d’une famille en état de siège face à une menace surnaturelle. Ensuite, vous avez Les autres et Sixième sens, deux films d’horreur surnaturelle où l’atmosphère est vraiment bien construite. J’y ai définitivement puisé mon inspiration. Et bien sûr les Conjuring. Je suis un grand fan de James Wan depuis longtemps et travailler avec lui a été une sacrée aventure. J’adore ce qu’il a fait avec les Conjuring. Ils sont si classiques et ils capturent vraiment l’expérience du film d’horreur à la fois accessible et très sympa. Je citerais aussi Seven. C’est une inspiration majeure pour moi : j’adore la texture, le look. Même s’il a été tourné dans les années 90 et que son action se situe à une époque moderne, il a un côté intemporel et il fait penser aux années 70.
Justement, pourquoi situer l’action de La malédiction de la Dame blanche dans les années 70 ? Dans le but de faire le lien avec l’univers de Conjuring car on y voit le Père Perez, toujours joué par Tony Amendola, d’Annabelle (2014) ou c’est juste un clin d’œil ?
Nous voulions en effet faire le lien avec Annabelle. Mais au-delà de ça, j’ai toujours aimé les œuvres des années 70 et leur texture. Et puis le personnage d’Anna Garcia [interprété par Linda Cardellini] mène presque une enquête criminelle au début de La malédiction de la Dame blanche qui se prête bien aux années 70. Mais surtout, et j’en ai discuté avec les gens de New Line qui étaient d’accord avec moi, ce métrage possède un mystère en son cœur et nécessite un sentiment de découverte. Il devait donc se situer avant l’ère d’Internet. S’il se passait aujourd’hui, la première chose que les personnages feraient, c’est de lire la page Wikipedia sur la Llorona et le secret serait aussitôt éventé. Les différentes révélations concernant le fantôme font vraiment partie du jeu et c’est donc mieux de rester loin du Web.
Comment avez-vous créé l’aspect visuel de Llorona, son maquillage, son costume ? Il existe tant de films de fantômes qu’il a dû s’avérer difficile d’être unique et différent.
Nous avons fait bon nombre d’itérations différentes du look de la Llorona. Mais tout a commencé avec le casting. Nous avons choisi Marisol Ramirez qui est juste une actrice incroyable. Avant de penser au concept visuel, nous voulions une comédienne qui puisse vraiment exprimer de la férocité et une noirceur sauvage et constante. Avant de faire ce film, j’ai regardé le documentaire sur le making of des Griffes de la nuit. Ce qu’il disait de Robert Englund m’a frappé. Sa performance vous hante, elle vous donne des frissons. Cet acteur a quelque chose de vraiment sombre et de dérangeant et même si je ne veux pas montrer la Llorona comme un Freddy Kruger, cette sensation ne me quitte pas. Ceci étant dit, Marisol est une personne formidable, très drôle et amicale. Sur le plateau, elle pouvait terrifier les enfants et les adultes dans une scène puis lancer une blague pourrie dès qu’elle avait fini de tourner. Il n’en reste pas moins qu’elle est au cœur de la création de ce monstre. Une fois Marisol choisie, on a commencé les essais avec le maquillage. On a enchaîné les différents looks. Il y avait une version où la Llorona était plus une morte-vivante. Cela nous semblait être une bonne idée alors qu’on travaillait sur cette itération, mais quand on l’a vue prendre vraiment forme, on a réalisé que la Llorona n’était définitivement pas un zombie. Et puis, on en revenait toujours à l’imagerie classique de la Llorona, à savoir ce visage blanc fantomatique avec des larmes noires. Simple et classique. La robe a été une autre aventure. Elle est volontairement ambiguë car nous ne voulions pas qu’elle puisse être datée, elle devait être intemporelle tout en possédant un côté vintage. Voilà comment nous avons créé la Llorona.
Pour finir, à quel point le producteur James Wan s’est-il impliqué dans La malédiction de la Dame blanche ?
James était très impliqué. Il a été génial. Il a une telle expérience et une profonde connaissance de la réalisation. C’est un collaborateur incroyable. Quand vous faites de l’improvisation, il y a une règle : vous ne dites jamais “non” mais “oui et”. C’est comme ça que vous inventez les meilleures scènes improvisées. C’est une loi que vous pouvez aussi appliquer quand vous créez une collaboration. Et ça se passe tout le temps comme ça avec James. Vous lui apportez une idée et il en imaginera avec vous la meilleure version qui soit. Mais il n’est pas le seul à avoir été fantastique sur ce film. L’équipe de New Line possède une sorte de brain trust de l’horreur, une version de ce groupe d’experts qui existe chez Pixar pour leurs films d’animation. New Line a la même culture basée sur le soutien et la collaboration.
Article paru dans L’Ecran fantastique – N°407 – Avril 2019
Crédit photos : © Warner Bros
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