Elle est l’héroïne, aux côtés de Karim Leklou, Alice Belaïdi et Zacharie Chasseriaud, de la série Hippocrate de Thomas Lilti, déclinaison de son film éponyme de 2014. Cette fois, le réalisateur et scénariste met en scène trois jeunes internes et un légiste livrés à eux-mêmes dans leur service car leurs médecins titulaires sont en quarantaine. Louise Bourgoin y interprète une interne en dernière année, à l’autorité naturelle et à la vocation chevillée au corps. Un personnage qui, selon elle, lui ressemble finalement beaucoup. La diffusion de la série Hippocrate commence ce 26 novembre sur Canal+.

Louise Bourgoin

Comment décririez-vous votre personnage, Chloé Antovska.

Chloé est une interne en dernière année. Elle a 30 ans et elle veut absolument être réanimatrice. Mais pour une raison particulière qu’elle cache, elle va rester en médecine interne, un service plus calme. Manuel Simon, le chef du service [interprété par Eric Caravaca], avec qui elle sort en secret, est en quarantaine, victime d’une maladie tropicale, et ne peut plus assurer son poste. Elle va donc prendre les rênes de ce service car les autres internes sont plus jeunes. Elle devient la référante mais elle va passer beaucoup de temps au téléphone avec Manuel, à lui demander ce qu’elle doit faire pendant son absence. Dans sa personnalité, Chloé a quelque chose de très jusqu’au-boutisme, elle vit pour son métier, il n’y a que ça qui la passionne. Elle est sur tous les fronts, elle ne s’économise pas. C’est une vocation pour elle, elle ne peut rien faire d’autre. C’est touchant.

Comment avez-vous approché le personnage ?

D’abord, à la lecture, ce qui fait la différence par rapport à un scénario de long métrage – car Hippocrate est ma première vraie expérience dans une série – c’est qu’on lit un personnage développé sur 400 pages et non 100 pages. J’ai tout de suite eu beaucoup d’empathie pour elle. Chloé est très bien développée psychologiquement, il y avait plein de choses à jouer. C’était assez excitant. J’avais l’impression d’aller plus loin avec ce personnage et sur ce projet qui se tourne en six mois et non en deux mois comme un film. Et l’intelligence de Thomas, c’est qu’il s’est entouré de coscénaristes brillants, tout comme lui. C’est vraiment une série chorale et tous nos personnages sont bien développés, cohérents psychologiquement, avec une vraie évolution entre l’épisode 1 et l’épisode 8. J’ai tout de suite aimé le caractère de Chloé à la lecture. On prête plus souvent ce caractère aux hommes. Elle est virile, ce qui me plaît beaucoup. On n’en voit pas assez chez les caractères féminins. Souvent, ce qu’on associe au masculin, c’est le fait d’être agressif ou dirigiste, d’avoir une autorité naturelle, parfois de manquer d’empathie et de douceur. Chloé est tout ça.
Vous reconnaissez-vous dans ce personnage ?

Beaucoup, ce qui m’a même troublée. Je me souviens qu’à la lecture des premiers épisodes, j’avais l’impression qu’on m’avait espionnée. (Rires) C’était très bizarre. J’avais aussi ressenti ça avec le film Je suis un soldat [2015, de Laurent Larivière] : toute de suite une proximité et une très bonne compréhension de la psychologie du personnage. Je ne vais pas dire que je suis comme Chloé mais en tout cas, je la comprends complètement. Elle a aussi parfois une sorte de maladresse dans le relationnel. Elle est un peu en décalage et ça me décrit complètement. (Rires)

Avez-vous suivi une préparation spécifique, notamment pour apprendre les gestes d’un médecin ? Car Thomas Lilti a la réputation d’être très exigeant en matière d’authenticité à l’écran.

Louise Bourgoin et Thomas Lilti

C’est une bénédiction que Thomas soit médecin. Je m’imagine avec un metteur en scène qui traiterait du même sujet sans trop connaître les gestes. Déjà, on se noierait dans des explications d’un consultant extérieur qui pourrait interférer dans la relation directe entre l’acteur et le metteur en scène. C’est une chance folle que ce soit lui. On atteint un degré de concentration extrême car, pour lui, c’est primordial qu’on fasse le bon geste. Quand on arrive à faire le bon geste, le texte sort à la perfection. Ça va avec. On ne peut pas être autre chose qu’un médecin quand on a réussi le bon geste. On y croit complètement et cela nous permet de nous abandonner dans le jeu. Et puis, pour atteindre cette concentration, on débranche notre cerveau et on est beaucoup plus lâché et libéré dans le jeu parce qu’on est occupé à la précision des gestes. Ça n’a pas été facile au début car parfois on a envie de jouer sans faire tel ou tel geste et tout à coup, il y a une bulle d’air dans la seringue. Thomas pouvait nous faire refaire une prise parce qu’il voyait une bulle d’air dans la seringue. Personne ne l’aurait vue à l’écran car c’est trop loin, mais c’est important pour lui. Je me souviens de détails troublants. Dans une scène, je fais l’échographie de mon propre cœur et c’est l’échographie de mon propre cœur qu’on voit à l’écran. Il ne voulait pas mettre une image lambda, ce qui aurait été pourtant plus simple. Mais ce ne pouvait pas être autre chose pour lui. Il a besoin qu’on fasse tout vraiment. C’est très touchant. Il y a quelque chose de l’ordre du religieux, c’est très étrange. Et il est double. Quand il nous explique quelque chose – les cas, les gestes face à un malade – il nous parle comme un médecin et ensuite, plus intimement, comme un metteur en scène. C’était aussi un conseil qu’il nous a donné pour le jeu : être un peu différent quand on est entre soignants et quand on est avec le patient. Avec le patient, on a un ton presque plus professoral, plus distancié.

Avez-vous eu des difficultés avec le vocabulaire médical ?

Au début, oui. J’ai passé des heures à mémoriser « anticorps antiphospholipide » alors que maintenant, c’est hyper facile. C’est drôle. Tout est logique. Et j’ai appris des choses, ça s’est sûr, même à faire une prise de sang. (Rires)

Cette série a-t-elle changé votre regard sur le monde des médecins et des hôpitaux ?

Zacharie Chasseriaud, Louise Bourgoin, Karim Leklou, Alice Belaïdi

Ma demi-sœur est médecin et elle me disait à quel point certains services se faisaient manger par d’autres. Tout ce qui est abordé dans Hippocrate représente son quotidien. Les autres infirmiers de Robert Ballanger [la série s’est tournée principalement dans un bâtiment désaffecté du centre hospitalier Robert Ballanger à Aulnay-sous-Bois (93)] qui viennent nous conseiller et qui jouent avec nous – infirmiers, brancardiers, aide soignants – me disent à quel point ils sont archi speed et qu’ils n’ont pas le temps de manger. Ce qui est presque tabou, c’est le rapport de rentabilité dans l’hôpital, le résultat des rendements qui est antinomique avec l’idée de sauver des vies. Ce qui est incroyable aussi chez Thomas, c’est sa volonté de dire l’hôpital d’une façon très réaliste. Il faut avoir le courage de réinventer l’hôpital car souvent il a été trop fictionné, avec des médecins qui sont des superhéros. Là, on a nos failles, on fait des erreurs, on est fatigué, on oublie tel prélèvement… Il y a beaucoup plus d’erreurs médicales dans Hippocrate que dans Urgences. Et à la fois, il y a cette volonté, mais qu’on retrouve aussi chez les gens de Robert Ballanger, cette abnégation, cet amour du métier qui fait que quoi qu’il arrive tout le monde donne tout pour les patients. C’est extrêmement émouvant.

Est-ce une série à message ?

Elle est forcément politique car on parle de l’Etat, des subventions. Thomas dit toujours qu’il ne prend parti pour rien ni pour personne, qu’il fait des propositions, qu’il n’y a pas de morale. Mais tout l’intérêt vient du fait qu’il aborde aussi des sujets très modernes. C’est aussi intéressant de voir autant les patients que les médecins, de voir l’intimité du patient et du médecin, de voir les envies secrètes des médecins. C’est fou. Il y a des choses qui paraissent presque… Par exemple, il arrive que des médecins n’aient pas de diplôme. L’hôpital n’a pas vérifié et ils n’ont pas de diplôme, comme certains médecins qui viennent de l’étranger. Mais cela ne les empêche pas d’être de bons médecins.

Votre personnage est-il lié à des problématiques bien spécifiques ?

Oui, je m’occupe des « F to M », des « female to male », des femmes qui veulent devenir des hommes. C’est moi qui, au départ, ai demandé à m’en occuper. Quand les chefs de service sont en quarantaine, qu’on doit se partager les secteurs et prendre le relais en tant qu’interne pour s’occuper de tous les patients, je demande à avoir ce service-là. Elle est très attachée à un patient, Lorrain, qui est en transition d’identité. Il a eu une mastectomie et une hystérectomie et il n’est pas prêt à sortir de l’hôpital ni à affronter le monde. C’est une petite chose mais cela dit beaucoup du cinéma de Thomas qui utilise beaucoup les patients comme des patients miroirs. Les patients qu’on reçoit peuvent souvent refléter et faire écho à ce que le médecin vit dans sa vie personnelle. Il y a un vrai échange. Lorrain va me percer à jour, se rendre compte qu’il y a quelque chose qui ne va pas chez moi car il me trouve très agressive. Il trouve que je lui ressemble beaucoup. Avant, il était comme moi, hyper agressif. Il y a une connivence avec certains patients qui est touchante. J’aime beaucoup qu’il y ait moins de séparation entre le patient et le médecin. En plus, on n’a pas vus souvent les F to M à l’écran, c’est un phénomène assez récent. Il n’y a que trois hôpitaux qui ont ce secteur-là en France. C’est intéressant.

Vous dites que c’est votre toute première série. Avez-vous adopté une technique particulière pour vous retrouver dans l’évolution de votre personnage quand, par exemple, vous devez enchaîner une scène de l’épisode 2 avec une scène de l’épisode 7 alors que votre personnage a beaucoup changé entre les deux ?

Il faut tout relire tout le temps sinon on s’y perd. Mais parfois, c’est presque bénéfique de ne pas être complètement dans la continuité dans sa tête, de ne pas tout connaitre parfaitement car quoi qu’il arrive, l’histoire est plus forte que nous les acteurs. Quoiqu’il arrive, si on oublie de jouer un truc, le spectateur va le projeter et encore plus dans les épisodes déjà avancés dans le temps. Enfin, je pense. C’est peut-être une phrase de fainéante. Et puis, il y a une scripte pour ça et Thomas. Mais comme cela me passionne, je relie beaucoup. On est très aidé sur le plateau. Et Thomas dirige extrêmement bien. Il joue avec nous. J’aime bien le regarder au combo [un écran vidéo qui permet au réalisateur de suivre la prise alors qu’elle se tourne et de la revoir aussitôt après qu’elle ait été tournée]. Il fait les mêmes mimiques que nous, il trépigne, c’est presque comme s’il jouait à travers nous. Et il recherche plein de choses. Il ne veut surtout pas qu’on se sente frustré donc il exploite toutes les possibilités et il cherche ce qui est agréable à jouer.

Alice Belaïdi, Karim Leklou, Zacharie Chasseriaud, Louise Bourgoin et Thomas Lilti

Thomas a une mise en scène vraiment très intelligente. Elle n’est pas dans la démonstration, elle est très humble. Le fond épouse la forme, c’est un cinéma design au service de l’histoire et c’est tout. C’est très pur, clair et net et cela me plait beaucoup. Il n’y a pas d’effet. Et trop souvent avec des metteurs en scène, c’est l’un ou l’autre. Soit la mise en scène est géniale mais la direction d’acteur est un peu moins bonne ou l’inverse. Là, les deux sont très fortes et surtout très cohérentes l’une avec l’autre.

Connaissiez-vous le travail de Thomas Lilti avant de travailler avec lui ?

J’ai vu Hippocrate et Médecin de campagne mais je n’ai jamais vu Les yeux bandés, son tout premier film avec Guillaume Depardieu. Il faut que je le voie d’ailleurs. Sa mise en scène était juste mais pas prétentieuse. Cela m’avait marquée. C’est presque mathématique. A chaque fois, il trouve le plan optimal. C’est comme une équation mathématique mais qui va vers la simplicité et l’évidence.

Une scène en particulier vous a marquée ?

Celle où j’ai réanimé quelqu’un pendant toute une journée. Au bout d’un moment, j’y croyais vraiment. Le soir, j’avais un apéro surprise chez moi. Je suis rentrée et les gens m’ont regardée, me demandant ce qu’il s’était passé. J’étais complètement défaite, échevelée, pas démaquillée et j’ai dit : « Je viens de réanimer quelqu’un. » Ils ont tous ri en disant : « Oui, enfin, tu as joué à réanimer quelqu’un. » Et ça m’a troublée car j’avais vraiment eu l’impression de l’avoir fait. Thomas veut tellement qu’on soit au plus près des gestes, il est tellement lui-même médecin et touché personnellement par tout ce qu’il nous fait jouer. On est aussi dans un vrai hôpital. Des fois, on s’y perd un peu. C’est troublant. Surtout quand c’est une seule scène qui dure toute la journée. Et puis avec les électrochocs, le massage cardiaque… Il faut être dans une transe car je réanime ce personnage pendant des heures. A la fin, je ne savais plus où j’habitais.

Etes-vous fan de séries médicales ?

J’adorais Urgences car j‘étais amoureuse du docteur Carter, l’acteur Noah Wyle, parce qu’il rougissait sous les yeux. Il avait quelque chose de délicat qui me plaisait beaucoup. Une sensibilité, un truc à fleur de peau. Mais Urgences, ce n’était pas la même chose, c’était un contexte économique privé alors que dans Hippocrate, on parle de problèmes de subventions, de pénurie de lits, de gens dans les couloirs, etc.

Et êtes-vous fan de séries en général ?

Assez. Je me tiens à peu près au courant. J’adore The Deuce avec Maggie Gyllenhaal et James Franco. C’est vraiment génial. The Looming Tower aussi. The Handmaid’s Tale aussi est vachement bien. J‘avais adoré Top of the Lake de Jane Campion. Il y en a plein que je n’ai pas vues comme The Wire, Les Soprano. J’ai bien aimé le principe de Black Mirror avec les unitaires. Et j’ai aussi été très marquée par Mad Men qui est une de mes séries préférée. J’ai d’ailleurs halluciné d’être prise dans la nouvelle série du showrunner Matthew Weiner, The Romanoffs, mais seulement pour le premier épisode. L’épisode se passe à Paris. Chaque épisode se tourne dans un pays différent et chaque histoire tourne autour des descendants des Romanoffs. C’est malin.

Crédit photos : 31 Juin Films / Canal+