Le scénariste de bande dessinée (Il était une fois en France, Tyler Cross) passe à l’écriture – et à la réalisation – d’une série télé. Si l’univers que Fabien Nury a créé lui est familier, son expérience, elle, a été unique. La diffusion de Guyane commence ce 23 janvier sur Canal+.

Mathieu Spinosi, Issaka Sawadogo et Olivier Rabourdin

La genèse de Guyane

« Canal+ et Bénédicte Lesage de Mascaret Films m’ont appelé pour me proposer de créer une série d’aventure contemporaine en Guyane. Je connaissais la Guyane historique : de Napoléon III à Albert Londres, le bagne, Papillon… Et un peu l’or mais version 1850, contemporaine de la ruée vers l’or en Californie. Et là, il s’agissait d’or illégal, d’orpaillage. Je leur ai proposé de raconter l’histoire d’un site d’orpaillage, de A à Z, de la prospection jusqu’à la possible éradication dudit site en passant par le trafic de l’or qui sort dudit site, du garimpeiros (celui qui creuse) jusqu’au mafieux avéré, Antoine Serra, en passant par les prestataires. Mais tout en racontant notre histoire, il fallait faire découvrir ce monde. Des opérateurs légaux proposent des stages surréalistes à des jeunes de la métropole. J’ai donc créé Vincent Ogier, étudiant de l’Ecole des Mines de Paris qui vient faire son stage. Mais il va changer de bord, passer du légal à l’illégal à la fois du fait des circonstances mais aussi parce qu’il a en lui une envie de danger, une soif d’aventure, voire un instinct criminel. »

La validation des hypothèses

Fabien Nury © William Dupuy / Canal+

« Je suis allé sur place vérifier mes hypothèses, voir si je n’avais pas raconté que des âneries, et j’ai soumis mes premiers textes à des gens qui connaissent mieux cet univers que moi. Cela m’a donné confiance car j’ai vu qu’un grand nombre de mes hypothèses étaient validées sur le terrain. Maintenant, entre la fiction et la réalité… A quel moment saute-t-on dans la fiction et à quel moment reste-t-on fidèle à la réalité ? Quel est le niveau de réalisme de ce que je veux raconter ? La réalité n’est pas forcément crédible. Je ne fais pas de la pure invention mais de l’extrapolation sur des bases réelles. »

L’écriture de série télé

« Un épisode de 52 mn contient autant d’infos et de scènes qu’un album de bande dessinée. De ce point de vue-là, la BD m’a beaucoup aidé à ne pas m’appesantir, à ne pas faire traîner les choses. La BD est un média qui privilégie le rythme comme le fait une série d’aventure. Mais c’est un faux ami aussi. Une case de BD, ce n’est pas un plan. La caméra ne bouge pas dans une case. En BD, le montage est forcément fait avant le tournage pour que le récit tienne en 400 cases. Il y a beaucoup plus de latitude laissée à un réalisateur qu’à un dessinateur. »

Le tournage de Guyane en Guyane

« Six mois en Guyane, ce n’est pas six semaines dans le Lubéron. C’est plus exigeant et plus dur. Ceux qui ont accepté l’aventure sont venus en connaissance de cause. Ils étaient motivés et généreux, ce qui est très important pour ce genre de récit. »

La réalisation du dernier épisode de la saison 1

« Je ne me sentais pas de faire le pilote et je n’avais pas l’expérience. Je voulais faire le dernier. J’adore les fins. Il y a toujours plus d’émotion dans un au revoir que dans un bonjour. Je me suis écrit un épisode que je pensais savoir réaliser, qui ne serait pas facile mais pas dingue non plus, étant conscient de mes forces et faiblesses. J’ai pris sept semaines de préparation au lieu des trois à quatre semaines habituelles. J’en ai aussi profité pour tourner des petites scènes sur des décors orphelins avec une petite équipe de huit personnes pour glaner de la confiance et me roder. Dans la foulée, cela m’a fait gagner deux jours sur le tournage principal. Je devais tenir les délais : déborder d’un seul jour signifiait garder toute le monde pour Noël et le Jour de l’An. Dans mon tout dernier plan, je fais brûler un pickup en pleine nuit au bord d’une piste. Une demi-heure après le clap de fin, il s’est mis à pleuvoir sans discontinuer jusqu’à ce que nous montions dans l’avion pour Paris. C’est la chance du débutant. J’aurais pu ne pas finir. »

Son univers impitoyable

Fabien Nury © Nicola Lo Calzo / M, le magazine du Monde

« Pour une fois, j’ai écrit une histoire contemporaine mais cela m’a fait du bien de ne pas faire de l’historique, cela m’a cassé de la routine. J’avais l’impression de faire quelque chose de familier mais aussi de me renouveler. Guyane est un western de 2016 avec une mine d’or, une petite ville doté d’un hôtel-saloon, de prostituées mais c’est aussi un récit criminel avec un trafic, une économie parallèle et le crime organisé. J’adore les antihéros. Je suis plus proche d’eux que des héros solaires, je suis plus proche de Tony Montana que de Luke Skywalker. Je veux que le spectateur ait peur pour eux mais aussi qu’il ait peur d’eux. Je ne sais pas trop s’ils méritent d’être sauvés ou non… Un peu des deux j’imagine, comme pour la plupart d’entre nous. Au moins, je ne sais pas totalement qui va gagner. Et cela tient le spectateur éveillé. »

L’intérêt des séries télé

« La fiction de genre pour adulte est majoritairement dans les séries télé depuis 15 ans, elle n’est plus au cinéma. La mafia, c’est Les Soprano. Le trafic de drogue, c’est The Wire et Breaking Bad. Toutes ces séries sont ludiques et romanesques et en même temps adultes. Leurs propositions sont plus riches, l’approche narrative est plus complexe et se rapproche du roman. La série donne plus de temps et de place pour développer un récit. Dans la série, on peut mettre toutes les scènes qui seraient coupées dans le film. »

Ses influences cinéma

Olivier Rabourdin et Mathieu Spinosi

« Si tu fais de l’or en Guyane ou ailleurs, tu penses au Trésor de la Sierra Madre. Donc à John Houston et à B. Traven dont le roman est un chef d’œuvre. Si tu fais du dépaysement et de l’aventure à la française, tu penses au Salaire de la peur. Et si tu veux des gars avec des camions qui galèrent dans la jungle, tu penses au remake du Salaire de la peur, The Sorcerer. Si tu fais du western autour de l’or, tu penses au Jardin du diable ou à La colline des potences. Quand tu filmes la jungle, tu penses à Werner Herzog et Terrence Malick. Je suis fan du cinéma des années 40 aux années 70 : Richard Fleischer, Don Siegel, Robert Aldrich… Je suppose que même sans y réfléchir, j’essaye de couper comme eux. »

Crédit photos : © Canal+

 

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