Le réalisateur Wes Ball s’est fait remarquer par la 20th Century Fox grâce à son court métrage Ruin. Le studio a fait le pari fou à l’époque de lui confier le premier film du Labyrinthe, une éventuelle franchise née de l’adaptation d’une série de livres signés James Dashner dont le succès ne s’est jamais démenti auprès des jeunes adultes. L’essai de Wes Ball au long métrage s’est avéré un coup de maître et le metteur en scène débutant s’est lancé alors sur les deux suites avec autant de maîtrise et de savoir-faire.

Le troisième opus de la saga prévu initialement début 2017 arrive sur nos écrans avec un an de retard. La production du Remède mortel a dû s’interrompre pendant près de douze mois suite au grave accident de l’acteur Dylan O’Brien survenu lors du tournage d’une cascade. Le film n’a en rien pâti de cette pause forcée. Wes Ball reste fidèle à la devise qui prétend qu’une suite doit passer à la vitesse supérieure et être plus impressionnante que ce qui la précède. Il nous livre ainsi un épisode plus épique encore que les deux premiers volets. Il nous offre aussi une conclusion parfaite à cette aventure qu’il a commencée il y a cinq ans. Le labyrinthe : Le remède mortel sort en salles ce 7 février.

En octobre 2015, je vous avais rencontré pour la sortie du deuxième épisode, La terre brûlée, et pendant l’interview, je vous avais demandé de me dessiner ce que vous vouliez. Vous aviez choisi un plan du Remède mortel. J’ai eu la surprise de voir qu’il était effectivement dans votre long métrage. C’était près de six mois avant le début du tournage, aviez-vous déjà tout en tête ?

Ce dessin prouve au moins que j’ai de la constance ! (Rires) En tournant La terre brûlée, nous avions déjà une idée de ce que serait Le remède mortel car nous avons approché le deuxième épisode en sachant qu’il y en avait un troisième. Nous avions l’image de cette cité comme étant un but pour les personnages et nous avons construit l’histoire dans ce sens. Mais les circonstances évoluent tout le temps. Quand vous êtes dans le vif du sujet, vous chamboulez toujours tout dans le film, dans le scénario. Il y a toujours un truc qui ne va pas. Mais nous avions en tête ce concept général, cette bande de jeunes qui doit pénétrer en douce dans une ville pour sauver leur ami, dans le style du début du Retour du Jedi avec le sauvetage de Han Solo. Ce n’est pas dans le livre mais nous entendions ajouter des enjeux afin que cette histoire tienne encore plus à cœur aux spectateurs. Nous souhaitions créer un investissement émotionnel personnel dans le voyage de cette bande. Et bien sûr, cette mission de secours n’est que la pointe de l’iceberg. Mais l’idée était déjà là : c’est une synthèse de leur destination. C’est pour eux comme entrer dans le Mordor. (Rires)

Travaillez-vous avec un storyboard ?

Parfois. Cela dépend des séquences. Toute l’équipe s’assoit, nous lançons des idées et je fais quelques dessins que je donne à mon directeur de la photographie, Gyula Pados, et à mes chefs de poste. Généralement, je jette tout quand je me retrouve sur le plateau le jour du tournage parce que rien ne se passe jamais comme prévu. Il y a toujours un peu de magie, un petit incident ou un truc auquel vous n’avez pas pensé et vous finissez par réaliser un plan que vous n’auriez jamais pu anticiper. Ces esquisses sont un bon début vers le film que vous entendez obtenir mais vous devez être prêt à les oublier et à tout recommencer.

Wes Ball

Etes-vous le genre de réalisateur à fonctionner à l’instinct ou plutôt à réfléchir avant d’agir ?

C’est une bonne question. Je pense être probablement plus du genre à suivre mon instinct. J’essaye de ne pas trop analyser les situations, de faire ce que je sens être bien. Gyula Pados et moi essayons d’être dans l’instant, c’est à ce moment-là que les incidents heureux arrivent. Les choses évoluent constamment, vous vous adaptez et vous finissez avec des plans que vous n’attendiez pas. Ceci dit, nous passons un temps infini à penser en avance aux plans. Dès le début, j’essaye de naviguer vers l’émotion que je veux créer chez les spectateurs. C’est mon but : comment créer ce sentiment à ce point de l’histoire ? Je m’aide beaucoup de la musique de John Paesano et cela crée alors une sorte de connexion émotionnelle. Mais j’aime beaucoup être inspiré le jour-même et dans le lieu où nous travaillons. Cependant, comme je le disais, avec ce genre de grosses productions, vous devez être préparés car vous avez des fonds verts à dresser, des décors à construire, des chefs de poste et des centaines de techniciens qui ont besoin de connaître leurs tâches. Vous devez communiquer vos idées des mois à l’avance pour ne pas débarquer sans rien le jour du tournage. Avec ce genre de budget, vous n’avez pas le luxe de deviner.

A quel point le résultat final du Remède mortel correspond à ce que vous aviez envisagé ?

C’est trop tôt pour le dire. Le remède mortel est resté dans ma tête pendant un an, non-stop, et j’ai oublié d’où je suis parti. C’est pourquoi c’était drôle de revoir votre dessin parce qu’il m’a rappelé que j’avais déjà cette idée. (Rires) Je sais en revanche que nous désirions créer une vraie fin à la série. Les deux opus précédents se finissent sur des cliffhangers, il n’y a jamais eu de « Fin ». Cette fois, nous avions besoin d’une grande « Fin » pour dire au revoir aux fans qui sont la raison que ces films existent, pour les remercier d’être allés les voir en salles, de m’avoir soutenu et de m’avoir donné la chance de créer ces deux premiers épisodes. Je pense être proche de ce que j’avais imaginé au début. Mais je suis sûr que dans cinq ou dix ans, quand je reverrai Le remède mortel, je me dirai : « Mais à quoi je pensais ? » (Rires)

Dylan O’Brien

Avez-vous ressenti plus de pression à réaliser ce troisième opus ?

Bonne question. Probablement. Parce que c’est la fin et que le film est plus important. Cette fois, nous avons eu de gros défis à relever. Néanmoins, c’est pareil à chaque projet : vous entendez faire du bon travail, réaliser une œuvre dont toute l’équipe est fière. Nous y avons mis tout notre cœur et avons fait de notre mieux avec les ressources et le temps dont nous disposions. C’est délicat de le montrer aux spectateurs. Vous passez des années à penser à eux, c’est pour eux que vous le faites et quand vous leur dévoilez le résultat, vous êtes terrifié. (Rires) Je ressens peut-être la même pression que pour La terre brûlée. Sur Le labyrinthe, il n‘y avait pas ce poids car personne n’attendait rien du petit nouveau qui faisait son premier long métrage. (Rires) Sur La terre brûlée, je devais égaler le succès du Labyrinthe et sur Le remède mortel, je dois égaler le succès de la série. Mais nous voulons surtout que les fans soient contents.

Qu’est-ce qui vous poussait le plus à réaliser Le remède mortel ?

Une scène à la fin, entre Thomas et Teresa. Nous avons changé des éléments dans La terre brûlée afin de construire certains enjeux dans Le remède mortel et j’adore ce concept de rédemption lié à Teresa. Elle a trahi ses amis dans La terre brûlée. Je souhaitais explorer son point de vue. Le public la déteste, elle est le mal incarné mais j’aime cette idée que tout n’est pas blanc ou noir dans cette histoire. Thomas et Teresa ont peut-être, et bizarrement, tous les deux raison. J’avais un plan bien précis en tête pour cette scène finale, avant même d’avoir un scénario. Ce sera très émouvant pour ceux qui nous suivent depuis ces cinq dernières années. Avec Le remède mortel, je désirais faire revenir ces personnages et apporter une conclusion à leur histoire. Cela et le fait de pouvoir à nouveau changer les choses. Chaque opus possède un style visuel bien à lui et dégage un sentiment particulier. Le remède mortel est un film de casse, une mission. Les Blocards cherchent leur ami et vont tout risquer pour le sauver. Vous avez aussi la dynamique d’une famille séparée qui fait tout pour se retrouver. Vous avez ce suspense et cette tension d’aller dans le repaire de l’ennemi. Je suis assez fier de voir que ces épisodes ne ressemblent pas à des suites mais qu’ils font partie d’un tout. Vous pouvez les regarder l’un après l’autre et vous découvrez une constance dans l’histoire, avec un début, un milieu et une fin. C’est une vraie trilogie. C’est cool.

Vous commencez Le labyrinthe et La terre brûlée par des scènes certes dynamiques mais plutôt calmes comparées à cette scène d’ouverture époustouflante du Remède mortel.

Tous nos débuts sont intenses. Le remède mortel démarre après un saut dans l’avenir car les Blocards ont pris du temps pour planifier cette mission de sauvetage. J’aime l’idée d’ouvrir le film comme un western avec le braquage d’un train. C’est notre façon d’ouvrir tous nos épisodes : nous mettons le spectateur au cœur de l’action pour qu’il la vive de l’intérieur. Mais vous avez raison, c’est une séquence énorme. Elle dure 10 minutes. Cela prépare le spectateur pour la suite. Nous lui donnons aussitôt une dose d’adrénaline et nous le plaçons dans l’histoire avec ses personnages et ses enjeux.

Pouvez-vous parler du processus créatif derrière cette séquence d’ouverture avec le train ?

J’ai fait ce genre de séquences d’action dans les trois opus. Si vous me demandez de l’analyser en détail, cela va être difficile car je ne sais pas toujours pourquoi je fais tel choix plutôt qu’un autre. Des éléments me viennent juste à l’esprit. Le principal pour moi et de faire en sorte que cela paraisse réel aux yeux du spectateur. La tout première réplique du Remède mortel est « On est en retard ». (Rires) Cela reflète ce qui arrive au film, nous sommes en retard d’un an pour notre retour dans les salles. J’aime l’idée du rythme lent au début, de montrer ce monde désolé et tranquille – c’est la terre brûlée – et de mettre au milieu de cette immensité ce minuscule véhicule qui la traverse. Puis nous brisons le silence. Ensuite, nous accélérons peu à peu jusqu’à ce que l’action décolle. Quelque chose arrive mais nous ne savons pas encore quoi jusqu’à ce que nous voyons le train. Après, ce n’est qu’action et adrénaline. Je n’aime pas les montages cut, je n’aime pas trop couper. J’aime laisser le temps d’apprécier un plan. C’est à moi de trouver des compositions de plan et des angles qui permettent de donner de l’énergie et de l’élan tout en m’autorisant de patienter et d’apprécier ce qui se passe. Il n’y a pas beaucoup de coupes dans cette séquence d’ouverture comparé à d’autres œuvres. J’aime l’esthétique d’un long plan sans le couper, sans tricher. Après, à moi de maitriser les changements de perspectives car il s’agit de réintroduire les personnages de cette missions. Brenda et Jorge d’un côté, Thomas et Vince de l’autre, puis les personnages convergent doucement vers le sauvetage de Minho grâce à ce plan de génie.

Quelle importance donnez-vous au son et à la musique pour ce genre de séquence ?

J’ai toujours aimé utiliser le son comme un outil pour aider à raconter une histoire. Il ne fait pas que donner de la couleur à la scène car je l’utilise, en quelque sorte, comme un personnage. Mais tous les réalisateurs font ça. C’est aussi un moyen sensoriel de créer du suspens ou d’éveiller un intérêt. Par exemple, quand vous faites sonner une sorte de klaxon avant de révéler visuellement le train ou quand vous entendez le bruit du Berg [une variation de l’hélicoptère qui appartient à WICKED, ndlr] avant de le voir.

Kaya Scodelario et Patricia Clarkson

J’ai l’impression que les deux premiers épisodes sont plus filmés à hauteur d’homme alors que le troisième a plus de vues aériennes. Me trompe-je ?

Non, c’est vrai. C’est sûr qu’il y a des plans plus larges dans Le remède mortel. D’ailleurs, j’ai fait beaucoup de dessins pour aider à réaliser ces prises de vues car elles ont nécessité une grande préparation. Le labyrinthe ne montre que le point de vue de Thomas, nous ne nous éloignons jamais de sa perspective sur l’histoire. Nous voyons le monde à travers ses yeux, ce qui permet de créer une connexion avec ce personnage. Sur La terre brûlée, nous commençons à briser cette ligne de conduite et nous voyons le point de vue de Brenda et de Jorge. Nous parlons de choses qu’eux seuls peuvent voir. Ce n’est plus la seule perspective de Thomas. Dans Le remède mortel, c’est vraiment la vision d’ensemble. Ce n’est plus l’histoire de Thomas. Nous commençons avec lui mais nous finissons avec le groupe en son entier. Nous montrons les perspectives de Teresa, de WICKED, de Jorge et de Brenda, du reste de la bande. Cela nous donne la licence de faire ces grands plans larges. Nous avons ces plans de paysages immenses qui prouvent combien Thomas et les autres sont insignifiants sur cette terre brûlée. Je voulais en outre montrer qu’ils ne constituent pas une armée, qu’il ne s’agit pas d’une rébellion. Ils appartiennent juste à ce groupe de personnes, à cette petite famille qui essaye d’accomplir la tâche très difficile de sauver un ami. Je souhaitais aussi vraiment que ce troisième film donne l’impression d’être le plus imposant des trois parce que c’est le dernier. Nous désirions que les spectateurs vivent une expérience plus épique. Les plans larges aident en cela.

Les trois réalisations possèdent une certaine constance : ils sont raccords dans les couleurs et les textures par exemple, et pourtant ils donnent l’impression de présenter à chaque fois un monde différent.

Nous avons posé ce concept dès Le labyrinthe quand nous entrons dans le monde de WICKED avec des couleurs plus froides, du verre, des reflets… Dans La terre brûlée aussi, au début, quand ils sont chez WICKED, dans cette pièce où les enfants sont suspendus à des machines et avec l’hologramme d’Ava Paige. C’est le même genre de monde. Derrière Ava Paige, vous pouvez presque voir la ville qui apparait dans Le remède mortel. Quand les fans verront les trois opus l’un après l’autre, ils découvriront une constance de ce monde qui continue de s’étendre au cours des épisodes. Mais vous avez raison, nous montrons différentes saveurs de cet univers. Nous commençons Le labyrinthe dans le béton et la végétation mais la dernière image est celle de la terre brûlée et du sable où nous passons la majorité du temps dans le deuxième film avec quelques indices d’un environnement high tech. Nous finissons La terre brûlée dans les montagnes et quand nous revenons dans Le remède mortel, nous retrouvons évidemment Thomas sur la terre brûlée mais son voyage nous fait découvrir ce monde high tech vu par les yeux de WICKED.

Ki Hong Lee

Il y a toujours ce thème du labyrinthe dans vos décors. Les personnages continuent de courir dans des tunnels, des couloirs…

Absolument. Nous étions résolus à  avoir le même langage visuel que dans les épisodes précédents. Ce thème est très conscient même dans la ville. Cette dernière est cernée de murs pour échapper au virus et à la Braise. Ces murs sont presque identiques à ceux du labyrinthe du premier opus quand nous survolons cette structure circulaire avec l’hélicoptère. Nous avons d’ailleurs presque ce même plan dans Le remède mortel, sauf que ce n’est pas le labyrinthe mais la ville. Nous avons créé les rues de la ville et les couloirs du laboratoire de WICKED comme un labyrinthe. C’est une façon pour nous de véhiculer l’idée que les expériences que les Blocards ont vécus dans Le labyrinthe vont porter leurs fruits dans Le remède mortel. La saga s’appelle The Maze Runner [Le coureur du labyrinthe]. Thomas est ce coureur, ce garçon qui peut naviguer entre ces obstacles de folie pour accomplir ce qu’il croit être juste. Cependant, dans Le remède mortel, c’est plus une idée thématique qu’un labyrinthe littéral et concret dont ils doivent s’échapper.

Un des plans de la ville m’a fait penser à Blade Runner avec les gratte-ciels, la nuit, les lumières et les néons.

Bien ! Parce que j’adore Blade Runner. Je suis influencé par ces œuvres, surtout le nouveau Blade Runner. Je l’adore. J’ai grandi avec ce genre de films, ce n’est donc pas un accident si vous en détectez les influences. Ceci étant dit, nous n’avons pas voulu donner un sentiment trop proche de la science-fiction à la ville. Si vous regardez de près, elle n’est pas trop futuriste. C’est ce à quoi pourrait ressembler une de nos villes dans 20 ans. J’espère que vous avez l’impression d’une ville réelle, esthétiquement moderne mais pas trop fantastique. Nous essayons que ce monde apparaisse vrai. J’ai toujours essayé d’être le plus réaliste possible dans ces épisodes parce que j’ai toujours pensé que c’était nécessaire, même dans Le labyrinthe. Nous avons changé beaucoup d’éléments dans l’adaptation parce qu’ils apparaissaient trop tirés par les cheveux. Comme le fait que Thomas et Teresa se parlent par télépathie ou qu’il existe des labyrinthes holographiques. Nous avons souhaité une approche plus terre à terre afin d’avoir une connexion tangible avec la réalité et adhérer à cette histoire qui est déjà un peu tirée par les cheveux, pour lui donner du poids et du sérieux. J’espère que cela fonctionne en notre faveur. Ce n’est pas un autre monde mais un univers qui n’est pas si éloigné du notre et auquel, j’espère, vous croyez.

Ce sentiment de réel vient aussi du fait que vous filmez surtout dans de vrais décors et non sur des fonds verts.

J’adore les extérieurs. Même si je dois utiliser quelques fonds verts, comme dans cette séquence du train. Les acteurs Dylan O’Brien et Barry Pepper ne se sont jamais retrouvés sur un train en mouvement. Jamais. Quand nous les voyons sur le train en mouvement, tout est en images de synthèse. Ce qui aurait pu être un plan totalement raté. Nous avons tourné en lumière naturelle avec un vrai train sur de vrais rails mais il ne bougeait pas. Nous avons dressé des fonds verts quand nous en avions besoin mais vous voyez la vraie lumière du soleil et de la vraie sueur. Il y a des petits détails dans le décor que l’œil du spectateur repèrera comme étant réels même si beaucoup d’éléments sont numériques. J’évoluais dans le monde des effets visuels avant de réaliser cette saga et je sais quand un plan est raté. C’est pourquoi je veux toujours filmer la réalité le plus possible. Je ne veux pas mettre mes acteurs dans une pièce géante cernée de vert, ce que je n’ai jamais fait sur cet opus. Les fonds verts ne servent que pour étendre les décors. Les effets visuels permettent de compléter des plans qui existent déjà, pas pour en créer de nouveaux de zéro. Cela aide l’équipe des effets visuels à faire un meilleur travail. Si nous avons des composants concrets sur lesquels nous appuyer, nous faisons des choix différents.

Comment trouvez-vous le bon équilibre entre les effets numériques et les effets mécaniques ?

Généralement, c’est une question de coup et de taille. Nous sommes une petite franchise. Le coût des trois films combinés équivaut au budget d’un seul blockbuster. Pour nous, il s’agit de savoir où nous souhaitons mettre notre argent en premier. Ces choix sont pris au moment de la préparation, une étape très importante d’un long métrage. Vous avez le scénario, vous savez ce que demande l’histoire et vous pouvez alors prendre ces décisions. C’est le défi pour tous les chefs de poste, du directeur de la photographie au superviseur des effets spéciaux en passant par le directeur artistique : comment montrer aux spectateurs des situations qu’ils n’ont jamais vues mais qui doivent leur apparaître réelles ?

Dylan O’Brien, Thomas Brodie-Sangster, Kaya Scodelario, Ki Hong Lee, Giancarlo Esposito et Rosa Salazar

Y a-t-il quelque chose que vous vouliez faire mais qui n’a pas abouti ?

Je dirais qu’il y a beaucoup de scènes coupées dans ce film. Comme nous n’avons pas divisé le troisième épisode en deux, nous avions beaucoup à produire en termes de réponses à donner concernant l’histoire et les personnages. Cet opus est plutôt dense. C’est aussi le plus long des trois. Donc il y a beaucoup de scènes géniales qu’il a fallu couper parce que le résultat devait être plus court. Il y a toujours des scènes qui ne fonctionnent pas une fois montées mais il y en a d’autres que j’aurais aimé garder car elles apportent un petit plus à l’histoire et aux personnages. Si Le remède mortel est un succès, j’espère que le studio [20th Century Fox, ndlr] me laissera finir ces scènes pour obtenir une version longue. J’ai coupé 15 minutes.

Dylan O’Brien, Rosa Salazar et Wes Ball

Je croyais que pour vous il n’y avait qu’une version d’un film, que vous étiez contre les director’s cut et autres versions longues.

C’était définitivement le cas sur les deux premiers épisodes. (Rires) Mais sur celui-ci, il y a réellement une possibilité de créer une expérience plus riche, au moins pour les fans, à partir des scènes coupées. Je vais devoir faire attention sur mon prochain projet, dès le scénario, pour que le résultat fasse la durée adéquate. Les studios ne veulent pas sortir une œuvre de 2h30. C’est le côté business qui veut ça. Il y a le côté artistique, le nôtre, celui de ceux qui veulent raconter une bonne histoire, et puis il y a la réalité des faits avec les gens qui ont du mal à aller en salles pour voir des films longs.

Vous avez toujours dit que les films étaient des compromis.

Oui ! Je l’ai découvert dès le premier opus. Du début à la fin, tout est question de compromis. C’est la réalité que connaissent tous les réalisateurs. Il y a toujours un événement qui vous oblige au compromis : un coucher de soleil qui arrive trop vite, le manque d’argent, un décor inutilisable… Le challenge est alors d’obtenir autant que possible ce dont vous rêviez. C’est ce qui est à la fois amusant et rageant dans un film.

Avez-vous eu le final cut sur Le remède mortel ?

Je ne suis pas encore en position de le demander. (Rires) Peut-être sur le prochain. Mais je n’ai pas eu de gros différents avec le studio. Il y a une vraie relation de confiance avec la Fox et ses exécutifs. Ils nous ont laissé réaliser l’épisode que nous voulions. Ils avaient des suggestions, bien sûr, et nous y avons été réceptifs mais au final, ils étaient aussi réceptifs quant à nos préoccupations. Ils étaient prêts aux compromis ou à nous laisser faire ce qui était juste. Je n’ai pas eu le final cut mais ce n’était pas loin.

Thomas Brodie-Sangster, Rosa Salazar, Dylan O’Brien, et Giancarlo Esposito

Avez-vous dû faire quelques changements afin d’obtenir la classification PG-13 ? C’était déjà le cas avec La terre brûlée.

Oui. C’est toujours difficile. Je pense toujours que c’est injuste envers mois. Je ne comprends pas pourquoi j’ai une classification R alors que d’autres films non. Le remède mortel a été certifié R pendant un moment. Ce n’était pas tant les passages effrayants. Sur La terre brûlée, nous avions une imagerie assez terrifiante avec les Fondus. Ce n’est pas le cas sur ce troisième épisode. Il y a une scène où nous avons choisi délibérément de commencer à montrer ces êtres comme de vraies personnes et non plus comme dans monstres. Cela va avec le point de vue de Teresa qui ne les considère pas comme des horreurs mais comme des gens qui ont besoin d’être sauvés. Cela coïncide aussi avec le parcours de Thomas et le fait qu’il découvre qu’un de ses proches est infecté par ce virus que WICKED essaye d’éradiquer. Nous avons donc quelques scènes effrayantes mais la classification s’inquiétait plus de petits détails comme le langage ou la présence de sang. Ce n’était pas aussi méchant cette fois.

Le labyrinthe est l’une des dernières franchises au cinéma du genre « jeune adulte ». Hunger Games, Divergente et consorts ont tiré leur révérence avec plus ou moins de succès. Pensez-vous que la mode est définitivement passée ?

Je ne sais pas. J’ai toujours eu une relation difficile avec cette idée de genre « jeune adulte ». Je n’ai jamais vu ma trilogie comme y appartenant. Pour moi, elle s’apparente plus au concept d’action et d’aventure. Il y a quelques tropes comme le triangle romantique ou autre que nous n’avons pas dans notre saga. Pour être honnête, j’ai toujours pensé que cette étiquette nous avait au contraire toujours été défavorable. Même s’ils se situent aussi dans un monde fantastique, j’ai approché mes longs métrages comme des films d’aventures amusants où vous vous attachez aux personnages et où vous avez des conversations réelles sur des sujets intéressants et importants. Mais vous avez raison, ils appartiennent à ce genre qui a du succès depuis Twilight, même s’ils ne ressemblent en rien à Twilight. Je ne sais pas ce qu’il va arriver ni si nous sommes les derniers. Je crois qu’il y a encore quelques œuvres de ce genre qui se font. Est-ce qu’il existe toujours une demande ? Les spectateurs sont-ils passés à autre chose ? Cette étiquette va-t-elle juste disparaître ? Harry Potter était du genre « jeune adulte », je suppose. Spider-Man aussi, mais personne ne l’a dit. (Rires)

Dylan O’Brien

Pouvez-vous nous parler de l’accident de Dylan O’Brien survenu sur le tournage et de ses conséquences sur la production ?

C’était terrible. Affreux. C’était un des pires moments pour le projet mais aussi pour moi d’un point de vue émotionnel. Dylan est mon ami. J’ai l’impression de l’avoir laissé tomber en autorisant qu’il soit dans une situation où il pouvait être blessé. Je ne pense pas que nous ayons été désinvoltes dans la façon dont nous tournions cette cascade mais une erreur a été commise et personne dans l’équipe ne l’a vue venir. C’est peut-être là où il y a eu un manquement : nous n’avons pas pensé que cela pouvait mal finir. Une suite de différents événements a fait que Dylan a été gravement blessé. Je suis juste reconnaissant que cela n’ait pas été pire. Dylan s’est remis et a désiré finir le film. Le remède mortel aurait pu ne pas exister sans le dévouement du studio, de Dylan et du reste des acteurs envers cette franchise. Avec tout cela, j’ai réévalué mon approche des choses. Je ne sais pas quoi dire de plus. C’était terrible. J’aurais souhaité que cela n’arrive jamais. Ce qu’il faudrait plus retenir est le fait que nous nous sommes relevés de cette épreuve et que nous avons fini Le remède mortel. Nous avons fait face à nos démons un an plus tard. Le retour a été émouvant, pour Dylan bien sûr. Mais nous n’avons rien lâché.

Continuerez-vous à utiliser votre devise « La douleur est éphémère, le film est éternel » ?

Je ne m’en suis pas servie cette fois-ci ! Toutes les douleurs ne sont pas toujours éphémères. Perdre un ami pour un plan n’en vaut pas la peine. Peut-être que j’utiliserai encore cette devise mais ce n’était pas appropriée sur ce projet. Mais elle vient de l’engagement que j’estime important et que les acteurs doivent posséder : ils donnent tout ce qu’ils ont et cela se voit à l’écran. Vous travaillez jusqu’à l’épuisement pour obtenir le meilleur et c’est tout ce que je demande, et c’est tout ce que les acteurs font et Dylan en particulier. En même temps, Dylan m’a fait confiance et a fait confiance à toute l’équipe. Un acteur donne tout ce qu’il a et de notre côté aussi, nous donnons tout. Nous avons dû recréer cette confiance sur ce long métrage. J’ai appris beaucoup sur Le remède mortel.

Avez-vous ressenti une certaine appréhension quand vous avez tourné une nouvelle scène d’action ?

En fait non car, comme je vous l’ai dit, j’ai une nouvelle approche des situations. Il y a ce plan dans la séquence du train, ce plan où Dylan a été blessé et qui est dans le film d’ailleurs… Dylan et moi étions déterminés à le garder et c’est un des plans cools de cet épisode. C’est le seul plan qui a survécu des trois jours de tournage à Vancouver. A notre retour sur le plateau, un an plus tard, nous avons tout retourné et ce d’une façon différente. Jamais nous n’avons été sur un véhicule en mouvement. Jamais. Certains plans de la séquence du train ont ainsi été filmés dans un parking avec le décor tout autour en images de synthèse. C’était le défi à notre retour : comment réaliser ces scènes sans mettre les gens en danger et en rendant l’ensemble aussi réaliste que possible. De toute façon, il y a certains plans que nous ne pouvions pas tourner en prises de vue réelles dans un environnement sécurisé. Nous avons donc utilisé la magie de la technologie pour qu’ils donnent l’impression d’être vrais mais ils sont faux à 100%. Certains de ces plans géniaux m’ont vraiment impressionné et c’est une méthode et une approche que je compte utiliser par la suite. Je n’avais pas d’appréhension mais une approche plus sage et plus prudente.

Qu’avez-vous fait pendent cette année de pause forcée ?

Tout d’abord, je me tenais au courant de l’évolution de la guérison de Dylan, je m’assurais qu’il se remettait. Puis, honnêtement, il s’agissait de garder le film vivant. Comme je vous l’ai dit, cela aurait été si facile pour les gens de dire qu’ils abandonnaient le projet. Je me suis assuré que tout le monde était toujours intéressé, que tous comprenaient pourquoi il fallait continuer et qu’ils étaient prêts à le faire. Ensuite, nous avons pris ce temps pour retravailler le scénario ce qui est toujours positif. Nous avons tout analysé à nouveau afin d’être sûre que tout fonctionnait. Enfin, sur un point de vue plus personnel, j’ai travaillé sur d’autres projets que je ferai peut-être prochainement. Ce hiatus n’était pas idéal mais nous en avons tiré le meilleur. Nous avons fini par aller à Cape Town, en Afrique du Sud, car la météo à Vancouver et dans ses environs était devenue trop froide, ce qui a donné un look plus intéressant à cet opus. La totalité du Remède mortel a été tournée à Cape Town et dans des extérieurs absolument extraordinaires. Il y a des décors spectaculaires dans ce long métrage, rendus encore plus spectaculaires grâce aux effets visuels.

 

Wes Ball et Dylan O’Brien

Cette trilogie constitue vos tout premiers films. Pourriez-vous décrire votre évolution de réalisateur depuis Le labyrinthe ?

Honnêtement, non. Peut-être dans dix ans. Je suis sûr que des gens peuvent voir une évolution dans mes sensibilités et mon savoir-faire. Je ne sais pas si j’ai changé quoi que ce soit dans ma façon de raconter une histoire. Mais je suis plus quelqu’un d’instinctif et je n’analyse pas ce genre de choses. En revanche, je suis certain que mon travail avec la caméra est meilleur sur Le remède mortel que sur Le labyrinthe et La terre brûlée car j’ai plus d’expérience et que je connais le résultat que je peux obtenir. Je suis aussi plus à l’aise dans mon travail avec l’équipe. Dans quelques années, ce serait amusant de revoir ces trois opus l’un après l’autre et d’analyser ma progression sur ces cinq ans de travail. J’essaye en tout cas de devenir un meilleur réalisateur à chacun de mes films et j’espère que cela se voit quelque part. (Rires)

Avez-vous déjà un style ou une signature que vous essayez de créer ?

Rien dont je sois conscient. Il paraît que je montrais déjà un certain style avec mon court métrage, Ruin. Si j’ai un style, il est lié aux placements de la caméra : où la caméra va et comment je montre la progression de l’histoire. Je pense que c’est là que vous voyez l’empreinte d’un réalisateur. Si j’ai une esthétique particulière, elle doit se voir dans mes choix de caméra. Mais je ne veux pas trop réfléchir à mon travail et fouiller dans ma propre tête. Ce n’est jamais un bon endroit où être. (Rires)

Savez-vous déjà quel sera votre prochain film ? Votre nom est associé à Fall of Gods et à Mouse Guard.

Ce sont deux projets à différents stades de leur développement. Honnêtement, je ne sais pas ce que je vais faire. Je n’ai encore jamais été dans cette position. A peine Le labyrinthe en salles, je travaillais déjà sur La terre brûlée et un mois après, je le tournais. Quand La terre brûlée est sorti, j’écrivais déjà Le remède mortel. Il n’y a pas de suite…

Il existe une préquel à adapter au cinéma !

(Rires) J’en ai fini avec Le labyrinthe. Pour moi, c’est la fin du voyage. C’était un sacré plaisir mais j’ai besoin d’aller de l’avant et de m’amuser avec une autre histoire et d’autres gens. Je suis fier du Remède mortel, c’est une bonne fin de trilogie. Je vais me reposer pendant un mois ou deux et voir pour la suite. J’espère faire quelque chose de différent. Fall of Gods est une possibilité, c’est un film comme il n’en existe pas encore. Mouse Guard est tout aussi intéressant car c’est une œuvre entièrement en images de synthèse et j’aurai le contrôle total de la direction artistique. Le résultat sera inattendu, je pense. Le ton est différent. C’est encore du fantastique mais pour une plus large audience. Et il y a quelques projets dont je ne peux pas encore parler mais qui seraient tout aussi cools. Mon prochain long métrage peut être une grosse ou une petite production mais ce sera en tout cas un sujet pour lequel je serai extrêmement enthousiaste car j’ai besoin de ce niveau de détermination absolue pour le porter devant le public. C’est très dur de réaliser un film, c’est très physique et il n’y a vraiment qu’un amour inconditionnel qui peut vous inciter aller jusqu’au bout. C’est pour cela que c’était un réel plaisir de revoir ce dessin, voir que je fais des choix si tôt dans une production. Quand vous dessinez sur un morceau de papier et que deux ans et demi plus tard cela devient une scène et que des millions de gens le voient… C’est une des raisons qui vous font aimer réaliser un film. J’adore cette relation avec le public, lui faire ressentir des émotions, du rire aux larmes en passant par la peur. Il n’y a rien de plus fort que cette expérience.

Wes Ball

Qu’en est-il de l’adaptation en long métrage de votre court, Ruin ? 

C’est aussi une possibilité. J’y ai pensé récemment. J’ai toujours vu Ruin comme mon Star Wars. Pas d’un point de vue des vaisseaux spatiaux ou des batailles intergalactiques mais dans le sens d’un monde fantastique avec une histoire mythique comme dans Star Wars, Harry Potter ou Matrix. Ruin possède un univers gigantesque avec de la magie et un design cool. Ce serait amusant de se plonger dans la création d‘un nouvel univers. J’adore être transporté dans un monde inconnu. Quel que soit le projet, ce sera un film qui permet de s’amuser et de s’évader et qui aura aussi du cœur et une âme.

Article paru dans L’Ecran fantastique – N°394 – Février 2018

Crédit photos : © 20th Century Fox