Le réalisateur et scénariste Michel Hazanavicius n’a pu résister à l’envie de créer de nouvelles aventures pour son espion OSS 117. Il a donc reconstitué son équipe gagnante, avec son co-scénariste Jean-François Halin et son acteur Jean Dujardin, et replongé Hubert Bonisseur de la Bath dans des situations toujours pleines d’originalité, de drôlerie et d’absurdité.

Jean Dujardin est toujours OSS 117

Il est dit qu’il est toujours risqué de faire une suite. Pourquoi vous êtes-vous lancé dans un second OSS 117 ?

Michel Hazanavicius : C’est justement pour cela, parce qu’il y a tout à perdre. D’abord, le personnage appelle à de nouvelles aventures, comme James Bond, ce n’est donc pas une usurpation de faire une nouvelle aventure. Le personnage nous offrait déjà cette légitimité. Il y avait aussi une envie commune de la part du coscénariste Jean-François Halin, de Jean Dujardin, de moi. Nous avions également le sentiment qu’il y avait de la place de le faire, que nous n’avions pas fait le tour du personnage, que nous pouvions continuer. Après, le fait que ce soit super casse-gueule, moi j’aime bien. Quand j’ai dit à mes potes que je commençais à travailler dessus, ils m’ont dit : « Ouais, d’accord mais une suite, c’est toujours moins bien. » J’aime bien l’idée de partir d’entrée en me disant : « Ok, je vais leur montrer qu’ils ont tort ». J’aime bien ce truc un peu revanchard. Il y a un problème qui est posé, donc il faut le résoudre. C’est pas mal, moi j’aime bien. Effectivement, nous aurions pu s’arrêter vu que le premier avait eu une très bonne presse et qu’il avait fait un joli score, nous aurions pu nous arrêter là. Mais nous avions envie d’y aller donc nous y avons été.

Michel Hazanavicius

Pourquoi situer l’histoire 12 ans après le premier épisode, à la fin des années 60. Pour mieux jouer avec toutes les références cinématographiques de l’époque ?

C’est en fait un tout. D’abord, cela permet de changer effectivement la cinématographie mais au départ ce n’est pas vraiment cela. Au départ, c’est quand même de se dire : « Bon, maintenant que nous faisons un n°2, qu’est-ce que nous en faisons ? Qu’est-ce que nous prenons ? Qu’est-ce que nous gardons du n°1 et qu’est-ce que nous chageons ? » Si nous faisons cela 12 ans après, nous pouvons garder le personnage, car, grosso modo, le personnage n’a pas trop changé, mais par contre le monde autour de lui a changé. Son rapport au monde est donc complètement différent. D’abord, il est devenu complètement ringard alors qu’il était très classe. Là, il est un peu à la rue sur tout. Ensuite, les gens lui répondent, ce qui n’était pas le cas dans le n°1. Dans le n°1, il était vraiment le mâle dominant, blanc, occidental, catholique, hétérosexuel. De fait, pour lui, tout le monde lui était inférieur. Et les gens n’osaient pas trop lui répondre parce que c’était les années 50. Là, c’est la fin des années 60 et tout le monde lui renvoie cela à la gueule. Du coup, il est mis en situation d’échec et tout cela est très nouveau pour lui. Cela nous permettait de faire un film très différent, avec des ressorts comiques très différents, de changer complètement son rapport au monde mais tout en respectant le personnage que les gens viennent voir. Et parallèlement, situer l’action 12 ans plus tard, cela me permettait de changer la cinématographie du film, de ne pas faire un film qui soit la copie du premier.

Et pourtant vous garder les mêmes méchants, les nazis.

Oui, parce que d’abord, c’est vraiment marrant les nazis dans les comédies. Moi, j’adore. Mais au-delà de cela, je me suis rendu compte, il n’y a pas si longtemps, que c’est bien d’avoir les nazis comme méchants parce que dans ce rapport purement binaire que nous avons tous, le héros, il peut être le pire qui soit, il sera toujours plus gentil que les nazis. Comme il est contre les nazis, il peut dire et faire ce qu’il veut, il reste quand même un gentil parce qu’il est contre les nazis, et cela, c’est bien. Et puis nous nous sommes dit que nous n’allions pas faire le n°2, mais le n°8 directement. Et nous avons utilisé les vieilles recettes : c’est toujours les nazis les méchants, c’est toujours une fin de mission, ensuite il va voir son patron qui l’envoie dans un autre pays, il arrive à l’aéroport… Tout ce truc de vieilles recettes très James Bond s’est intégré dans l’idée de départ. D’où le fait que ce soit toujours les nazis les méchants.

Mais tout à coup débarquent des catcheurs mexicains.

Oui. Des catcheurs mexicains. C’est bien. (Rires) Cela fait une quinzaine d’années que j’adore les catcheurs mexicains, c’était l’occasion de faire mon coming out à ce sujet. Avec Jean-François Halin, nous nous sommes retrouvés à un moment donné avec une version du scénario qui était cool, qui était bien, qui se déroulait bien mais où il manquait un peu, à mon sens, un truc complètement débile, un élément un peu hétéroclite qui n’a rien à faire là, un truc très pop. J’ai donc amené les catcheurs mexicains. J’en ai fait les sbires des méchants. Et puis j’aime bien. Cela fait une image un peu incongrue mais c’est pas mal, cela permet de faire du catch. C’est complètement débile mais j’avais un peu besoin de cette touche débile.

Comment avez-vous choisi l’actrice qui joue la femme face à OSS 117 ?

En l’occurrence par casting. Il n’y avait pas d’évidence au départ sur une actrice donnée. Vu la structure du film, avec un n°1 et un personnage très au-dessus du casting en terme d’histoire, car c’est vraiment l’histoire de OSS117, il est de toute les scènes, je n’étais pas fou pour avoir une actrice très connue. Je ne voulais pas surcaster le rôle. J’aimais bien l’idée d’avoir Jean Dujardin et autour de lui des acteurs qui sont peut-être un peu moins connus mais qui vont se mettre derrière le personnage. Donc il y a eu un casting et c’est Louise Monot qui a été choisie pour ses qualités d’actrice, pour son physique. C’est elle qui, à mon sens, correspondait le mieux au rôle.

Jean Dujardin et Louise Monot

Et au final, c’est très difficile et elle fait un truc vachement bien, elle arrive à exister. Elle arrive à faire un personnage qui lève toute ambigüité sur ce que nous, fabricants du film, pourrions penser du personnage et en même temps lui laisse la place. Elle doit valider la comédie et en même temps être un peu ferme sur toutes les horreurs que peut dire ce mec. C’est une place très compliquée à avoir. C’est à la fois jouer le clown blanc, tout en étant sexy et tout en gardant le rythme de la comédie… Il faut trouver sa place. Et en plus trouver sa place dans une équipe qui se connaît très bien parce que nous avons le premier épisode. Que ce soit Jean Dujardin mais aussi les techniciens. Et elle s’en est sortie à merveille.

Vous allez assez loin dans le politiquement incorrect. Vous êtes-vous posé des limites ou pensez-vous pouvoir rire de tout ?

Alors, pouvons-nous rire de tout ? (Il sourit) Je n’en sais rien. Je ne suis pas théoricien du rire donc je n’en sais rien. Par contre, je trouve mes films politiquement ultra corrects. Sans faire le malin, je pense que le film n’a aucune ambigüité. Pour moi, le politiquement incorrect, ce n’est pas cela. Et puis, cela me ferait chier d’être incorrect politiquement, je trouve mieux d’être correct. Mais c’est vrai qu’il y a des blagues de sale gosse, et l’idée d’aller dans l’interdit, de transgresser, mais ces blagues sont quand même intégrées. Il y a des mises en situation qui rendent le truc très très clair. Nous ne nous fixons pas de limites en nous disant : « Au-delà de la blague X32 nous n’irons pas plus loin parce que c’est lourd. Avant c’est drôle, après c’est lourd. » Cela ne se passe pas comme ça. C’est du feeling. Je sais, au même titre que Jean-François Halin, au même titre que Jean Dujardin, que nous sommes tellement loin de toute forme de racisme quel qu’il soit, je crois que nous sommes très très clair là-dessus. Je ne flirte pas avec l’antisémitisme du tout, je ne flirte pas avec le racisme du tout. Il y a peut-être des comiques qui font des blagues où à un moment cela va flirter avec cela, et alors, vous ne savez plus trop. Mais nous, nous sommes très très clair. Les limites, c’est de se dire : « Là, nous sommes bien, là nous ne sommes pas bien. » Mais cela se fait comme cela. Tout cela est fait pour faire marrer, il n’y a pas de thèse.

Avez-vous une réplique préférée dans le film ?

Il y a toujours des phrases qui m’ont fait marrer. En fait, j’aime bien quand le personnage dit d’énormes conneries mais pas par provocation, juste parce qu’il n’a aucun discernement, il met tout au même niveau, c’est cela qui me fait rire. Quand il dit : « Chacun doit vaincre ses démons. Vous c’est les nazis, moi c’est le trapèze. » Cela me fait rire parce que le mec n’a aucun discernement. C’est pas antisémite de dire cela, c’est juste que le mec est complètement con, il ne fait pas du tout la part des choses. Cela m’amuse. Mais maintenant, celles qui me font rire, c’est celles qui passent à l’as. Quand je vois le film avec des gens, il y a des phrases qui ne font rire personne, donc forcément j’ai une tendresse pour celles-là. Je me dis : « Bon, celle-là, elle est juste pour moi. » Vous avez alors un rapport plus intime. C’est vrai qu’un mec qui vient de tomber de 50 m d’une cascade, qui est vraisemblablement mort, qui se réveille malgré tout dans un hôpital et qui dit : « Où suis-je ? », moi, j’adore, cela me fait rire. Il n’y a pas plus cliché. « Où suis-je ? » Il faut avoir vachement d’à propos pour se lever et dire « Où suis-je ? ». Mais le fait est que cela ne fait rire personne.

Comment se déroule un tournage d’OSS 117 ? Est-ce sérieux ou une cour d’école ?

C’est les deux dans le sens où pour pouvoir se marrer sur le plateau, pour pouvoir rester dans un truc de jeu, c’est d’abord beaucoup de travail en amont, et des choix. Il y a beaucoup de soin qui est apporté. Nous essayons tous de travailler au mieux, au plus près du film que nous voulons faire donc il n’y a pas de laisser aller. Nous travaillons énormément mais cela ne veut pas dire que nous travaillons forcément dans la souffrance. Dans mon rapport avec les acteurs, et notamment avec Jean Dujardin parce que cela correspond plus à sa manière de se concentrer qui se trouve être aussi la mienne, nous sommes plus dans la déconnade. Maintenant, je respecte quand un acteur ou un technicien cherche à se concentrer dans quelque chose de plus solitaire. Il n’y a aucun problème, je ne force personne à faire le con. Mais c’est vrai qu’entre Jean, moi et Guillaume Schiffman, le directeur de la photographie, ou d’autres chefs de poste, d’autres techniciens, on est plus dans la déconnade. Le tournage ressemble à une grosse colo mais avec comme activité de ramener un film et donc cela veut dire quand même du travail.

Est-ce vrai que la comédie est le genre le plus difficile du cinéma ?

Quand j’aurais fait un drame, je vous dirai mais pour l’instant je n’en sais rien. Je me sens plutôt dans mon élément dans le sens où cela me plaît. Je n’ai aucun problème à faire de la comédie, je trouve cela vachement bien, vachement noble, très utile. C’est une chance inouïe de faire de la comédie. Je n’ai ni mépris pour le drame, ni mépris pour la comédie, ni rien de tout ça. Je suis ravi. Il y a des grands films qui sont des comédies, il y a de la place pour tout le monde. Après, pour avoir écrit aussi un film sérieux… Pour moi, c’est compliqué de faire un film sérieux parce que j’ai l’impression que tout peut être ridiculisé très vite donc il y a une espèce de peur du ridicule qui fait que ce n’est pas évident. Mais je suis plus à l’aise effectivement dans la déconnade.

Si OSS 117 devait parler de vous, de Michel Hazanavicius, que dirait-il de lui ?

Ouh la, la. Je n’en sais rien. Pour moi, OSS 117 n’existe qu’à l’intérieur des films et dans un cadre précis donc je ne sais absolument pas ce qu’il pourrait dire de moi. Enfin, il aurait intérêt à dire un truc gentil parce que c’est moi qui décide de ce qu’il fait. D’abord, je n’en sais rien. Tout à l’heure un mec m’a demandé : « Si OSS 117 avait dû voter aux élections, qui il aurait voté ? ». Je n’en sais rien. Pour moi, il est indissociable de son époque et de ses problématiques d’espion. Le sortir de là et demander les recettes d’OSS 117 ou s’il met des caleçons, je n’en sais rien. C’est un personnage complètement fictif. Par exemple, dans le film, il y a des flashbacks, nous découvrons qu’il a fait du trapèze. C’est vrai qu’avec Jean, nous nous sommes demandé à quelle époque de sa vie il avait bien pu faire du trapèze. Moi, j’ai mon explication mais à la limite tout le monde s’en fout, parce que ce qu’il a été ou ce qu’il pourrait être entre les films, cela n’a pas grand intérêt. Il n’existe vraiment que dans les films.

Avez-vous déjà des idées pour un troisième épisode ?

Mais nous ne savons même pas s’il y aura un troisième épisode. Nous avons quand même quelques petites idées, mais nous ne savons pas si nous allons le faire ou pas. Et si nous décidons de le faire à un moment, ces petites idées pourront changer. Mais nous aimons bien l’idée de le projeter dans d’autres situations.

Crédit photos : © Gaumont