1925. Imhotep était renvoyé à ses ancêtres. 1935. La momie ressuscite dans le British Museum. Mais elle n’est pas la seule créature maléfique à être revenue sur Terre. Il y a aussi le Roi Scorpion. Nouvelle aventure et nouveau défi pour ILM sur Le retour de la momie.

Le Roi Scorpion (The Rock), Imhotep (Arnold Vosloo) et Rick O’Connell (Brendan Fraser)

Comme pour La momie, les effets spéciaux du Retour de la momie ont été confiés à Industrial Light & Magic (ILM). 450 plans du film à travailler. Nous sommes bien loin des 800 plans de Casper et encore plus loin des 2 000 de Star Wars Episode I : La menace fantôme. Et pourtant plus d’une centaine de personnes sont à l’ouvrage. Il ne leur reste qu’un mois avant le tirage des premières copies. La sortie américaine du film est prévue le 4 mai 2001 (le 23 mai en France). Dans beaucoup de bureaux, il y a cette petite pancarte « May the 4th be with you ». Ils y croient. Et il y a de quoi.

Du réel…

Imhotep (en images de synthèse) et Anck-Su-Namun (Patricia Velasquez)

1999. La Momie est à peine sur les écrans américains que déjà son réalisateur Stephen Sommers pense à une suite. A ILM, la machine est lancée. La première étape consiste à créer de nouveaux personnages, d’abord sur le papier. « Le travail sur dessin a commencé bien avant que le film ait reçu le feu vert de la production, raconte Alex Laurant, directeur artistique. Nous discutions avec le réalisateur Stephen Sommers alors que la première version du scénario n’était même pas encore achevée. Mais nous essayions déjà de visualiser les vagues idées qui apparaissaient dans un semblant de scénario afin d’attiser la curiosité créative de Stephen sur les possibilités et surtout afin d’appâter le studio [Universal, NDLR] pour qu’il investisse généreusement. »

Cette fois, Stephen Sommers a mis la barre très haut du point du vue qualité et surtout quantité : quatre fois plus de créatures et plus d’interactions entre les personnages réels et les personnages virtuels que dans le premier épisode. Il est ainsi arrivé avec une batterie de personnages à créer, tous plus fous les uns que les autres : des guerriers d’Anubis (des hommes à tête de chien), des Pygmées momifiés (genre Gremlins) et surtout un des personnages clé : le Roi Scorpion (un homme sur un corps de scorpion). La seule exigence de Stephen Sommers, « que les personnages semblent réels, rapporte Alex Laurant. Ils ne doivent pas ressembler à des acteurs dans des costumes. Le public doit être soufflé. »

« Nous commençons toujours par un brainstroming avec les différents artistes du groupe spécialisé dans le développement des personnages et des créatures, continue Alex Laurant. Chacun y va de son imagination et jette quelques idées sur le papier. Les premières esquisses sont présentées au réalisateur pour un premier feed back. C’est un échange constant d’idées jusqu’à ce que nous trouvions le bon trait de crayon, le bon style du personnage. » Jusqu’à ce que Stephen Sommers soit content. Ce sont d’abord des esquisses en noir et blanc puis, les versions évoluant, des dessins très détaillés (physionomie, physique, vêtements, accessoires, couleurs…) montrant les personnages sous toutes les coutures.

Anubis

Pour les soldats d’Anubis, entièrement virtuels, le réalisateur les veut féroces et sinistres. Chaque détail de leur physionomie compte. Ils vont non seulement se déplacer en hordes en plan large, mais ils seront également vus en gros plan. « Il faut que ce personnage soit anatomiquement exact et surtout viable, remarque Alex Laurant. J’ai travaillé avec Daniel Jeannette, le directeur de l’animation, pour décider de la musculature à lui donner, de la part d’homme et de chien qu’il aura. » « Notre but est que les spectateurs croient que ces personnages existent réellement, comme ils ont pu le croire en voyant les dinosaures de Jurassic Park, avance John Berton, le directeur des effets spéciaux. Sinon, pour nous, cela revient à ne faire qu’un travail d’images de synthèse de plus. Stephen veut des effets spéciaux spectaculaires, mais réels. »

Les dessins sont ensuite transmis aux sculpteurs de la Model Shop – le département où sont créés les modèles en argile – ou aux sculpteurs digitaux – ou sont créés les modèles directement en volume, sur ordinateur. Grâce à eux, ce qui n’est pour le moment que de la 2D deviendra de la 3D, avec les bonnes proportions physiques et les bonnes couleurs.

… au virtuel

La statuette du Roi Scorpion, une fois digitalisée, apparaît sur l’écran de l’ordinateur sous forme d’un volume en fil de fer. Mais plus qu’un fil de fer à colorer et à animer, le Roi Scorpion est un défi à lui tout seul. Dans la séquence d’ouverture, il est un homme. C’est un célèbre catcheur américain, The Rock, qui l’incarne. Après avoir signé un pacte avec les dieux, cet homme finit en homme-scorpion. Le challenge est que ce personnage sous sa forme finale, mi-humain mi-insecte, doit être entièrement en images de synthèse. Comment recréer virtuellement la tête et le torse d’un homme réel que le public connaît ? Le visage ne peut pas être seulement vaguement ressemblant, il doit être celui du Rock. Avec le rendu de ses traits, de sa peau, de ses expressions… Car il est vu en gros plan. « Nous aurions utilisé une partie du corps de l’acteur si une fois dans un costume le résultat avait été réaliste, ce qui n’était pas le cas, regrette presque Alex Laurant. C’est notre tout premier être humain totalement en images de synthèse. » Mais de là à dire que les acteurs sont finis… « Je ne suis pas homme à vouloir remplacer les acteurs, affirme John Berton. Les ordinateurs nous permettent des résultats impressionnants dans ce domaine, grâce à de nouveaux systèmes de calculs mathématiques, mais notre monde n’est pas défini de cette façon. Les émotions humaines, les subtilités d’un visage, certaines actions sont au-delà d’un simple calcul. Cela ne veut pas dire que nous ne pouvons pas nous en approcher pour un film. C’est utile pour créer un personnage qui exécute des actions humainement irréalisables. Mais si c’est pour créer un personnage qui se borne à dire quelques répliques, quel intérêt ? Il n’y a rien de mieux qu’un acteur réel. »

Imhotep (Arnold Vosloo) et le Roi Scorpion (en images de synthèse)

Miguel Fuertes, responsable de l’animation des personnages virtuels, a eu la charge de l’animation du Roi Scorpion. Sa motivation : les menaces du Rock si le résultat n’était pas concluant. Il garde sur son bureau des photos du visage du catcheur et de ses expressions faciales. « Pour approcher la réalité au plus près, il y a trois éléments à respecter : le look du personnage (sa peau, sa couleur) ; ses déplacements, ses mouvements (en fonction des éléments réels du décor) et ses poses (je lui ai donné une attitude de Matador espagnol) ; et son jeu (les expressions que je lui donne). Il doit avoir l’air réel, bouger d’une façon réelle et jouer d’une façon réelle. Si un de ses trois éléments est faussé, le public n’y croira pas. »

« Grâce aux dernières avancées technologiques, nous pouvons mettre beaucoup plus de réalisme sur un personnage, affirme Alex Laurant. Montrer les mouvements des muscles sous la peau, les rides, les tissus et les cheveux dans le vent. Nous n’en sommes pas encore à tout maîtriser parfaitement, mais nous y arrivons. Ce qui nous limite à chaque fois ? C’est le temps ou l’argent. » D’où parfois l’intérêt d’une suite et de la possibilité de réutiliser les modèles en images de synthèse, comme ceux d’Imhotep créés pour le premier volet. « Mais pour le visage, remarque Daniel Jeannette, nous lui avons fait un petit lifting car dans cet épisode, nous voulons qu’Imhotep ressemble plus à Arnold Vosloo qu’à un monstre. Nous essayons aussi de faire ressortir les attitudes de l’acteur dans le personnage grâce à de nouvelles prises de vue en motion capture et à un logiciel de composition en temps réel. Quand nous filmons Arnold Vosloo dans une salle vide avec les capteurs sur lui, nous pouvons immédiatement obtenir l’image de synthèse sur un moniteur. Nous voyons ainsi l’acteur se déplacer dans le décor final et avec les personnages en interaction avec lui alors que ceux-ci ont été filmés des jours auparavant. Ce système permet au comédien de tout de suite corriger ses mouvements face à une caméra préprogrammée. »

Quand le réel affronte le virtuel

Les Pygmées

La motion capture est également utilisé pour les Pygmées, créés directement sur ordinateur à partir des dessins. Si pour les déplacements du Roi Scorpion, les animateurs ont été chercher des scorpions, l’animatrice Marjolaine Tremblay s’est contentée de documentaires qu’elle passent en boucle sur son ordinateur. « Un de mes collègues a joué les singes-araignées pour l’étape du motion capture. Je voulais mes Pygmées bondissants, prêts à frapper, méchants. Ce sont de petits êtres vicieux. Ils se déplacent en petits groupes dans la jungle. J’ai créé une bibliothèque sur mon ordinateur avec leurs différentes formes, tailles, expressions faciales, étapes de momification. Je vais y puiser quand je veux un corps ou une mimique particulière. » A un moment, ces anti-Ewoks par excellence sont une centaine à attaquer les héros (réels ceux-là).

Les interactions entre personnages virtuels et personnages réels sont aujourd’hui un classique des effets visuels mais chaque rencontre reste un miracle de technologie. Dans Le retour de la momie, il y a, par exemple, un affrontement spectaculaire entre les guerriers d’Anubis et l’armée de Medjais (des soldats à cheval). En tout, 60 000 personnages. « Pour cette scène, raconte John Berton, nous avons envoyé des gars mesurer le désert et déterminer des carrés sur le sable. Puis nous avons pris quelques cavaliers et nous les avons filmés dans un carré. Puis nous les avons faits passer de carré en carré. A la composition, nous les avons assemblés en armée de plusieurs milliers. Mais leurs adversaires sont les guerriers d’Anubis, des personnages qui n’existent pas dans la réalité. Pour filmer l’affrontement, nous avons donc engagé des figurants, nous les avons vêtus de costumes bleus et placés dans le désert avec des pancartes pour donner une indication de taille – les guerriers d’Anubis font 2,70 m de haut – aux cavaliers en face qui doivent se battre contre eux. Au final, les figurants ont été remplacés par 30 000 guerriers d’Anubis virtuels. Et sur l’écran, ils se battent contre 30 000 Medjais réels. » Enfin presque.

Imhotep en mur d’eau

A côté de ces effets spéciaux classiques se trouvent toujours de nouvelles avancées technologiques significatives. Outre la création de personnages humains virtuels de plus en plus réalistes, ILM sait désormais mieux créer et modeler le sable et l’eau. Dans Le retour de la momie, les programmateurs ont dû recréer le visage d’Imhotep sous forme d’un mur d’eau, comme ils avaient si bien su le faire avec la tempête de sable du premier épisode. Sauf que cette fois, ils ont su non seulement améliorer la technologie inventée pour les vagues d’En pleine tempête – dont les effets ont été réalisés par ILM – mais en plus ils disposent aujourd’hui de plus d’expérience dans le mode de calcul et des ordinateurs plus performants. Ils ont également été faire un petit tour du côté d’Abyss et du fameux pseudopod – lui aussi réalisé par ILM – pour en apprendre un peu plus sur l’eau, son rendu et les visages. « Nous nous appuyons toujours sur ce que nous avons fait auparavant, reconnaît John Berton. Nous avons donc été discuter avec Dennis Muren, le responsable des effets spéciaux sur Abyss, et avec ses programmateurs. Beaucoup d’artistes d’En pleine tempête ont également travaillé avec nous ainsi que ceux qui avaient travaillé sur la tempête de sable de La momie. Quand nous voulons créer un effet, nous pensons avant tout à tous les films qui pourraient nous aider à démarrer. Ensuite, nous cherchons à faire mieux. »

« Il n’y a rien que nous ne pouvons pas essayer de faire, affirme John Berton. Nous restons cependant liés à l’imagination du réalisateur, même si, quand nous commençons un film, il y a toujours quelqu’un pour dire qu’il y a trop de plans, que nous ne savons pas le faire, que cela va être trop dur, voire impossible. Puis nous y allons petit à petit, nous ajoutons ceci, nous modifions cela et finalement, nous nous apercevons que nous avons réussi à faire ce que nous pensions être impossible. Et plus encore. Alors, que pouvons-nous faire ? Je ne sais pas. Je crois que nous pouvons tout faire. » ILM le prouve de film en film.

Article paru dans Ciné Live – N°46 – Mai 2001

Crédit photos : © Universal / ILM

 

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