Le nouveau film d’animation de Pixar s’invite dans la tête d’une enfant de 11 ans. Un voyage intérieur qui ne manque ni d’imagination ni de créativité. Ni d’émotions.

INSIDE OUT

Un film est toujours fascinant à construire. Plus encore un film d’animation où tout est créé de zéro, où chaque détail compte, où rien n’existe par hasard. Cela paraît déjà difficile quand il s’agit d’un univers connu comme la chambre d’un enfant ou la cuisine d’un restaurant mais quand l’aventure se passe dans l’esprit d’une ado de 11 ans… Tout est à imaginer et à inventer. Le travail est alors titanesque dans la conception artistique car le design physique de l’esprit humain reste un mystère même pour les meilleurs neuroscientifiques. C’est pourtant le défi relevé par les génies de Pixar, le réalisateur Pete Docter en tête.

L’esprit vu par Pixar

Pete Docter a imaginé Vice-versa après avoir vu sa petite fille joyeuse, Ellie, devenir une adolescente maussade. « On a parlé à des psychologues et des neurologues pour comprendre ce qui peut se passer dans la tête d’un être humain mais tous ont des théories différentes, raconte le réalisateur. Alors on a tout inventé. Certains éléments ne tiendraient pas devant la rigueur scientifique. » Il ne souhaitait pas montrer l’anatomie d’un cerveau avec ses bouts de cervelet et ses vaisseaux sanguins mais un esprit avec toutes les notions abstraites qu’il implique. Il a imaginé un vaste territoire bordé de falaises et matérialisé les émotions, les souvenirs, la personnalité et autres concepts métaphysiques.

La production a commencé par établir les règles visuelles générales des deux mondes. Vice-versa raconte en effet deux histoires parallèles qui s’affectent l’une l’autre : la première, celle de l’ado Riley, se passe dans le monde réel alors que la seconde se passe dans l’esprit de Riley. « Plus les deux histoires sont connectées l’une à l’autre plus chacune d’elle est intéressante, confie Pete Docter. Le film passant de l’une à l’autre et donc d’un monde à l’autre, il fallait créer deux univers distincts pour que le spectateur sache tout de suite où il est. »

INSIDE OUTLe design du monde réel, qui tourne autour de Riley, de ses parents et de leur vie à San Francisco, est ainsi plus réaliste. Ses images font apparaître des surfaces dures, des couleurs ternes, peu de contrastes, une hyper texturation et une composition complexe. Le design du monde de l’esprit de Riley est, quant à lui, plus naturaliste. Il est fait de surfaces douces, de couleurs hautement saturées, vives et intenses, de forts contrastes, de translucidité et de motifs organiques et caricaturaux. Le directeur artistique Ralph Eggleston a étudié la macrophotographie de neurones pour aboutir à cette idée de saturation des couleurs et déterminé que l’esprit est fait d’énergie et qu’il absorbe, reflète et réfracte la lumière. A mesure que l’histoire se déroule et que Riley devient renfermée, ce monde de l’esprit perd son intensité et sa luminosité pour devenir plus sombre, plus triste.

La différenciation des deux mondes en passe également par leur langage visuel unique. « Le monde réel est réaliste avec ses défauts et ses imperfections, explique Patrick Lin, le directeur de la photographie. Le monde de l’esprit est imaginatif et virtuel et peut apparaître parfait. On a donc joué avec les déformations visuelles, la mise au point et les mouvements de caméra. » Il a ainsi créé deux objectifs de caméras virtuels apportant une forte déformation à l’image pour le monde réel et une faible déformation pour le monde de l’esprit. Dans le même ordre d’idée, la mise au point de ses caméras virtuelles est imparfaite dans le monde réel avec notamment quelques images floues mais parfaite dans le monde de l’esprit. Les mouvements des caméras virtuelles sont moins structurés, plus organiques, avec des zooms, des plans au steadicam ou de caméra à l’épaule dans le monde réel. Ils sont contrôlés, mécaniques avec des caméras fixes, des travellings ou encore des panoramiques dans le monde de l’esprit.

Un plein d’émotions

Ce monde de l’esprit est habité par les émotions, les protagonistes de Vice-versa avec Riley. Installées dans un quartier général – ou Quartier cérébral- avec un poste de commande, elles aident l’ado à vivre sa journée. Et chaque émotion a son point de vue unique quant au meilleur moyen d’y arriver.

INSIDE OUTPete Docter a lu tout ce qui a été écrit sur les émotions et notamment les recherches menées par Paul Eckman et Dacher Keltner. De toutes les émotions (jusqu’à 27) déterminées par les différents psychologues, le réalisateur en a retenues cinq parmi les six dites « de base » : Joie, Tristesse, Peur, Dégoût et Colère. Surprise a été écartée car il la trouvait redondante par rapport à Peur.

Lui et son équipe ont donné des traits humains aux émotions, mais avec un côté cartooniste pour mieux les différencier des vrais humains. Ils leur ont attribué des formes et des couleurs et choisi leur sexe au feeling, en pensant à des choses liées à leur personnalité propre. Joie, avec ses bras grands ouverts pour montrer son enthousiasme, ressemble ainsi à une étoile. Tristesse a la forme d’une larme inversée. Peur est un nerf à vif, anguleux et mince. Colère fait penser à une brique parce qu’il n’aime pas bouger et qu’il veut toujours taper sur quelque chose. Dégoût a été dessiné en pensant à un brocoli, légume soi-disant détesté par tous les enfants américains. Au départ, Dégoût était dégoûtante mais Pete Docter a senti qu’il faisait fausse route. Le dégoût devait venir de ce qu’elle ressent et non de ce qu’elle était. Elle est donc devenue chic et jolie.

Après les émotions, Pete Docter et consorts ont travaillé sur les souvenirs, inhérents à l’esprit. Dans Vice-versa, ils ressemblent à des boules à neige lumineuses et de différentes couleurs en fonction de l’émotion liée à l’expérience qui les a fait naître. Ils sont rangés sur des étagères dans le quartier cérébral ou stockés dans la bibliothèque de la Mémoire à long terme. « Les neuroscientifiques disent que l’on crée des souvenirs pendant la journée et qu’ils sont référencés, stockés et rangés dans la mémoire à long terme pendant qu’on dort, souligne Ralph Eggleston. Notre idée de bibliothèque est peut-être une matérialisation simpliste de cette notion mais elle est proche de la vérité. » Quand Riley revit un souvenir, le contenu de la boule lumineuse est projeté sur un écran dans le quartier cérébral. Si Tristesse touche la sphère d’un souvenir joyeux, elle le transforme irrémédiablement en souvenir triste. Plus Riley grandit et plus Tristesse touche à tout.

La conscience de l’inconscience

Au cours d’une dispute, Joie et Tristesse tombent du quartier cérébral dans l’esprit profond de Riley, laissant le Quartier cérébral sous la responsabilité de Dégoût, Peur et Colère avec tout ce que cela implique quant aux répercussions sur la personnalité de Riley. Pour retourner au Quartier cérébral, Joie et Tristesse traversent les différents concepts abstraits qui le composent mais assistent aussi à l’évolution de sa personnalité. Cette dernière est représentée physiquement par des îles : l’Ile de la Famille matérialise l’amour que Riley porte à ses parents, l’Ile de la Gaffe évoque son côté insouciant et déjanté, l’Ile du Hockey sa passion pour ce sport… « Ces îles permettent aux spectateurs de comprendre les changements de la personnalité de Riley et ce qu’elle ressent, révèle Jonas Rivera, le producteur. Elles sont belles et fonctionnent à la perfection au début de notre histoire alors que Riley est heureuse. Puis elles deviennent sombres pour ensuite s’éroder et s’effondrer. »

INSIDE OUTParallèlement à la création des caractéristiques de la personnalité de Riley, Pete Docter et son équipe ont fait une liste de tous les concepts liés à l’esprit. « On a choisi lesquels prendre en fonction de ce qui pouvait être amusant à voir, indique Jonas Rivera, et ce qui avait un lien avec l’histoire qu’on voulait raconter. » Le Pays de l’Imagination est un parc à thème géant où les attractions changent alors que Riley grandit : Rêves de princesses et le Panthéon des Animaux en peluche sont démontés car de moins en moins utilisés et remplacés par le Générateur de petits copains et la Bibliothèque des gros Mots. La Pensée abstraite a été inspirée des œuvres de Pablo Picasso et Joan Miro. La Production des rêves est un studio de cinéma qui crée les rêves et les cauchemars. Le Train de la Pensée est un train qui traverse aléatoirement l’esprit. Le subconscient contient les plus grandes peurs de Riley et est très librement inspiré des travaux de Freud et de Jung. « Notre approche est plus poétique que scientifique, affirme Pete Docter. Le but est d’être simple et clair pour le plus grand nombre et surtout d’être amusant. » « Tout doit être tout de suite compréhensible par le spectateur pour qu’il se concentre sur les personnages, signale Ralph Eggleston. Il veut ressentir des choses et que rien ne vienne freiner ses émotions. » A suivre les mésaventures de Joie, Tristesse, Peur, Colère et Dégoût, le spectateur ne va pas en manquer, d’émotions.

Article paru dans Studio Ciné Live – N°69 – Mai 2015

Crédit photo ©2015 Disney•Pixar