Il s’est toujours senti inadapté au monde, dans la sphère privée comme professionnelle, et n’a jamais trouvé un véritable équilibre dans sa vie. Aujourd’hui encore, il lui manque ce petit quelque chose pour être heureux. Pierre Richard est dans Les compères diffusé sur France 3.

© Giovanni Cittadini Cesi

Au plus fort de son succès, dans les années 1970, Pierre Richard en avait déjà assez des questions sur sa distraction et sa maladresse, piliers du personnage de lunaire burlesque qu’il s’était créé pour réussir dans le cinéma. Si sa maladresse est feinte – il dit que pour être maladroit à l’écran, il faut être très adroit dans la vie -, sa distraction est bien réelle. Il affirme cependant être distrait, non pas parce qu’il ne pense à rien, mais justement parce qu’il pense tellement à quelque chose que le reste lui échappe. Il quitte ainsi souvent un lieu en oubliant son portable ou ses clés.

Pierre Richard, de son vrai nom Pierre-Richard Defays, est né en 1934 à Valenciennes, dans une famille mi-bourgeoise mi-immigrée. Il n’a jamais trouvé de stabilité dans cette famille, se sentant toujours écartelé. A droite, il avait le côté paternel psychorigide avec un grand-père capitaine d’industrie et un père absent. A gauche, il avait le côté maternel chaleureux avec un grand-père immigré italien et une mère bohème. Les premiers le veulent polytechnicien tandis qu’il entend devenir comédien depuis qu’il a vu Danny Kaye dans Un fou s’en va-t-en guerre, à 18 ans. Son envie de provoquer sa famille paternelle est alors aussi forte que sa vocation.

Une rencontre décisive

Avec Gérard Depardieu dans Les compères

Ses débuts au théâtre, à la télévision et dans les cabarets, dans les années 50 et 60, s’avèrent difficiles. Mais le jeune homme s’accroche à la prédiction de son grand-père maternel, qui certifiait qu’il réussirait. Il a confiance en son destin même si sa peur de décevoir est constante. C’est sa rencontre avec Yves Robert, en 1966, qui change tout. Le réalisateur a remarqué son comique du corps et lui écrit un rôle sur mesure dans Alexandre le Bienheureux. Ce qui tombe à pic. Pierre Richard s’est marié en 1960 avec Danielle Minazzoli, une actrice et danseuse, et deux fils ont agrandi la famille, Olivier en 1965 et Christophe en 1967.

Sur le tournage de ce tout premier film, Yves Robert lui donne le meilleur conseil qu’il a jamais reçu : « Tu n’es pas un comédien mais un personnage. Tu n’as pas ta place dans le cinéma français. Fais ton propre cinéma. » Le comédien le prend au mot et en 1970, il écrit, réalise et interprète Le distrait où, pour la première fois, apparaît son personnage burlesque qui ne le quittera plus : le doux rêveur inadapté au monde dans lequel il vit.

L’acteur s’engouffre alors dans près de deux décennies de succès dont les points culminants sont Le grand blond avec une chaussure noire (1973), qui lui vaut une reconnaissance mondiale, et La chèvre (1981), où sa complicité avec Gérard Depardieu est belle à voir. Il est hissé au rang des grands comiques français comme Bourvil et Louis de Funès. Alors qu’il partage sa réussite tardive avec sa famille, au lieu de le féliciter, son père, ruiné, lui demande de l’argent. Pierre Richard souffrira toute sa vie de ce qu’il appelle « le mal de père ». Quand son géniteur décède en 1977, la veille de son enterrement, le comédien de 43 ans reste seul avec son cercueil et l’insulte de tout son cœur, en pleurant.

La différence avant tout

Avec Gérard Depardieu dans Les compères

De la fin des années 1980 à aujourd’hui, Pierre Richard n’a pu renouer avec ses triomphes passés. Il désire faire autre chose que le pitre mais dès qu’il s’éloigne de ses clowneries, les spectateurs ne suivent pas. Aucune proposition de contre-emploi intéressante ne surgit vraiment et il reste donc cantonné aux seconds rôles dans de plus ou moins bons films. Il paie peut-être encore son refus, depuis le début, de se soumettre au système. Quand il a reçu son César d’honneur en 2006, il est arrivé en smoking noir et baskets blanches comme pour dire : « Je suis avec vous mais pas comme vous. »

Même dans sa famille d’acteurs, il reste à la marge. Ce comédien, un des plus pudiques et secrets de sa génération, a toujours farouchement protégé sa vie privée. Il se livre juste ce qu’il faut dans des autobiographies où il raconte son enfance et ses blessures. Son divorce est passé aussi inaperçu que son remariage en seconde noce, il y a plus de vingt ans, avec Ceyla Lacerda, ancien mannequin et femme d’affaires brésilienne. Qui sait qu’entre un film et une pièce de théâtre, il soigne son vignoble dans l’Aude ? Ou qu’il se bat pour sauver la planète, même s’il est très pessimiste sur ce sujet ? Il faut dire qu’il a toujours vu le verre carrément vide. Il oublie ainsi les centaines de critiques positives qu’il reçoit pour ne retenir que la seule qui est négative. À 85 ans, ce n’est pas maintenant qu’il va changer.

Crédit photos : © Fideline Films / DD productions / EFVE Films / Orly Films / Gaumont

Article paru dans Télé Star – N°2283 – 29 juin 2020