Il aura fallu près de 45 ans pour voir arriver les Quatre Fantastiques sur le grand écran. Le défi n’était pas seulement de réunir les bons acteurs pour incarner les personnages, la Chose en tête, mais aussi de créer des effets spéciaux qui permettraient de façon crédible d’étirer un homme ou d’en faire brûler un autre.

« Je n’ai que deux mots pour vous : Ben Grimm. » C’est ainsi que, lors d’une soirée mondaine hollywoodienne, l’acteur Michael Chiklis sème une petite graine dans l’esprit du producteur Avi Arad, PDG de Marvel Studios en charge de toutes les adaptations des héros de Marvel Comics (Spider-Man, X-Men, Hulk…). Six mois plus tard, les deux hommes prennent rendez-vous pour discuter de la chose. Et de la Chose.

La légende veut que l’idée de la BD des Quatre Fantastiques soit née en 1961, au cours d’une partie de golf entre Jack Liebowitz, éditeur de DC Comics (Superman, Batman, Wonder Woman) et Martin Goodman, son concurrent avec Timely Comics (futur Marvel Comics). Le premier se vantant des ventes de sa BD La ligue des justiciers d’Amérique où tout un groupe de superhéros lutte contre les forces du Mal. Le second confie à son scénariste Stan Lee et à son dessinateur Jack Kirby le soin de créer une équipe de superhéros. Les deux artistes inventent une famille dysfonctionnelle et, en passant, révolutionnent le genre.

Mr Fantastic et la Chose

Jeunes et vulnérables

Leurs superhéros s’avèrent avant tout humains, donc faillibles à tout point de vue, sans identité secrète ni masque, et ayant acquis leurs super pouvoirs après avoir été touchés par des rayons cosmiques. Les lecteurs s’identifient vite à ses quatre superhéros à la personnalité bien définie : l’élastique Mr Fantastique, le leader de l’équipe, génie scientifique perdu dans ses travaux ; Sue Storm ou la femme invisible, sa femme (ce mariage est une première dans l’univers des Comics), personnage maternel central sur qui tous peuvent compter ; Johnny Storm ou la torche humaine, le petit frère de Sue, tête brûlée (sans jeu de mot) qui gagne en maturité à chaque aventure ; et Ben Grimm, la Chose, un cœur d’or dans un corps de pierre qu’il déteste.

« La Chose a toujours représenté le cœur et l’âme de l’équipe, explique Michael Chiklis. Il a toujours été mon préféré quand j’étais gamin. Il est humain, charmant, drôle, fort, ronchon et prisonnier d’un corps dont il ne veut pas. J’ai souvent été associé à ce genre de personnage. C’est un rêve de gosse de devenir la Chose. » Ce qui a failli ne jamais arriver. L’acteur tient le rôle principal de la série The shield et les deux tournages se chevauchent. « A la base, le tournage des Quatre Fantastiques était prévu pour le printemps 2004 mais il a été repoussé en juin, puis juillet. Quand il a été fixé en août, je n’étais plus disponible. J’ai demandé au producteur de The Shield s’il pouvait m’attendre. Et il l’a fait. Il a repoussé le tournage de la série de trois mois et demi. Je n’avais encore jamais vu ça ! »

Chris Evans, Jessica Alba, Michael Chiklis et Ioan Gruffud

Michael Chiklis est le premier a signé pour cette nouvelle franchise. Suivent Ioan Gruffud, Julian McMahon, Chris Evans et Jessica Alba. George Clooney et Renee Zellwegger sont considérés pendant un temps pour incarner Reed et Susan, mais au final, la production veut rajeunir les Fantastiques d’une dizaine d’années par rapport à la BD, afin de créer une franchise propre, avec une identité propre et de jeunes acteurs qui construisent également leur carrière au cinéma.

Les comédiens se replongent dans la BD de leur enfance. Ou pour certains la découvrent. « Je pensais être un vrai fan de cette BD, avoue Michael Chiklis, mais quand j’ai assisté à la Convention des comics à San Diego, je me suis aperçu que j’étais loin du compte comparé à certains. J’ai dû préférer grandir. » (Rires) « Tous les gamins s’accrochent un jour une couverture autour du cou pour sauter d’un canapé, » lance Chris Evans. « Ou d’un premier étage, plaisante Julian McMahon. Nous rêvons tous de voler. »

Le réalisateur Tim Story

Pour diriger tout ce petit monde, la Twentieth Century Fox et Marvel confient leur budget d’environ 100 millions de dollars à Tim Story – après avoir envisagé Raja Gosnell, qui préfère tourner Scooby-Doo, et Peyton Reed, qui abandonne finalement le projet. « Tim Story a fait du très bon travail avec son huis-clos Barbershop, rappelle le producteur Ralph Winter. Nous avons aimé ce qu’il a fait de ses personnages coincés dans une seule pièce et aussi le développement qu’il a apporté aux personnages de son Taxi. Il avait également une bonne appréhension du scénario des Quatre Fantastiques, sur les interactions des membres de cette famille, les dysfonctionnements, l’humour, l’héroïsme… »

La torture du costume

Le tournage commence en août 2004 à Vancouver. Pendant plus de cinq mois, les acteurs subissent tous les matins le rituel de l’enfilage du costume. « Il fallait trois personnes pour m’aider, » raconte Chris Evans. « Avec talc et vaseline, renchérit Ioan Gruffud. Vous imaginez le superhéros qui a une urgence ? Il faut compter une demi-heure pour enfiler son costume ! » Tous les acteurs ont eu droit à un scan à 360° de leur corps – « de tous les détails de notre corps, » précise Julian McMahon – et de leur visage pour les effets spéciaux en 3D mais aussi à un moule de leur torse. Le but : un costume en latex à porter sous leur uniforme bleu pour leur dessiner un corps parfait avec abdos, pectoraux et biceps. « Ce n’est pas moi qui m’en plaindrais, sourit Ioan Gruffud. Sans ce costume de faux muscles, j’aurais l’air ridicule. »

La Chose

Pour parfaire son personnage, Julian McMahon travaille l’accent de Van Doom qu’il rend volontairement indéfinissable afin que personne ne sache d’où vient réellement ce méchant. De son côté, Jessica Alba devient blonde aux yeux bleus. Michael Chiklis, lui, court dix kilomètres tous les jours et regrette finalement de ne pas avoir levé des poids pour augmenter sa force et moins souffrir sous les 30 kilos de son costume. « La Chose est le rôle qui m’a le plus demandé dans ma carrière, admet l’acteur. Je savais que je devrais porter un costume, j’étais même à 100% pour cette idée. Personne ne voulait d’une Chose tout en synthèse car cela enlève toute l’humanité au personnage. Mais je ne m’attendais pas à cela ni à la réaction que j’ai eue. Dans mon esprit, ce n’était qu’un costume. Mais quand je l’ai enfilé pour la première fois… Nous avons commencé par le torse, puis les jambes, les pieds, les bras. Puis, c’est le masque sur le visage. Je sentais cette colle dans mon nez, sur mes paupières, mes lèvres… Mais ce qui a tout déclenché, c’est quand j’ai enfilé les gants et qu’ils ont été collés aux bras du costume. Je pouvais à peine me servir de mes mains. A moins d’une aide extérieure, j’étais prisonnier du costume. A la base, j’aime maîtriser les choses, je suis même un obsédé du contrôle mais là, je n’avais plus aucun contrôle. J’ai paniqué, ce qui ne me ressemble pas. J’ai fait appel à un psy pour m’aider à supporter cette idée. Au bout d’une bonne semaine, cela allait mieux. Heureusement car je portais le costume 12 à 14 heures par jour. Il fallait trois heures pour le mettre. 30 kilos de latex. Je l’appelais le costume capote. » L’acteur reconnaît néanmoins que ce costume à lui tout seul a été déterminant pour son jeu. « Il suffit de regarder mes yeux pour découvrir que je veux vraiment sortir de ce corps, comme la Chose. En dépit du masque, vous voyez que c’est moi. C’est génial de marier la technique du maquillage à l’émotion, à l’humain. »

Victor Van Doom

Ou à l’inhumain dans le cas du Docteur Doom, le méchant de service qui, suite aux rayons cosmiques, arbore de belles cicatrices métalliques. « Le Docteur Doom a toujours été l’un de mes méchants préférés, avoue Julian McMahon. Lui et Dark Vador. Ils ont d’ailleurs beaucoup de points communs. Je me rappelle même avoir lu un article qui disait que George Lucas s’était inspiré de Van Doom pour son personnage. Il est à l’essence même du méchant. J’ai donc une sacrée responsabilité à endosser. » Victor Van Doom apparaît dans le n°5 de la BD mais dans cette adaptation, il est un membre de l’équipe qui part dans l’espace avant de se transformer en ce monstre de Docteur Doom doté de supers pouvoirs.

Des effets spéciaux réalistes

Les supers pouvoirs. Aucun héros ne serait super sans eux. « Les deux grands défis à relever étaient l’élasticité de Mr Fantastique et le feu de la Torche humaine, explique Kurt Williams, responsable des effets spéciaux du film. Nous voulions absolument que Mr Fantastique ait un aspect organique. Il fallait que les propriétés physiques de son élasticité soient cohérentes dans notre monde. C’est pourquoi à chaque fois que son corps s’étire, il revient comme un élastique, avec un claquement. Nous avons également inventé un programme qui permet, à chaque étirement, de recréer la peau et la texture nerveuse des muscles mais aussi les changements qui s’opèrent sur le costume et le squelette. »

La Torche humaine

La Torche humaine réservait encore d’autres surprises. Kurt Williams a commencé par créer de petites flammes naissantes sur les doigts de Johnny avant qu’elles ne recouvrent peu à peu tout le corps, avec une intensité différente selon l’effet de chaleur voulu. L’ultime effet étant un Johnny transformé en supernova. « Tim Story a toujours voulu que la performance de l’acteur soit toujours présente à l’image, précise Kurt Williams. Il ne voulait pas que le personnage soit totalement animé. A chaque fois, nous partons du jeu de l’acteur auquel nous ajoutons les effets spéciaux, jamais l’inverse. D’une part parce que dans l’histoire, c’est son corps qui génère le feu et d’autre part parce que l’ensemble donne un meilleur aspect organique et donc réel au personnage. »

Julian McMahon

« Parce que ce film est avant tout tourné vers les personnages plus que vers l’action ou les effets spéciaux, insiste Julian McMahon. C’est ce qui fait qu’il est différent des autres films de superhéros. » « Ce film parle d’une famille, de gens qui s’aiment et des changements auxquels ils font face, poursuit Jessica Alba. Il nous prouve, si besoin était, que personne ne peut s’en sortir sans sa famille ni ses amis. » Un adage que tous les acteurs ont appliqué à la lettre puisqu’ils ont signé pour deux suites. Optimistes avec ça.

Article paru dans Ciné Live – N°92 – Eté 2005

Crédit photos : Marvel / Twentieth Century Fox