Les Hommes du président fête ses 40 ans cette année. Cité en exemple dans le monde du journalisme pour sa précision et son réalisme, il dissèque l’enquête de Bob Woodward et Carl Bernstein sur le scandale du Watergate. Ou comme le disait Ben Bradlee, le directeur de la publication du Washington Post de l’époque, il nous raconte « une étrange aventure dans un monde fantastique peuplé d’acteurs incarnant des personnes réelles dans une version fictive d’une histoire vraie ».

1 – Juin 1972. Robert Redford est en pleine promotion de son film politique Votez McKay. Il lit les premiers articles écrits par les journalistes du Wahington Post, Carl Bernstein et Bob Woodward, sur des cambrioleurs entrés par effraction dans le quartier général du parti démocrate situé dans le Watergate, un complexe de bureaux, appartements et hôtels, à Washington. Il s’intéresse autant aux faits relatés qu’aux deux hommes, un juif libéral qui écrit bien et un WASP républicain qui écrit moins bien. Ils ne s’aiment pas mais doivent travailler ensemble. Robert Redford juge cette dynamique digne d’une bonne histoire. Ses coups de téléphone aux deux reporters restent sans réponse car ils pensent alors être victimes d’un canular du CREEP, le comité républicain de réélection du président Richard Nixon sur lequel ils enquêtent.

Carl Bernstein et Bob Woodward © AP

Carl Bernstein et Bob Woodward © AP

2 – A l’automne 1972, Robert Redford rencontre Bob Woodward et Carl Bernstein. Les deux journalistes sont alors vilipendés pour avoir accusé – sans preuve – H.R. Haldeman, le chef de cabinet de Richard Nixon, d’être lié au scandale du Watergate. Ils annoncent à Robert Redford leur intention d’écrire un livre. Robert Redford les convainc de construire leur intrigue comme un roman policier dont ils seraient les personnages principaux.

3 – En 1974, année de la publication des Hommes du président, Robert Redford achète les droits du livre de Bob Woodward et Carl Bernstein pour 450 000 dollars via sa société de production Wildwood Enterprises. Il ambitionne de produire un film en noir et blanc – style documentaire – avec deux acteurs inconnus pour un budget de 5 millions de dollars.

4 – Produire Les Hommes du président est aussi une façon pour Robert Redford de montrer son mépris pour Richard Nixon. Il l’a rencontré quand il avait 13 ans. Richard Nixon, alors sénateur de Californie, lui a remis un trophée gagné lors d’un tournoi de tennis. L’acteur dit avoir tout de suite ressenti « son caractère artificiel et quelque chose de sombre et de déplaisant dans cet homme. C’était purement viscéral. »

5 – Robert Redford organise une rencontre entre son ami scénariste William Goldman (oscarisé pour Butch Cassidy et le Kid) et Bob Woodward et Carl Bernstein alors qu’ils finissent l’écriture de leur livre. Robert Redford veut son avis sur l’histoire mais n’envisage pas de l’embaucher pour écrire le scénario. Quelques semaines plus tard, l’éditeur Simon & Schuster envoie par erreur une épreuve du livre à William Goldman qui croit donc être engagé. Robert Redford ne le détrompe pas, par amitié.

6 – La première version du scénario de William Goldman ne plaît à personne. Quelqu’un – Carl Bernstein selon Bob Woodward – l’intitule même Butch Woodward and the Sundance Bernstein.

7 – Carl Bernstein et Bob Woodward s’essayent aussi à l’écriture d’un scénario. Sans succès. La seule scène gardée est celle où Carl Bernstein parle à l’assistante de l’adjoint de Charles Colson, le conseiller spécial du président Nixon, à la terrasse d’un restaurant.

8 – Carl Bernstein signe un autre scénario, écrit avec sa petite amie de l’époque, Nora Ephron (future scénariste de Quand Harry rencontre Sally et Nuits blanches à Seattle). Tous deux sont encouragés par Bob Woodward mais leur script est rejeté.

9 –William Goldman multiplie les réécritures de son scénario jusqu’à une dernière version qu’il livre en mai 1975. Il gagnera l’Oscar de la meilleure adaptation.

10 – Tous les faits du scénario sont vérifiés par William Goldman, Robert Redford et Alan J. Pakula auprès de sources indépendantes. Les trois hommes s’intéressent aux moindres détails.

Dustin Hoffman, Penny Fuller et Robert Redford

Dustin Hoffman, Penny Fuller et Robert Redford

11 – Robert Redford met le scénario à la disposition des employés du Washington Post cités dans le film. Ils n’ont cependant aucun droit légal de s’opposer à quoi que ce soit sauf à la présence de leur nom dans le long métrage. Certains journalistes profitent donc de ce droit, comme Marilyn Berger dont le nom est remplacé par celui – inventé – de Sally Aiken. Elle est celle qui raconte à Carl Bernstein que Ken Clawson, ancien du Washington Post devenu directeur adjoint de la communication à la Maison Blanche, se vante d’être l’auteur de la fameuse lettre aux Canucks.

12 – Selon la loi, Katharine Graham, propriétaire et présidente du Washington Post, peut officiellement refuser que le nom du Washington Post soit utilisé dans le film. Selon la loi, la production peut utiliser ce nom de toute façon.

13 – Le film ne couvre que les sept premiers mois de l’enquête de Bob Woodward et Carl Bernstein, de l’effraction du Watergate, le 17 juin 1972, à l’inauguration de Richard Nixon pour son second mandat, le 20 janvier 1973.

14 – La Warner Bros. accepte de produire le film à la condition que Robert Redford joue Bob Woodward. L’acteur n’avait initialement aucune intention de jouer dans le film.

15 – Robert Redford pense d’abord à Al Pacino pour interpréter Carl Bernstein mais après réflexion, il choisit Dustin Hoffman. Il lui parle du projet pendant un match de basket des Knicks de New York.

16 – Dustin Hoffman a lui aussi envisagé d’acheter les droits du livre pour sa propre société de production.

Halbrook - Felt17 – Robert Redford choisit Hal Holbrook pour incarner Gorge profonde. Sa décision est approuvée par Bob Woodward, le seul à connaître la véritable identité de son informateur. W. Mark Felt avouera en 2005 être Gorge profonde. A l’époque du Watergate, il est le directeur adjoint du FBI. Son nom est mentionné comme un des possibles informateurs dès 1976, dans les notes de production du film.

18 – Frank Wills, l’agent de sécurité du Watergate qui a découvert l’effraction en 1972, joue son propre rôle.

19 – Pour incarner Bob Woodward et Carl Bernstein, Robert Redford et Dustin Hoffman passent deux à trois mois aux côtés des deux journalistes et au sein de la rédaction du Washington Post. Dustin Hoffman s’assoit souvent avec le directeur de la rédaction Howard Simons pour l’observer. Robert Redford préfère le bureau vitré du rédacteur en chef en charge des informations locales Harry Rosenfeld et fait face au mur pour ignorer le regard des curieux.

20 – Arrivé en retard à une conférence de rédaction, Dustin Hoffman, penaud, s’assoira discrètement par terre dans un coin pour suivre la réunion.

21 – Alors en visite dans les locaux du Washington Post, des lycéens repèrent Robert Redford et le mitraillent avec leur appareil photo. Quand un journaliste leur fait remarquer que le vrai Bob Woodward vient d’entrer, les étudiants n’en ont rien à faire.

22 – Un journaliste scientifique du Washington Post prend Dustin Hoffman pour un journaliste débutant et lui demande d’aller lui chercher un nouveau ruban pour sa machine à écrire.

Robert Redford, Jason Robards, Jack Warden, Dustin Hoffman, Alan J. Pakula et Martin Balsam

Robert Redford, Jason Robards, Jack Warden, Dustin Hoffman, Alan J. Pakula et Martin Balsam

23 – Le tournage commence le 12 mai 1975 à Washington.

24 – Katharine Graham et Ben Bradlee refusent que le film se tourne dans la rédaction du Washington Post, jugeant cela trop perturbant pour la bonne marche du quotidien. Ils autorisent cependant le tournage dans l’entrée du bâtiment, les ascenseurs et le parking.

25 – La salle de rédaction du Washington Post est reconstruite à l’identique dans les studios de la Warner Bros., à Burbank, en Californie, pour un coût de 200 000 ou 450 000 dollars selon les sources. L‘équipe de décoration du film prend photos et mesures dans les locaux du journal ; récupère une brique du bâtiment pour la faire dupliquer en fibre de verre et construire les murs du décor ; achète 167 bureaux – à 500 dollars pièce –au même fabricant qui a vendu les bureaux au Washington Post en 1971. La déco utilise aussi les même livres repérés dans le bureau de Ben Bradlee, fait des copies des œuvres d’art et affiches accrochées aux murs de la rédaction ou encore réédite des annuaires périmés.

26 – Les journalistes et employés du Washington Post vident également leurs bureaux – et leurs poubelles – de tout ce qu’ils ne veulent plus ou n’ont plus besoin pour fournir les accessoires du film. Des communiqués de presse du ministère de l’Agriculture, des graphiques sur des parasites, une figurine de Pluto en plastique, une collection de photos de Robert Redford dans ses films, une carte de vœu de Noël, des anciens numéros du bulletin officiel du fan club de Little Richard… sont entassés dans des cartons.

27 – Le Washington Post ne fait pas payer à la production le contenu des cartons remplis par ses employés mais les cartons eux-mêmes. 1 dollar pièce. Il y en a 37.

28 – Le directeur de la photographie Gordon Willis a la réputation d’aimer jouer avec la lumière et les ombres. Tous les décors sont ainsi éclairés pour faire apparaître des ombres sauf la salle de rédaction éclairée d’une lumière blanche et crue. Il veut montrer que la rédaction du Washington Post est le seul endroit où la vérité existe.

29 – Le bruitage des frappes de la machine à écrire au début du film est créé en mixant le bruit de vraies touches de machines à écrire, de coups de feu et de coups de fouet. Le film veut montrer que les mots sont utilisés comme des armes.

30 – Pour réduire le nombre de personnages dans le film, Barry Sussman, le rédacteur en chef en charge des informations de Washington, est fusionné avec le personnage de Harry Rosenfeld, le rédacteur en chef en charge des informations locales, et donc seul cité. Bob Woodward et Carl Bernstein regrettent ce raccourci car ils reconnaissent que Barry Sussman a joué un rôle capital dans la conduite de leur enquête par ses conseils et indications.

31 – Le directeur de la rédaction Howard Simons s’est toujours senti trahi de voir son rôle minimisé dans le film.

32 – Carl Bernstein prête son portefeuille et sa montre à Dustin Hoffman pour la durée du tournage, « pour plus d’authenticité ».

Jason Robards

Jason Robards

33 – Pendant le tournage, Jason Robards, qui incarne Ben Bradlee, vient aussi les jours où il ne tourne pas pour apparaître dans l’arrière-plan des scènes afin de faire sentir sa présence dans la rédaction et dans le film.

34 – Robert Redford et Dustin Hoffman apprennent chacun les dialogues de l’autre en plus des leurs afin de parfaire leur complicité à l’écran. Ils peuvent ainsi finir les phrases de l’autre et montrer qu’ils parlent d’une seule et même voix.

35 – La nouvelle administration présidentielle de Gerald Ford, successeur de Richard Nixon, refuse à la production de tourner sur toutes les propriétés fédérales de Washington.

36 – L’accès à la Bibliothèque du Congrès, refusé à la production, est finalement autorisé sous l’influence – et les contacts – de Jack Valenti, alors président de la Motion Picture Association of America.

Mise en place du plan de la Bibliothèque du Congrès.

37 – Le traveling arrière dans la Bibliothèque du Congrès dure 30 secondes et a coûté 90 000 dollars. Il part d’une vue aérienne en gros plan de Bob Woodward et Carl Bernstein compulsant des fiches et finit par un plan d’ensemble de la rotonde de la bibliothèque. Il symbolise la recherche par les deux journalistes d’une aiguille dans une botte de foin.

38 – Les premières notes de la musique – minimaliste – signée David Shire se font entendre après presque 30 minutes de film.

39 – La réplique « Pistez l’argent. » n’existe pas dans le livre de Bob Woodward et Carl Bernstein. Inventée par William Goldman, elle reflète la ligne directrice de l’enquête.

40 – Tous les faits évoqués dans le film sont vrais sauf une scène, celle où Carl Bernstein attire une secrétaire loin de son bureau avec un coup de fil pour aller voir Martin Dardis, l’enquêteur du procureur de Miami. C’est aussi la seule scène gardée du scénario signé par Carl Bernstein et Nora Ephron.

41 – Robert Redford a une scène qui dure plus de six minutes – un long et lent zoom sur lui – où il jongle avec deux interlocuteurs au téléphone. Vers la fin, il mélange les deux noms mais ne perdant pas son calme, il improvise et finit sa scène. Alan J. Pakula a préféré cette prise à une autre sans accroc.

42 – Pour sa première scène face à Dustin Hoffman, Jane Alexander – qui incarne la comptable du comité de réélection du président Richard Nixon – joue dans sa tenue de ville, avec sa propre petite robe d’été, son maquillage et sa coiffure. A son arrivée telle quelle au studio, Alan J. Pakula la trouve parfaite et la veut comme cela à l’écran, sans passer par l’étape costume et maquillage.

43 – Pendant le tournage à Washington, Robert Redford est logé dans un des hôtels du complexe du Watergate.

44 – Robert Redford et Dustin Hoffman se partagent l’affiche. Par équité, le nom de Robert Redford apparaît avant celui de Dustin Hoffman sur tout le matériel marketing du film (affiches, publicités, bande annonce…). Le nom de Dustin Hoffman apparaît avant celui de Robert Redford dans les génériques du film.

45 – Les Hommes du président reçoit d’abord une classification R (les moins de 17 ans doivent être accompagnés d’un adulte) à cause de son langage peu châtié. Au final, la Motion Picture Association of America baisse la classification à PG (accord parental souhaitable), jugeant la signification historique du sujet plus importante que quelques grossièretés.

46 – L’avant-première du film se tient le 4 avril 1976 au Kennedy Center, juste en face du Watergate, à Washington.

47 – Les Hommes du président engrange 70,6 millions de dollars au box-office américain pour un budget de 8,5 millions de dollars.

48 – Le film est en salles la même année que la campagne présidentielle opposant Gerald Ford et Jimmy Carter. Il aurait joué un rôle dans la défaite du président sortant.

49 – Nommé comme meilleur film aux Oscar, Les Hommes du président perd contre Rocky.

50 – Carl Bernstein a un plan favori dans le film : celui de la Bibliothèque du Congrès car il symbolise le défi que les deux journalistes relèvent avec leur enquête. De son côté, Bob Woodward a deux scènes préférées : celle où Ben Bradlee dit aux deux reporters que leur papier n’est pas assez bon et qu’il veut des infos plus solides pour la prochaine fois et celle où Ben Bradlee défend ses deux journalistes après l’affaire Haldeman. Pour lui, elles reflètent deux traits de la personnalité de Ben Bradlee : son exigence de l’excellence et sa loyauté envers ses journalistes.

Crédit photos : © Warner Bros.