La saison 6 avait laissé Laure, Gilou, Joséphine et Roban dans de très mauvaises passes personnelles. Leurs mésaventures continuent dans cette nouvelle saison – une des meilleures de la série – où ils sont en plus confrontés à une enquête mêlant cols blancs et blanchiment d’argent. L’intrigue est orchestrée par une nouvelle directrice d’écriture, Marine Francou, déjà scénariste sur la saison 6, à qui Anne Landois, qui a officié sur la série pendant dix ans, a transmis le flambeau. Les 12 épisodes d’Engrenages saison 7 sont diffusés sur Canal+ à partir de ce 4 février et sont déjà tous disponibles sur la plateforme Mycanal.

Caroline Proust, Valentin Merlet, Thierry Godard, Audrey Fleurot, Philippe Duclos

La genèse de l’intrigue : Google et la BRIF

Le défi de cette saison 7 pour Marine Francou, la nouvelle directrice d’écriture, était de développer une enquête inédite qui ait du sens par rapport à l’époque dans laquelle nous vivons et rester fidèle à l’ADN de la série en matière de développement des personnages. « Ce sont d’abord les trajectoires intimes des personnages que nous avons fouillées, explique la showrunner. Nous sommes partis de l’état dans lequel ils ont été laissés à la fin de la saison 6. Nous avons ensuite vu ce que cet état nous inspirait et où nous avions envie de les emmener à l’issue des 12 épisodes suivants. En parallèle, nous avons trouvé le grand sujet de l’enquête. Nous avions très envie d’explorer une thématique inédite et de nous attaquer à une voyoucratie un peu nouvelle dans Engrenages. Nous avions cette idée que nous n’avions encore jamais explorée : que devient l’argent sale issu des différents trafics qui avaient été explorés précédemment dans la série. La réalité nous a aidés car dans nos recherches nous sommes tombés sur des affaires réelles. Nous sommes partis de voyous du trafic de drogues très coutumiers d’Engrenages pour arriver dans cet univers très nouveaux pour la série des cols blancs. »

Marine Francou

Les recherches sur Google de Marine Francou et son équipe les ont menées à l’affaire Virus, une affaire de blanchiment d’argent assez simple qui met en contact des trafiquants de drogues d’Ile-de-France avec des banquiers d’affaires en Suisse. Les conseillers policiers sur Engrenages connaissaient le commissaire divisionnaire de la BRIF (Brigade de recherches et d’investigations financières), Philippe Huetz, qui les a renseignés sur une autre affaire, Fièvre jaune, qui faisaient intervenir des membres de la communauté chinoise d’Aubervilliers et qui complexifiait alors le système que Marine Francou voulait mettre en place. « Dans le passé d’Engrenages, il y a la saison 2 qui, à mes yeux, est particulièrement réussie, continue l’auteur. Le schéma de la saison 7 est un peu le même : nous remontons un réseau, ce qui est payant en fiction car vous cherchez alors qui est à la tête de ce réseau et en même temps cela vous permet de naviguer dans un nouvel univers. Cela structure assez fortement le récit et donne une ossature à la saison. »

Les Gilets jaunes sont partout

Engrenages s’inscrit dans la tradition du roman noir qui a toujours regardé la société. La série ne peut coller à l’actualité à cause du temps que demande sa fabrication mais elle reste ancrée dans la réalité française contemporaine. Marine Francou estime ainsi qu’il y a un lien entre la saison 7 et les Gilets jaunes. « Les Gilets jaunes partent d’une révolte sur une nouvelle taxe que le gouvernement veut imposer à tout le monde et continuent avec les gens qui ont les revenus les plus modestes qui disent : ‘Ça suffit !’. Il y a un lien direct avec ce que nous racontons dans cette saison qui est l’évasion fiscale. Les plus riches ne sont jamais assez riches et continuent d’inventer des systèmes pour échapper à l’impôt tandis que les plus modestes sont dans la rue. Faire une saison qui raconte la sophistication de ce système a donc du sens : selon les organismes en France, l’évasion fiscale est chiffrée entre 60 et 80 milliards d’euros, voire 100 milliards d’euros. Le déficit budgétaire de la France est de cet ordre-là. Cela pourrait être très simple. Pourquoi cela ne l’est pas ? »

Des lieux de tournage compliqués

Les scènes du centre logistique chinois ont été filmées à Pantin (93). Le centre qui a servi de modèle est à Aubervilliers (93). Les propriétaires ont refusé à la production d’y tourner. « Nous y avons rencontré une réticence totale, raconte Daniel Dubois, le producteur exécutif d’Engrenages. Les gens du centre, la communauté chinoise ne voulaient pas de nous. Il y a à peu près 200 boutiques en multipropriété, avec des syndics, etc. Nous sommes allés en repérage plusieurs fois et en creusant un peu, nous avons vu que cela allait être un peu compliqué. Ce n’était pas très accueillant et comme nous avons l’instinct de survie… »

La production a reçu l’autorisation exceptionnelle du ministère de la Justice pour filmer les scènes de l’incarcération de Joséphine dans la prison moderne de Réau, près de Fontainebleau (77). Deux sessions de tournage ont été programmées. Entre les deux, Redoine Faïd s’est évadé de ce même établissement. L’équipe a alors dû s’adapter à des mesures de sécurité renforcées. « C’est très compliqué de tourner en prison car cela prend un temps fou de faire entrer une équipe technique de 50 personnes avec tout son matériel, explique l’actrice Audrey Fleurot. Il faut lister le moindre câble, le moindre pinceau de maquillage et tout doit ressortir. C’est très lourd en termes de logistique. Vous perdez une heure pour entrer, une heure pour sortir. Et il y a des horaires très précis pour filmer dans la cour, entre deux promenades des détenus. »

Les acteurs n’aiment pas le changement

Tewfik Jallab, Caroline Proust, Thierry Godard

La showrunner Anne Landois a travaillé sur quatre saisons d’Engrenages, cela lui a pris 10 ans de sa vie. Le passage de témoin à sa remplaçante, Marine Francou, une des scénaristes de la saison 6, ne s’est pas fait sans ajustements de part et d’autre. Et notamment du côté de certains acteurs qui avaient peur de perdre les personnages. « Les textes n’étaient pas toujours à la hauteur de ce que nous espérions, explique le comédien Thierry Godard. Nous connaissons nos personnages. C’était comme si quelqu’un déboulait dans la famille et nous disait : « Toi, t’es ça ! ». Non, je ne suis pas ça. Je suis ça et ça et ça. Il y a eu beaucoup de moments où nous avons improvisé. Cela n’enlève rien au travail de Marine qui est formidable sur l’enquête mais je trouve que sur la psychologie des personnages, nous sommes forcément plus en avance qu’elle. C’est compliqué pour elle d’écrire des choses qui vont coller à nos personnages. Mais nous avons toujours rencontré cette frustration au cours des saisons précédentes. Il n’y a jamais assez de psychologie et quand elle n’est pas dialoguée, vous avez le risque sur une série où il faut aller très vite, avec cinq ou six séquences par jour, de ne pas la filmer. Vous ne filmez alors que l’enquête. Pour les acteurs, il y a toujours cette crainte de ne faire finalement qu’un boulot de flic. Nous essayons donc, quand nous le pouvons, d’ajouter des petites choses qui ne sont pas écrites. L’acteur a les clés de la psychologie de son personnage s’il est un peu investi. »

« Avec Anne Landois, l’approche avait été longue, rappelle l’actrice Caroline Proust. C’était un apprivoisement et cela a pris du temps. C’est pareil avec Marine, il a fallu de nouveau s’apprivoiser. Nous aimons le confort d’une certaine manière. Et ce n’est pas très confortable de changer d’équipe. Nous étions un peu rétifs, même. Mais je suis toujours cliente de ce que les auteurs peuvent me proposer et toutes les surprises sont bonnes à prendre. Quand vous faites une série qui dure aussi longtemps, vous avez toujours besoin de cet appétit. Plus il y a de choses nouvelles, mieux c’est. Mais le résultat est bluffant. Il y a une maturité réelle du jeu, une finesse dans la réalisation. Nous n’avons pas besoin de souligner les choses, c’est très délicat. »

La saison de l’émotion

La relation entre Laure et Gilou évolue encore, pour le pire et pour le meilleur, au point que l’émotion qui en découle est palpable pour les téléspectateurs. Mais aussi pour les comédiens. « Il y a un passif avec les personnages, reconnaît Thierry Godard. Entre ‘Action’ et ‘Coupez’, il se passe un petit quelque chose. Nous avons l’impression d’être nous, de plus en plus. Avec ce que nous avons vécu, avec notre vie qui passe. Cela fait 14 ans que nous travaillons sur cette série. Dès qu’il y a la plus petite émotion à donner, tout résonne. Il y a une implication émotionnelle malgré nous, qui nous dépasse. »

Un petit nouveau chez les flics

Gilou est devenu chef de groupe et a pris sous son aile un jeune policier, Ali Amrani. Alors que l’acteur Tewfik Jallab découvrait l’équipe de comédiens, son personnage découvrait l’équipe de flics. Dans les deux cas, l’intégration s’est faite en douceur en dépit d’une décision étonnante – mais finalement logique – de Tewfik Jallab. « Je n’avais jamais regardé la série mais je connaissais sa renommée, explique l’acteur. Quand j’ai su que j’allais intégrer la série, j’ai décidé de ne pas la regarder. Je ne voulais pas être influencé par le passif des personnages ou la relation entre Laure et Gilou, par exemple. Cela a été extrêmement dur en tant qu’acteur de me dire : ‘Je ne sais pas dans quoi je joue’. Mais c’était important car ainsi je n’anticipais aucune forme de réaction et je me mettais dans la situation de mon personnage. J’apprends les conflits et le passif de mes collègues en même temps que mon personnage. C’est ce qui m’a aidé à être dans un présent total. »

Tewfik Jallab

Tewfik Jallab avait déjà joué dans quelques films avec du maniement d’armes et interprété des policiers. Pour sa préparation sur Engrenages, il a suivi quelques séances de tir mais il a surtout eu un accès privilégié à la profession de policier. Jean-Pierre Colombi, un vrai flic, est constamment sur le plateau non seulement en tant que consultant mais aussi comme interprète du personnage de flic de JP dans la série. Tewfik Jallab pouvait l’appeler dès qu’il en ressentait le besoin.

Maître Karlsson est en prison et Audrey Fleurot aussi

Pour les besoins du tournage, l’actrice Audrey Fleurot a suivi son personnage Joséphine Karlsson en prison. « C’est une expérience assez forte, affirme la comédienne. La prison est un lieu extrêmement anxiogène. Quand vous travaillez là toute la journée, vous êtes incarcéré comme les détenus. Ce qui était assez troublant était de me retrouver parmi les détenues. J’ai discuté avec des femmes qui ont tué des gens car la prison de Réau accueille des peines lourdes. Entre les prises, j’étais sollicitée par les femmes pour qui il ne se passe pas grand-chose. Pour elles, un tournage, c’est un événement. Engrenages est une série très regardée en prison. Quand je passais dans les cours, il y avait les mecs aux fenêtres qui hurlaient ‘Maitre Karlsson’. Cela m’a étonnée qu’ils soient au courant à ce point. C’est notre public. Il y a une vraie curiosité.

Audrey Fleurot et Louis-Do de Lencquesaing

Et puis au bout du couloir, il y avait deux femmes avec leurs bébés, elles ont accouché en prison. J’ai eu des discussions de maman avec elles, sur leur bébé. J’ai appris ensuite qu’elles avaient tué des gens. C’était vraiment déroutant d’avoir des conversations tout à fait normales. Mais je ne reste pas dans mon personnage quand le réalisateur dit ‘Coupez’. Je n’ai pas la méthode Actors Studio. Je la trouve épuisante et elle ne sert pas à grand-chose. Cela dépend des projets mais l’important est d’être là à ‘Action’. Et puis, je travaille sur la déconcentration. Je trouve que les choses qui me sont volées sont plus intéressantes que les choses que je produis. Quitte à ce que ce soit raté. C’est plus intéressant quand tout n’est pas balisé. »

Maître Edelman devient sympa ( !)

« Enfin ! C’est ce que je voulais !, assure Louis-Do de Lencquesaing, l’interprète de Maître Eric Edelman. Déjà dans la saison 6, j’en avais marre de jouer les cyniques. J’ai joués beaucoup de méchants, même des pires qu’Edelman. C’est très amusant de jouer les méchants et ce doit être très emmerdant de jouer les héros très gentils. Mais à un moment donné, j’ai envie de plus de légèreté. Enfin, ce n’est pas qu’Edelman est léger, mais j’ai envie de plus de profondeur intime. Les salauds ne sont pas que des salauds. J’ai dit à Marine Francou que j’aimerais devenir un saint. J’exagérais un tout petit peu mais j’adore lancer des pavés comme ça. Mais je n’y arriverai pas à mon avis. »

Saison 7 : la der des der ?

Tous sur Engrenages, que ce soit parmi les techniciens ou les artistes, ont peur de faire la saison de trop. Mais il semble qu’ils en sont loin et qu’ils ont encore des choses à raconter avec les personnages et ce, sans se répéter. La saison 7 n’était d’ailleurs pas encore en diffusion que la saison 8 était déjà en écriture avec l’espoir de réduire le temps entre leurs diffusions à un maximum de 18 mois. « Le fait de se dire que la saison 7 serait la dernière a impacté la trajectoire des personnages au début mais assez rapidement, il y a eu cette idée qu’il y en aurait peut-être une saison 8, souligne Marine Francou. Les saisons s’écrivent les unes après les autres. Les personnages avaient un arc narratif clair mais qui ne préjugeait pas forcément de la fin. Nous pouvons encore les amener plus loin et c’est d’ailleurs ce que nous sommes en train de faire. »

Crédit photos : ©Canal+