Le showrunner du Bureau des légendes, Eric Rochant, revient sur sa nouvelle saison qui s’attaque cette fois à l’espionnage russe et à la cyberguerre, avec toujours au centre des intrigues Guillaume « Malotru » Debailly, Marina « Phénomène » Loiseau et les petites mains de la DGSE. Le bureau des légendes, saison 4 commence ce 22 octobre sur Canal+.

Quand je vous avais rencontré sur la saison 1, vous parliez de trois saisons. Vous en êtes maintenant à la saison 4 avec la saison 5 en écriture.

En fait, j’avais dit trois saisons parce que Canal+ avait demandé de réfléchir sur trois saisons. Pour un auteur, l’écriture est différente si une série ne doit durer qu’une ou deux saison ou si on a plus de temps. Cela ne voulait pas dire qu’on n’allait faire que trois saisons mais que notre travail de narration pouvait éventuellement, si tout se passe bien, s’appuyer sur trois saisons. Canal+ ne voulait pas qu’on se dise qu’il fallait attendre la saison 5 pour que ce qu’on était en train d’écrire prenne du sens. Mais je me demandais si j’avais la capacité de renouvellement et le désir sur plus de trois saisons. Je suis dans les affres de la grosse remise en cause pour la saison 5 où on trouve que tout ce qu’on a fait est nul et on recommence tout. L’année dernière, j’étais exactement dans le même état pour la saison 4. Il y a des moments où on se dit qu’on n’y arrivera pas. Le succès est très agréable mais il n’aide pas car la barre est haute. Quand on commence à écrire la saison 4 on se dit qu’on ne peut que décevoir. Or si on se dit ça, on est foutu car la peur de perdre enlève tout courage et fait faire de la merde. Quand on voit que ça marche bien jusqu’à la saison 3, il faut tout remiser et repartir à zéro pour la saison suivante. Il faut alors avoir autant l’envie et le sentiment que ça vaut le coup.

Quel est le thème de cette saison 4 ?

Eric Rochant (à gauche) sur le tournage de la saison 4

C’est le choix des thèmes géopolitiques. On est à l’écoute des grandes transformations profondes du monde, ce qui nous permet de ne pas être antidatés. On a commencé à parler de la Russie dans la saison 3 car il y avait déjà un personnage russe mais le retour de la Russie sur la scène internationale se dessine depuis deux ans. On a bien vu l’année dernière, alors qu’on travaillait sur la saison 3, que Vladimir Poutine était en train de faire gagner Bachar el-Assad. On voyait que Poutine à travers la Syrie et la Crimée commençait à devenir une sorte de gagnant sur la scène internationale. Il fallait donc traiter de la Russie. Et pour la cyberguerre, c’est pareil. En fait, on est à l’écoute et on entend parler de la Russie tout le temps et du cyber tout le temps. Comme pour l’intelligence artificielle. On en parle dans la saison 4, on en parlera peut-être plus dans la saison 5. Il y a des choses dont on entend beaucoup parler et au bout d’un moment, ça s’imprime.

Vous faites encore bien souffrir Malotru (Mathieu Kassovitz) et Marina (Sara Giraudeau)…

Sara Giraudeau

Il y a une logique. Quand on écrit un truc, on met le doigt dans l’engrenage. On n’est pas libre. On ne peut pas faire ce qu’on veut, surtout dans une série réaliste, on ne peut pas faire n’importe quoi. A la fin de l’épisode 1, Malotru est en Russie et on envoie Marine aussi en Russie mais pour d’autres raisons. Cela n’a alors d’intérêt et de sens que parce qu’on se dit que s’ils vont croiser, sans savoir comment. Je me suis dit que ce serait génial de les avoir tous les deux dans une voiture en train de traverser un paysage, comme dans un road movie. Et en cherchant à faire fonctionner ça, quelqu’un a eu une autre idée qui était encore mieux. Il y a un horizon. Très flou, mais il y a un horizon.

Vous développez beaucoup le personnage de l’analyste Jonas dans cette saison 4. Saviez-vous depuis le début que ce personnage aurait cette évolution ou c’est le talent de son interprète, Artus, qui vous a incité à l’étoffer ?

Artus

On ne savait pas. On avait de la tendresse pour le personnage depuis le départ. Après, il doit s’opérer une osmose entre le personnage et l’acteur pour qu’on ait envie de le développer. Il faut qu’on sente qu’on peut aller plus loin avec le personnage mais aussi avec l’acteur. Artus est vraiment super. Des fois, on se rend compte que le personnage lui-même n’a peut-être pas autant d’intérêt que ça. Et puis, il faut avoir envie de le mettre là où il n’est pas. Avec Jonas, on a eu envie de le mettre sur le terrain et de le confronter à la violence, à la guerre. Cette confrontation nous intéressait.

Quel est l’intérêt pour vous de faire arriver « JJA », le personnage jouer par Mathieu Amalric ?

Mathieu Amalric

Il fallait traiter l’idée que tout ce qui arrive depuis trois saisons est quasiment grotesque et qu’il faut donc s’occuper des dysfonctionnements de ce Bureau. Il faut bien qu’un personnage dise enfin : « On siffle la fin de la récrée ! ». Et que ce soit un peu la fonction du méchant. Ce méchant veut que l’histoire s’arrête. Il veut mettre tout le monde en prison. On a eu très tôt cette idée que quelqu’un de la sécurité interne vienne mettre de l’ordre là-dedans. C’était obligatoire.

Avez-vous un personnage préféré ?

A chaque saison il est différent. Mais je ne vous dirai pas lequel est-ce sur cette saison 4. (Rires)

Parce qu’il meurt à la fin ?

(Rires)

Eric Rochant et Mathieu Kassovitz

Etes-vous toujours en contact avec la DGSE ?

On va leur présenter les épisodes. Ce sont des fans. Cela n’a rien de diplomatique, c’est un plaisir pour moi de leur montrer. On a un rapport de respect mutuel. J’ai envie de faire une série qui parle d’eux, qui soit une série de divertissement mais qui soit respectueuse car c’est comme ça que j’ai envie de parler d’eux. S’ils aiment la série et qu’ils se retrouvent dedans, c’est quand même pour moi un retour positif. J’aime bien leur monter et ils aiment bien la regarder. Voilà.

Vous disent-ils quand ce que vous montrez est possible ou impossible dans leur réalité ?

Ils peuvent nous le dire de temps en temps mais en nous disant ça, ils en disent déjà trop. Parfois, ils nous disent : « Ça, on le fait tout le temps. » Alors j’imagine que c’est faux. (Rires) C’est de l’intox. Ils sont quand même là pour cacher tout ce qu’ils font.

Où en est le remake américain, The Department ?

Toujours en écriture.

Eric Rochant

Supervisez-vous l’écriture, même de loin ?

Non, je n’ai pas le temps. Le diffuseur est un bon diffuseur. Donc je n’ai pas besoin de m’en occuper.

Qui est le diffuseur ?

Je n’ai pas le droit de vous le dire. (Sourire)

Avec la saison 5, et peut-être une saison 6, quand allez-vous travailler sur votre autre série Les Oligarques ?

J’ai déjà écrit le pilote. Il est probable que je fasse Les Oligarques à la suite de la fin du Bureau des légendes. Je pense que les gens qui font Les Oligarques font la série parce que Le bureau des légendes existe et parce que j’en suis le showrunner. Si je deviens le showrunner qui a lâché Le bureau des légendes, je ne sais pas s’ils voudront encore faire Les Oligarques. (Sourire) L’idée est que les gens qui veulent faire Les Oligarques ont envie que la série aille loin donc si je suis un lâcheur, ça va les refroidir. Maintenant que je suis à la saison 4 du Bureau, je pense que je pourrais faire Les Oligarques. Mais si je fais une saison 5 puis une 6, il faudra attendre.

Vous êtes en cours d’écriture de la saison 5.

Oui mais ça ne veut pas dire qu’elle se fera. C’est une co-décision avec Canal+. A priori, il y aura une saison 5. Mais je ne suis pas totalement sûr de faire un truc qui vaille le coup. C’est le problème mais aussi l’intérêt d’une série : on remise tout à zéro au début d’une nouvelle saison. Il faut qu’on soit sûr de ce qu’on fait, on peut se tromper mais au moment où on le fait, il faut qu’on se dise que ça a des chances de valoir le coup. Ce n’est pas un hasard si les grandes séries ne durent que cinq ou six saisons au maximum. Après, on n’y arrive plus. L’idée est de ne pas faire la saison de trop.

Crédit photos : © The Oligarchs Productions/Canal+