Les deux marionnettistes Estelle Charlier et Romuald Collinet (Compagnie La Pendue) ont créé la marionnette Annette, héroïne du film éponyme de Leos Carax (en salles depuis le 7 juillet) et dont la poésie visuelle est bouleversante. Leur aventure est racontée dans le documentaire L’heure D : Baby Annette, à l’impossible ils sont tenus réalisé par Sandrine Veysset et diffusé sur France 3.

Estelle Charlier, Baby Annette et Romuald Collinet

Comment avez-vous créé physiquement Annette ?

ESTELLE CHARLIER : Pour sculpter le visage d’Annette, je me suis inspirée de photos d’une petite fille que Leos Carax a connue, et dont le visage est fascinant. Je n’ai pas cherché à reproduire scrupuleusement les traits de l’enfant mais j’ai essayé de retranscrire la force émotionnelle qui se dégageait d’elle.

ROMUALD COLLINET : J’étais en charge de la partie technique du corps et des articulations, et des procédés de manipulation. Je devais parvenir techniquement à cette idée poétique d’un objet qui prend corps et chair et qui évolue au milieu des acteurs.

À l’écran, Annette semble vivante…

E.C. : On a travaillé sa construction pour que la manipulation soit la plus fluide et réaliste possible. La marionnette donne l’impression de la vie dans toute circonstance, qu’elle soit immobile ou en mouvement.

R.C. : Notre travail est de faire vivre une émotion à travers un objet, de suggérer du vivant dans peu de mouvements. Mais il était important de laisser apparaître de l’artisanat, car elle reste une marionnette. Elle est vide d’une âme que le spectateur remplira de ses propres projections et sentiments.

E.C. : Cette marionnette, on a dû la comprendre, sublimer ses contraintes, apprendre à la manipuler et l’apprivoiser. Il a fallu lui insuffler l’énergie qui devient ensuite celle d’Annette, inventer sa gestuelle, préciser sa personnalité. C’est ainsi que peu à peu le personnage a pu s’incarner.

R.C. : Quand la personnalité d’Annette a surgi, on a suivi. Des évidences apparaissent à force de travailler avec elle. À un point, on se dit : «C’est elle. » Et alors, cela nous dépasse. Elle devient indépendante et au lieu de la manipuler, on la suit.

Vous parlez d’elle comme si un esprit l’habitait.

E.C. : Quand je faisais mes essais de visage, j’ai su en démoulant un des masques que c’était elle. Elle était enfin là.

R.C. : Par tradition, la nuit, on ne laisse jamais dormir une marionnette avec le visage découvert, sauf si elle a les yeux fermés. Une âme peut venir l’incarner et alors, on ne peut plus la manipuler. Polichinelle, par exemple, possède un esprit depuis quatre cents ans qui se manifeste de marionnettiste à marionnettiste. Annette aura de plus en plus de présence, de force et de résonance à mesure qu’elle sera vue par le public. On remplit une marionnette de choses qui nous sont inconscientes et cela remue aux tripes. C’est là la force de la marionnette.

Crédit photos : © CG Cinéma-La Huit

Article paru dans Télé Star – N° 2343 – 30 août 2021