Ces 50 dernières années, tout – ou presque – a été raconté sur Les Dents de la mer de Steven Spielberg : de l’idée initiale de Peter Benchley au succès planétaire du film en passant par les dysfonctionnements désormais légendaires de Bruce, le requin mécanique. À l’occasion de la diffusion du documentaire Les Dents de la mer à 50 ans : L’Histoire complète (Jaws @ 50 : The Untold Story) en streaming à partir de ce 11 juillet sur Disney+, voici 17 anecdotes peu connues sur le long métrage culte.
1 – Steven Spielberg, bibliophile intéressé
Les producteurs Richard Zanuck et David Brown (La Mélodie du bonheur, L’Arnaque) ont acheté les droits des Dents de la mer de Peter Benchley quelques mois avant sa publication. À la sortie du roman en février 1974, Steven Spielberg et Richard Zanuck en ont acheté une centaine d’exemplaires chacun afin d’assurer de premiers bons chiffres. Le livre a tout de suite figuré sur la liste des best-sellers de Californie. L’œuvre a été vendue à 5,5 millions d’exemplaires avant la sortie du film.
2 – Une couverture culte
Roger Kastel, un illustrateur de magazines et de livres new-yorkais, a réalisé le visuel de la couverture du livre de poche de Peter Benchley. Pour lui, à l’époque, c’était juste une commande comme une autre. L’artiste est allé au Musée d’histoire naturelle de New York et a pris quelques photos d’un grand requin blanc. Il a ajouté des clichés d’un modèle en train de simuler un crawl sur un tabouret dans un studio.
Oscar Dystel, le directeur de Bantam Books, a ensuite donné – et non vendu – le visuel au producteur David Brown pour la publicité du film, et notamment pour l’affiche.
3 – Un dresseur de requins !?!
En achetant les droits des Dents de la mer, Richard Zanuck et David Brown n’ont pas réfléchi plus que cela à la réalisation du film. Ils pensaient qu’il suffirait d’engager un dresseur de requins pour qu’il fasse des tours devant la caméra. Ils ont vite découvert qu’aucun requin ne pouvait être dressé comme un dauphin.
Il était aussi inconcevable de lâcher un grand requin blanc dans la baie de Martha’s Vineyard…
4 – Spielberg a failli ne jamais tourner le film… à trois reprises
Steven Spielberg a repéré les épreuves du livre Les Dents de la mer dans le bureau de Richard Zanuck et David Brown, les producteurs de son premier long métrage de cinéma, Sugarland Express. À peine sa lecture finie, il s’est proposé pour le réaliser. Mais le duo avait déjà engagé un autre réalisateur. Cependant, ce dernier n’a fait référence qu’à une baleine et non à un requin lors de leur première réunion. Il a donc été remercié. Steven Spielberg a ainsi récupéré le poste.
Sauf qu’à ce moment-là, le jeune cinéaste a jeté son dévolu sur un autre projet, Les Aventuriers du Lucky Lady. Doutant désormais de l’intérêt des Dents de la mer, il demande conseil à son mentor Sid Sheinberg, président du studio Universal. Ce dernier lui confirme que cette comédie possède un très bon scénario mais que ce n’est pas un film commercial. Et il ordonne à son protégé de réaliser Les Dents de la mer.
Quand Universal prévient Steven Spielberg que le tournage doit commencer en avril, le réalisateur, plus que nerveux, estime que c’est beaucoup trop tôt et que rien n’est prêt. Le scénario ne le satisfait toujours pas et il ne peut obtenir les acteurs qu’il souhaite. Il pense alors se retirer du projet. Richard Zanuck, prévenu, l’attend de pied ferme dans son bureau, arborant son t-shirt promotionnel des Dents de la mer. Steven Spielberg repartira sans avoir osé abandonner son poste.
5 – Un tournage trop précipité
Universal a décidé que le tournage commencerait en avril 1974. La Screen Actors Guild menace d’entrer en grève à partir du 1er juillet 1974 si elle n’obtient pas de nouveaux accords avec les sociétés de production. Universal refuse de donner le feu vert à un film dont le tournage ne pourrait s’achèver avant le blocage potentiel des acteurs. Le studio veut également surfer sur le succès et la popularité du livre, sorti en février, tant qu’ils durent. Il espère aussi éviter le début de la saison estivale qui s’accompagnerait d’une invasion de touristes et d’une forte hausse des coûts locaux.
Cependant, rien n’est prêt. Personne n’est convaincu de la dernière version du scénario. Il manque 15 semaines de travail et surtout de tests pour que le requin, baptisé Bruce, soit pleinement opérationnel dans de l’eau salée de l’océan atlantique. Et Steven Spielberg n’a pas encore tous ses acteurs.
Le tournage commencera finalement le 2 mai 1974. Sans qu’aucun problème ne soit résolu.
6 – Un accueil mitigé des habitants de Martha’s Vineyard
Avant Les Dents de la mer, Martha’s Vineyard, célèbre lieu de villégiature et peuplé de nombreux résidents richissimes, n’avait jamais accueilli un tournage. Les insulaires étaient divisés face à l’arrivée de l’équipe du film. Ceux de l’est de l’île, très touristique, voyaient la manne financière dont ils pouvaient bénéficier. Ceux de l’ouest voulaient préserver la tranquillité et le charme des lieux. Contrairement aux commerçants, les riches et les politiciens de la municipalité n’avaient pas besoin du film. Ils ont donc dressé des obstacles dès qu’ils le pouvaient.
Les membres du conseil municipal ont ainsi refusé le permis de construire de la cabane de pêche de Bart Quint dans le port de Menemsha, un pittoresque village de pêcheurs situé à Chilmark. Il y avait un emplacement vide sur le ponton et le propriétaire était d’accord pour l’édification de la cabane qui serait détruite à la fin du tournage. Les conseillers municipaux n’ont avancé qu’une raison : ils n’aimaient pas le propriétaire. Ils ont finalement accepté après des supplications de la production, le soutien des commerçants et une caution de 500 000 dollars avec l’obligation de remettre les lieux en l’état. Poubelle remplie comprise.
7 – Du Warlock à l’Orca
Le directeur artistique Joe Alves était chargé de trouver le bateau du film. Il a acheté le Warlock, l’a reconfiguré pour lui donner plus de personnalité et l’a rebaptisé Orca. D’après une superstition dans la marine, un bateau possède une âme et changer son nom porte malheur. Considérant tous les problèmes que la production a rencontrés sur le tournage, jusqu’au naufrage de l’Orca, ce n’est peut-être pas qu’une superstition…
8 – Les malheurs de Chrissie
Pour incarner Chrissie Watkins, la première victime du requin, le directeur de casting recherchait une jeune femme belle, bonne nageuse, résistante et prête à être nue devant la caméra. Susan Backlinie, actrice et cascadeuse, correspondait au profil.
Pour la séquence de sa mort, filmée de jour en nuit américaine, elle portait un harnais couvrant sa taille et ses cuisses. Il était relié avec des câbles à vingt hommes sur la plage. Dix pour la tirer, sans la prévenir, vers la droite et dix pour la tirer vers la gauche afin de simuler les mouvements d’attaque du requin. Susan Backlinie gardait la tête hors de l’eau en battant des pieds et bougeait ses bras pour que le résultat soit plus violent qu’il ne l’était réellement.
Par précaution, elle a acheté des mousquetons de sécurité qu’elle a fixés entre les câbles et le harnais afin de pouvoir se libérer rapidement et facilement en cas de problème. Personne n’aurait pu distinguer ses faux cris des vrais si elle avait été en danger. Selon le monteur son James Troutman, à un moment, les hommes sur la plage ont tous tiré en même temps et lui ont brisé des côtes. Steven Spielberg aurait gardé cette prise.
Susan Backlinie a dû réenregistrer ses cris en postproduction. Pour la remettre dans l’ambiance et obtenir des hurlements réalistes, elle avait la tête en arrière au-dessus d’une bassine et Steven Spielberg lui versait de l’eau dans la gorge…
9 – À la recherche d’un vrai requin
Dans la séquence où Mme Kintner confronte le chef Brody, le requin-tigre tué par les pêcheurs d’Amity est réel. Les vrais pêcheurs de Martha’s Vineyard ne parvenant pas à pêcher un vrai requin, la production a (encore) improvisé.
Les cascadeurs Ted Grossman et Fred Zendar sont allés jusqu’en Floride pour trouver un squale, en l’occurrence un requin-tigre de 4 m de long. Ils l’ont baptisé Oscar et l’ont ramené sur le plateau dans un jet privé pour 10 000 dollars. Ils ont peiné à louer un appareil qui puisse accueillir le cadavre de la bête.
Arrivée à Martha’s Vineyard, la dépouille commençait déjà à pourrir. Le département maquillage a arrangé le requin pour le rendre présentable à la caméra mais n’a rien pu faire contre l’odeur.
10 – Une pro de la gifle
Il a fallu pas moins de 17 prises pour obtenir la séquence de l’affrontement déchirant entre Mme Kintner et le chef Brody après la mort de son fils Alex. L’actrice locale Lee Fierro a donc asséné 17 gifles bien senties au comédien Roy Scheider. Une claque, plus violente qu’une autre, a fait voler les lunettes du comédien. Lee Fierro est alors sortie de son personnage pour s’excuser. Roy Scheider l’a prise dans ses bras pour la réconforter et Steven Spielberg s’est joint à l’étreinte. L’acteur estimait qu’il ne fallait pas être désolé pour lui, que ces coups en valaient la peine.
Pendant des années après la sortie du film, des fans sollicitaient régulièrement Lee Fierro pour qu’elle leur donne une claque à eux aussi. Ce qu’elle a fait avec plaisir. Pendant 30 ans. Elle a cessé d’accepter l’année du 30e anniversaire du film.
11 – Un clin d’oeil à James Bond
La plaque d’immatriculation retrouvée dans les entrailles du requin-tigre indique notamment 007 et 72 Louisiana 73. Steven Spielberg a toujours rêvé de réaliser un James Bond. L’inscription fait référence au plus récent des films sur l’agent secret à l’époque : Vivre et laisser mourir qui a été tourné en Louisiane en 1972 et est sorti en 1973.
12 – Robert Shaw, poète
“Ci-gît la dépouille de Mary-Lee ; décédée à cent trois ans dans son lit. Pendant quinze ans, elle garda son pucelage ; c’est un beau résultat vu le voisinage.” (‘Here lies the body of Mary Lee; died at the age of a hundred and three. For fifteen years she kept her viginity; not a bad record for this vicinity.” en VO)
Steven Spielberg a demandé à Robert Shaw, par ailleurs dramaturge reconnu, d’inventer une réplique à son personnage de Bart Quint afin de choquer Ellen Brody, le personnage incarné par Lorraine Gary. Le comédien a alors déclamé ce poème.
Le réalisateur a voulu en savoir plus dans le but de déterminer à qui il faudra payer des droits d’auteur pour utiliser le texte. Le comédien lui a répondu qu’il n’avait aucun souci à se faire. Le poème venait d’une épitaphe qu’il avait lue sur une pierre tombale en Irlande.
13 – Un cameo de Steven Spielberg
“Port d’Amity à Orca. Port d’Amity à Orca. Répondez Orca. J’ai Madame Brody en ligne.” (“This is Amity Point light‑station to Orca. Orca, come in. I have Mrs. Martin Brody here.” en VO)
Steven Spielberg fait un cameo vocal dans Les Dents de la mer. Il prête sa voix au dispatcher d’Amity quand Bart Quint répond à la radio lors de la toute première attaque du requin contre le bateau.
14 – Une vraie attaque de requin
Ron et Valerie Taylor, experts en prises de vue sous-marines de requins, ont été engagés en tant que seconde équipe de réalisation. Leur mission : filmer de vrais requins blancs afin d’alimenter des plans de coupe, notamment pour la séquence de la cage où Bruce attaque Matt Hooper. Cependant, ils préviennent Steven Spielberg que sur la grande barrière de corail australienne, les requins font moins de 5 m de long et non les 8 m du requin du film. Le réalisateur a alors l’idée d’utiliser une cage miniature et un cascadeur de petite taille doté d’un équipement réduit à son gabarit pour ajouter près de 3 m au requin.
Le cascadeur Carl Rizzo a indiqué sur son CV qu’il était expérimenté en plongée sous-marine. Ce qui s’avère faux. Dès sa première descente dans la cage, à la vue du requin, il a paniqué. Il a alors respiré tout l’air de sa bouteille miniaturisée qui ne contenait que huit minutes d’oxygène. Il recrachait encore de l’eau quand il a été remonté à la surface.
Alors que Carl Rizzo se remettait de ses émotions sur le bateau, un grand requin s’est approché trop près de l’embarcation et s’est retrouvé piégé dans les câbles hydrauliques, entre la cage et le bateau. Valerie Taylor raconte qu’il est devenu fou et s’est débattu. Sa queue frappait l’air, l’embarcation et a même claqué la tête de Carl Rizzo. Ron Taylor, dans l’eau à ce moment-là, a filmé le squale tentant de se libérer. Le requin a détruit la structure métallique et l’a entraînée dans les profondeurs de l’océan.
Les plans étaient parfaits à un détail prêt : il n’y avait personne dans la cage. Carl Rizzo refusait de retourner dans la cage et les petits mannequins étaient trop statiques pour apparaître réels à l’écran. Steven Spielberg a alors changé la fin de l’histoire. Matt Hooper qui devait mourir, comme dans le livre, survivait désormais à l’attaque du requin.
15 – Une tête qui coûte cher
Après le succès des projections tests, Steven Spielberg a voulu ajouter un dernier plan à son film : la tête de Ben Gardner surgissant d’un trou dans son bateau coulé par Bruce. Universal a refusé, jugeant que son long métrage était bien comme il était. Qu’à cela ne tienne, le réalisateur a déboursé 3 000 dollars pour financer le tournage de cette scène.
Il a ainsi investi la piscine de sa monteuse, Verna Fields. Quelqu’un a “emprunté” la fausse tête tandis que Joe Alves a reconstitué la section de l’Orca. Un peu de lait pour troubler l’eau et le plan était en boîte. C’est le plan préféré de Verna Fields pour les cris que les spectateurs poussent en voyant la tête apparaître.
Craig Kingsbury, qui incarne Ben Gardner, s’est toujours demandé comment le requin avait pu recracher sa tête dans le bateau…
16 – Steven Spielberg possède des pièces de l’Orca
Steven Spielberg a eu des cauchemars du tournage jusqu’à bien après la sortie du film. Quand la production a rapatrié l’Orca de Martha’s Vineyard et l’a installé près de l’attraction des Dents de la mer à Universal Studios, le réalisateur, en secret, passait des heures à réfléchir et à pleurer dans la cabine.
L’embarcation se détériorant avec le temps, le responsable de l’attraction l’a réduite à du bois de chauffage. Steven Spielberg apprenant la destruction de son asile thérapeutique, a fait un scandale. Il a néanmoins pu récupérer quelques éléments du bateau : deux taquets d’amarrage, les pales de l’hélice et la barre à roue de pilotage.
Perdre l’Orca lui donnait un étrange sentiment. Cependant, cela coupait le cordon ombilical qui le reliait à ses pires souvenirs de réalisateur. Cela l’a libéré.
17 – AFI
En 1998, l’American Film Institute a dressé sa première liste des 100 plus grands films de tous les temps. Cinq d’entre eux étaient réalisés par Steven Spielberg, dont Les Dents de la mer. Le réalisateur a appelé l’AFI pour leur demander de retirer son long métrage de leur palmarès. Il estimait que de meilleures œuvres méritaient la place. L’AFI a refusé.
Crédit photos : © Universal
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