Il a suffi du rôle de Tyrion Lannister dans la série Game of Thrones pour que Peter Dinklage soit connu du monde entier. Mais il lui a fallu des années pour faire la paix avec sa stature d’1,35 m. Quand il était plus jeune, les gens lui demandaient d’imiter l’acteur français de petite taille Hervé Villechaize dans son rôle de Tattoo de la série L’île fantastique (1977-1983). L’ironie veut qu’aujourd’hui, il incarne ce même Hervé Villechaize dans My Dinner With Hervé, le biopic émouvant et drôle consacré à cet homme hanté par ses démons. Le téléfilm revient notamment sur sa dernière interview – kafkaïenne – qu’il a donnée à l’ancien journaliste Sacha Gervasi, scénariste et réalisateur du film, avant sa mort tragique en 1993. Peter Dinklage entend ne pas être défini par son petit gabarit et quelques minutes de conversation suffisent pour que cette histoire de grandeur soit oubliée tant le comédien sait user de son charme – aidé en cela par cette lueur de malice dans ses yeux et la pertinence de ses propos. On sent cependant qu’il use du sarcasme et de l’autodérision pour mieux cacher une grande vulnérabilité. My Dinner With Hervé est diffusé ce 30 décembre sur OCS City.

Peter Dinklage ©Bobby Doherty

My Dinner With Hervé explore le concept de la célébrité et ses conséquences…

Peter Dinklage : La célébrité est un concept abstrait et insaisissable. Pour ma part, il y a des jours où je trouve la célébrité positive et d’autres où c’est un putain de problème. Surtout quand j’ai déménagé à New York, il y a longtemps. C’était plus pour être anonyme, pour être un Newyorkais lambda… On me remarque tout de suite dans une petite ville et je ne voulais pas que cela arrive en débarquant à New York. C’est ce que j’aime dans New York.

Puis vous avez accepté de jouer dans Game of Thrones, une des séries les plus célèbres au monde…

Oui. (Sourire) Et honnêtement, même New York vous donne envie de déménager en Antarctique. Pour ça, la célébrité est difficile. Mais elle reste liée au travail en lui-même. Certains ne font ce métier que pour être célèbres et quand vous n’avez que la célébrité à laquelle vous raccrocher, tout s’effondre forcément à un moment. C’est même dangereux car non seulement vous devenez frustré mais en plus, vous devenez transparent. C’est une attitude que je ne comprends pas.

Hervé Villechaize et Peter Dinklage

Dans le film, on voit Hervé Villechaize souvent rejeté de tous et souffrir de cette discrimination. Jusqu’à quel point vous vous identifiez à lui et à ce qu’il a vécu ?

J’ai vécu la même chose pour des raisons évidentes. Je pense qu’Hervé et moi avons approché le problème de façon différente. Il s’est en quelque sorte laissé porter – et je dis ça avec le plus grand respect – et il a pu regretter certains choix. Peut-être. Peut-être pas. Je ne suis pas sûr à 100% de ce qui pouvait traverser son esprit ou son âme. Et je ne prétendrai jamais le savoir. Je peux juste parler pour moi. Je n’ai jamais vraiment voulu faire des choses dans mon métier dont j’aurais eu honte. J’ai toujours essayé d’anticiper ça dans les projets, même si je ne savais jamais à l’avance si j’allais rater une belle occasion. Et ça a été le cas. Je pensais que le film serait de telle ou telle façon et finalement, il était différent. Par ailleurs, je crois qu’Hervé s’est beaucoup plus amusé que moi dans ce métier. Il a connu de grands moments de joie en dépit de sa fin tragique. Tout ça n’avait pas l’air de le préoccuper et je respecte ça.

Quelle est la cause du suicide d’Hervé, selon vous ?

Je ne sais pas. Je connais quelques personnes qui vivent dans une noirceur profonde et qui ont tragiquement mis fin à leurs jours. Je n’ai jamais connu ces démons qui ne font pas que vous accompagner au quotidien mais qui vous hantent littéralement. Je n’ai pas la moindre idée des souffrances que peut endurer quelqu’un au point qu’il se suicide. Je ne connais pas ce niveau de souffrance, c’est donc difficile d’en parler. Mais cette décision finale n’appartient qu’à celui qui la prend et je me dois de respecter ce choix aussi sombre, triste et tragique qu’il soit, et même s’il affecte autant de gens par la suite. Ceux qui ne connaissent pas ces démons ne peuvent pas savoir ce que c’est.

Que voudriez-vous lui demander si vous aviez une chance de lui parler ?

C’est une question difficile. Peut-être : « Pourquoi avez-vous arrêté la peinture ? Pourquoi n’avez-vous pas laissé ce talent vous porter plus loin ? ». Il avait un grand talent. Mais parfois, on abandonne un vrai talent pour quelque chose de plus brillant.

Dans Le chef de gare (The Station Agent), il y a une scène où un personnage demande au vôtre d’imiter Tattoo dans L’ile fantastique en criant : « L’avion, l’avion ! » Avez-vous connu aussi ça, comme Hervé?

Oh oui. Et aujourd’hui, je suis désolé pour toutes les personnes de ma taille qui se font appeler Tyrion dès qu’elles mettent un pied dehors. Le monde semble penser qu’il n’existe qu’une personne de petite taille sur toute la planète… En fait, nous prenons lentement possession de l’univers sans que personne ne le sache. (Sourire) Nous sommes immortels et nous l’avons été depuis des siècles. (Rires) Oui, c’est une blague aussi facile que stupide à faire à quelqu’un de petit. Et je suis certain que c’est arrivé à tous ceux qui sont comme moi. Bien sûr. Dans My Dinner With Hervé, il y a une scène comme ça mais on montre bien qu’on est plus que ça.

Peter Dinklage et Jamie Dornan dans My Dinner With Hervé

Dans certains films, Hervé Villechaize était choisi en tant qu’élément comique comme dans le James Bond, L’homme au pistolet d’or, ou dans L’ile fantastique. Receviez-vous ce genre de propositions à vos débuts ?

(Il prend un air faussement sérieux) Vous trouvez que j’ai l’air drôle ? Je n’ai aucun sens de l’humour, c’est donc difficile de me donner ce genre de rôles. Vous avez vus mes sourcils toujours froncés ? (Sourire) Bien sûr. Dans My Dinner With Hervé, il y a une scène que nous avons reconstituée où James Bond enferme Hervé dans une valise. Je me suis demandé ce qu’Hervé avait pu ressentir en la tournant car c’est assez humiliant. Et il joue un méchant dans L’homme au pistolet d’or mais à chaque fois qu’il sort son arme ou un couteau, vous vous demandez : « Est-il pris aussi au sérieux que les autres méchants ? ». Non. Encore une fois, je ne juge personne et j’adore les James Bond mais, en quoi est-ce si drôle ? C’est tout ce que j’ai à répondre. Mais oui, on m’a offert des rôles de bouffons.

Et aujourd’hui, quel genre de scénarios recevez-vous ? Est-ce que ce sont toujours des rôles qui s’adressent spécifiquement à une personne de petite taille ou pourraient-ils être joués par n’importe qui ?

C’est ce que je fuis car je ne sais pas ce que cela veut dire en termes de personnage. Si sa taille définit le personnage à chaque page, vous êtes alors confiné dans un espace pour absolument tout et cela ne m’intéresse pas. Cela ne m’intéresse d’ailleurs pas depuis mes débuts car je ne veux pas que mon travail me rende malheureux. J’ai préféré faire des petits boulots de merde parce qu’au moins c’était du travail honnête. Je ne voulais pas me montrer malhonnête vis-à-vis d’un métier que j’adore exercer.

Qu’est-ce qui vous a fait continuer à travailler quand vous avez rencontré autant de difficultés dans votre carrière ?

Le travail. Vraiment. J’adore travailler avec des gens très talentueux, des gens qui m’inspirent comme Sacha et Jamie [Dornan]. Ils vous aident à devenir de meilleurs artistes et de meilleures personnes. Et bien sûr, ma famille.

Cela un pris longtemps pour faire My Dinner With Hervé. Avez-vous eu le sentiment à un moment qu’il ne se ferait pas ? Que cette histoire n’intéressait personne ?

Quand vous travaillez sur un projet depuis des années, oui, vous vous posez forcément la question. Et quand vous le présentez, certains disent : « Mais c’est juste un film de 5 millions de dollars ! ». Mais 5 millions de dollars, c’est un sacré paquet d’argent ! Et c’est difficile d’obtenir un financement pour un film qui n’a aucune garantie de succès alors qu’il a été prouvé que prendre des risques paye souvent. Mais c’est comme avec Game of Thrones. Au tout début, quand l’idée de cette série a été présentée, on disait : « Des dragons ? De la fantasy ? Hein ? Quoi ? » Ce n’était pas très populaire à l’époque ou alors tout le monde disait que cela avait déjà été fait dans Le seigneur des anneaux. Tout repose sur des personnages géniaux et Sacha a écrit une si belle histoire, très personnelle. Les gens de HBO ont été assez intelligents pour prendre le risque comme ils aiment souvent le faire.

Peter Dinklage dans Game of Thrones

Pensez-vous que c’est grâce à Game of Thrones que My Dinner With Hervé a vu le jour ?

Cela ne lui a certainement pas fait de mal. Mais si le scénario avait été mauvais, le film n’aurait jamais été fait. Tout vient du travail de Sacha.

Que pensez-vous de cette relation entre Hervé et Danny, le journaliste ?

Ces deux hommes se ressemblent. Ils vivent un voyage parallèle et cela les rapproche. Ils se disent aussi leur quatre vérités, ils sont complètement honnêtes l’un envers l’autre. C’est ce que les vrais amis font, ils ne se laissent pas mener en bateau l’un par l’autre. C’est, je crois, ce que Danny et Hervé font.

Vous jouez un Français dans le téléfilm mais à aucun moment vous ne parlez français.

Non. (Rires) Je connais quelques mots en français. « Un peu. Un peu de pain. Croissant ? » (Rires) Sacha avait cette idée au début, que lui et moi ne parlions que français entre nous. Il parle français. Pas moi. Je lui ai dit que ce serait difficile pour moi de comprendre la moindre de ses explications en français. J’ai essayé « Le Français en 10 jours ». Ça ne marche pas. Ou peut-être que ça marche avec les gens intelligents. Mais j’ai réussi l’accent, non ?

L’accent est là, oui. Pensez-vous être aujourd’hui un porte-parole pour les gens de petite taille ?

Non, pas du tout. Je suis un acteur. Je n’ai jamais cherché à ce que mon métier devienne un moyen d’influencer les gens dans leurs décisions.

Vous êtes célèbre, vous avez une voix…

Si c’est une conséquence de ce que je fais, si les gens se sentent inspirés, c’est génial. Honnêtement. Mais si c’était mon but, cela deviendrait un métier complètement différent, celui du spécialiste de la motivation personnelle. On m’a souvent posé cette question, et ne le prenez pas mal, mais pourquoi les gens de ma taille auraient–ils besoin d’inspiration ? Qui je suis pour dire qu’ils ont besoin d’aide ? Ils n’en ont pas besoin. Je n’ai pas eu le sentiment d’avoir besoin d’aide en grandissant. J’ai eu une enfance géniale et c’était pareil quand j’étais un jeune adulte. J’étais en colère parfois, mais comme tout le monde. Et je ne vais pas prétendre que la vie est facile pour celui qui est différent physiquement car ce n’est pas le cas. Mais je ne veux pas partir du principe qu’ils ont besoin d’aide. Je ne veux pas paraître trop dur en vous répondant car c’est une très bonne question et je me la pose régulièrement depuis pas mal d’années. J’ai aussi reçu des témoignages et des remerciements inestimables de personnes de ma taille. Mais encore une fois, c’est difficile pour moi de penser ça car je ne suis qu’un acteur. Je me maquille et j’enfile un costume. Ceci étant dit, ce que je viens de dire a de quoi susciter l’inspiration, non ?

Aujourd’hui, tout le monde parle de diversité dans l’industrie du cinéma.

Je sais mais voyons ce qu’il se passe dans ce sera plus calme. Ce qui arrive en ce moment est très important mais pourquoi a-t-il fallu attendre 50 ans ? C’est perturbant. On dirait qu’aux Etats-Unis, à chaque fois qu’il s’agit d’égalité et autre, on fait deux pas en avant et un pas en arrière, un pas en avant et deux pas en arrière. C’est terrible. Mais je crois que tout commence à l’échelon le plus élevé, à celui du président. Regardez notre président aujourd’hui… Cela en dit beaucoup sur notre pays. C’est ridicule. Mais ne me lancez pas sur ce sujet.

Crédit photos : ©HBO