Il est le cocréateur d’une des séries emblématiques de Canal+, Les Revenants. Fabrice Gobert évoque les nouveaux défis rencontrés sur la saison 2 et le fait que la série lui a déjà pris 5 ans de sa vie. Pour le pire et pour le meilleur. Mais surtout pour le meilleur.

Fabrice Gobert ©Jean-Claude Lother / Haut et Court / Canal+

Fabrice Gobert ©Jean-Claude Lother / Haut et Court / Canal+

Avec cette deuxième saison, vous semblez être passé à la vitesse supérieure et utiliser encore plus les codes du fantastique.

FABRICE GOBERT : On s’est dit qu’il ne fallait rien s’interdire mais ne pas être dans la surenchère systématique. Quand on a commencé à travailler sur la saison 2, je n’ai pas senti le besoin d’aller plus loin ou moins loin dans le fantastique. Il fallait garder une distance dans le genre. Chaque épisode est différent mais il y a certainement une évolution dans la saison 2. Ce qui m’intéresse, c’est de traiter le genre de manière réaliste et de faire des allers-retours entre des scènes extrêmement intimes de cuisine et des scènes où il y a des gendarmes suspendus aux arbres. La richesse de la série est de passer de l’un à l’autre, de parfois faire dire des choses un peu improbables à des comédiens. Ces tous ces défis-là qui m’intéressent dans la forme. Après, on a d’abord réfléchi en terme de personnages : comment les faire évoluer par rapport à leur questionnement de la saison 1, c’est-à-dire l’acceptation du retour des morts, des sacrifices qu’ils sont prêts à faire pour vivre avec leurs morts, de leur capacité ou non à accepter le deuil, à accepter l’irrationnel. C’était les questions que l’on voulait traiter profondément et creuser encore par rapport à la saison 1.

les-revenants-2 4Il y a plusieurs thèmes dans la série mais le thème principal de la saison 1 était le deuil et l’acceptation du deuil. Dans cette saison 2, c’est plus le thème de comment on crée sa famille ou comment on se recompose une famille.

C’est exactement ça. Le thème de la famille qu’on se crée est très important. L’histoire du deuil va aussi revenir progressivement à l’intérieur de la série car c’est un élément hyper fort du retour des morts, fatalement. Il y a différents thèmes mais à différents moments. Les premiers épisodes sont beaucoup autour de la filiation de la famille proche et après, de la famille qu’on se crée et du rapport à l’autre, la façon dont on perçoit les autres, ceux qui ne sont pas comme nous. Mais ces thèmes sont inconscients. On ne se dit pas qu’on va traiter de la famille. C’est en racontant des histoires, en cherchant ce qui peut arriver à ces personnages qu’on se dit qu’il pourrait leur arriver ceci ou cela. Du coup, on traite d’une thématique qui nous intéresse mais l’idée est de partir de l’histoire, d’abord romanesque et ensuite de voir comment le romanesque et l’intime peuvent se mêler et comment on peut avoir des scènes où on a l’impression de creuser leur personnage et ce qu’il y a dans leur tête.

Dès la saison 1, Canal+ a estampillé la série « soap fantastique ». N’est-ce pas un peu péjoratif d’associer le mot « soap » à « fantastique » ?

Non. C’est à la limite un oxymore. Avec « soap », il y a un côté proximité et avec « fantastique » un côté « bigger than life » comme disent les Américains mais ce n’est pas mal. Au fond, on est toujours à la croisée des chemins quand on réfléchit aux Revenants. On a envie que des choses exceptionnelles se passent et en même temps, ce qui nous intéresse, c’est ce que vont se dire deux personnes, ce qu’elles vont se chuchoter à l’oreille. On est sans arrêt sur des changements d’échelle comme cela. C’est du soap dans le sens où on a essayé de mettre des histoires d’amour et des histoires de famille dans un univers chaotique où le désordre est de plus en plus patent et étrange. Cela me plaît beaucoup cette idée de soap fantastique. Cela me parle.

Comment s’est passé l’écriture avec Audrey Fouché ? Car vous n’aviez encore jamais travaillé avec elle.

Sur la saison 1, j’ai dû travailler avec une dizaine d’auteurs et de scénaristes. Je sentais bien qu’il ne fallait pas que je sois tout seul sur cette série. Le plus important en saison 1 était Emmanuel Carrère. En essayant avec d’autres scénaristes, je me suis rendu compte que cela ne dépendait pas forcément du talent du scénariste mais effectivement de la sensibilité. Avec Audrey, on a une sensibilité commune. Le sujet l’intéressait beaucoup et elle avait plein d’idées formidables. On arrivait à travailler ensemble de manière harmonieuse. Elle a compris le cadre et y a trouvé sa place pour proposer des idées et des histoires, imaginer de nouveaux personnages. Elle s’est mise au service de la série. Elle a travaillé avec Tom Fontana, elle sait que l’écriture est un travail collectif. Elle était dans le respect des choses que j’avais plantées et en même temps, elle était une force de propositions permanentes. C’est assez idéal. Après, on s’est enrichi de deux autres auteurs, Fabien Adda et Coline Abert.

les-revenants-2 2Vous avez le sentiment d’être le showrunner de la série ?

Pas vraiment parce qu’un showrunner réussit à déléguer magnifiquement et c’est quelque chose que je ne suis pas parvenu à faire. J’ai plusieurs casquettes mais c’est plus artisanal. On a trouvé une méthode où je ne suis pas tout seul, où je suis encadré par des gens qui font un travail super et qui m’aident à aller jusqu’au bout de la création des épisodes. Mais il y a un côté collectif beaucoup plus organisé dans la façon de travailler de certains showrunners américains. C’est vers cela qu’il faut tendre si on veut dix épisodes par an. Peut-être que Les Revenants n’est pas un bon exemple, que ce système-là n’est pas reproductible pour Les Revenants. Je trouve dommage d’avoir huit épisodes tous les trois ans. Il faudrait trouver une autre façon de fonctionner.

Vous avez déjà changé votre façon de travailler avec votre coréalisateur. Sur la saison 1, Frédéric Mermoud avait réalisé quatre épisodes entiers. Sur la saison 2, vous vous partagez la réalisation de chaque épisode avec Frédéric Goupil.

Que le réalisateur disparaisse du jour au lendemain est très bizarre pour les comédiens et pour le réalisateur lui-même. Cela ne va pas dans le sens de la cohérence de la série. Je préfère être là régulièrement et travailler avec quelqu’un que je connais intimement. Frédéric Goupil et moi avons une sensibilité commune. Il a été mon 1er assistant sur mon film Simon Werner a disparu… (2010) et sur Les Revenants et j’adore ce qu’il fait parce qu’il réalise par ailleurs. Cela nous offrait une souplesse dingue et une collaboration sur la durée plus riche et adaptée à mon fonctionnement. C’est une vraie coréalisation. Je ne vois pas la différence entre ses scènes et les miennes. Il y a une vraie cohérence dans la réalisation qui fait tout cela fonctionne. Cette cohérence vient également de la présence du chef opérateur Patrick Blossier qui a un rôle prépondérant sur l’image et qui est là du début à la fin.

Trois ans, c’est long, surtout quand vous tournez avec des enfants. Le petit Swann Nambotin (Victor) a changé physiquement.

Swann n’a pas changé tant que ça. Il est entre les deux. Il n’est pas encore l’ado qu’il sera sans doute dans 6 mois ou 1 an. On a joué sur ce changement subtil. Sur le tournage, certaines personnes ont dit qu’il n’avait pas changé du tout. Il y a truc subjectif dans l’idée du changement. Ce n’est pas incroyablement net.

La réplique qu’il a pour expliquer pourquoi il a grandi est très jolie.

Ce sont des défis de scénaristes. Les autres comédiens ont aussi changé. C’est très positif de raconter le changement d’une saison à une autre, d’inventer pourquoi quelqu’un s’est émacié ou a un collier de barbe. Les transformations physiques racontent beaucoup de choses et elles sont intéressantes à intégrer.

Et ces trois ans pour vous ? Comment avez-vous tenu ? Comment ne vous êtes-vous pas lassé du projet ?

Il y a eu des moments durs, oui, car on sent bien que le temps ne joue pas en notre faveur, que c’est frustrant d’avoir le sentiment que le résultat n’est pas très loin mais qu’il n’est pas encore là, qu’il faut continuer à chercher mais que le temps passe, qu’il faudrait lancer le tournage mais qu’on n’est ni prêt ni satisfait. Il y a des moments de découragement mais après, c’est passionnant. On n’est pas parti de zéro, il y a vraiment plein d’idées que je voulais raconter en saison 2 qui me passionnaient. Cela valait le coup de s’entêter. Il y avait aussi l’envie de retrouver les comédiens et l’équipe. L‘envie était également présente chez les comédiens et Canal+. C’était difficile mais cela valait le coup. C’est rare de trouver un sujet aussi fort, des personnages aussi intéressants. Ce n’est pas mon idée à la base mais la série permet de traiter en profondeur des thématiques compliquées. Le genre aussi permet cela. Une série de genre sur la mort et le retour des morts, c’est une très bonne idée. Cela vaut le coup de continuer, de s’entêter.

Déjà sur la saison 1, vous disiez que vous iriez jusqu’à trois saisons. C’est toujours d’actualité ?

les-revenants-3 4Je pense qu’une série a pour ambition et pour vocation de durer. Le fait qu’il y ait eu trois ans entre les deux saisons complique un peu la donne. J’ai l’impression que s’il y a encore trois ans d’ici la saison 3… Donc, il va falloir réfléchir à la fois à l’histoire mais aussi à la méthode. Je suis encore trop dans la saison 2 pour réfléchir à la saison 3. Il y a quelques idées. Il faudra concrètement réfléchir à tout cela une fois que je me serai libéré de cette saison 2.

Toutes les questions trouveront-elles une réponse à la fin ?

J’espère que toutes les questions seront suffisamment approfondies pour qu’il n’y ait pas de frustration. Mais ce n’est pas tant des réponses qu’il faut mais des histoires qui permettent de comprendre pourquoi les choses se passent de cette manière-là. Après, il est très difficile de savoir comment les spectateurs vont comprendre et analyser certaines choses mais j’espère qu’elles sont suffisamment présentes et claires. En tout cas, il y a cette envie que la cohérence soit là et que rien ne soit laissé de côté. Ou que les choses qui sont laissées de côté portent un imaginaire plutôt qu’une frustration.

Allez-vous tout de suite enchaîner avec la saison 3 ?

Peut-être. Je ne sais pas encore. (Il sourit)

Saison 2 – Sur Canal+ à partir du 28 septembre