Dans Falcon Express, un raton-laveur et des animaux de compagnie piégés dans un train fou doivent déjouer les plans d’un blaireau en quête de vengeance. Ce nouveau film d’animation est produit et coécrit par Jean-François Tosti, David Alaux et Éric Tosti. Tous trois ont fondé TAT, le studio d’animation toulousain qui fête ses 25 ans cette année. Á leur palmarès : Les As de la jungle, Terra Willy – Planète inconnue, Pattie et la colère de Poséidon, Pil ou encore la série Astérix et Obélix : le combat des chefs. Voici cinq clés d’un succès qui ne se dément pas. Falcon Express, réalisé par Jean-Christian Tassy et Benoît Daffis, sort en salles ce 2 juillet.
Un scénario « maison »
Jean-François Tosti (producteur et scénariste) : Avec l’expérience, je suis convaincu qu’on ne peut pas écrire et produire des histoires qui ne nous ressemblent pas. C’est important pour nous, en tant que producteurs, de ne pas lâcher l’aspect créatif. Nous avions envie d’un film concept que l’on puisse pitcher en une phrase et qui repose sur une idée forte. Le titre anglais, Pets on a train, nous a permis de vendre rapidement le film à l’international. Trouver un concept ne suffit pas. Il faut ensuite imaginer une histoire qui tienne la route, qui surprenne, avec des péripéties qui ne soient pas répétitives. Il faut donner de la chair et un arc narratif aux personnages. C’est d’autant plus complexe que l’on s’adresse à un public familial comme toutes les productions TAT.
Lorsqu’on a posé la première version du scénario en animatique, elle ne fonctionnait pas. Il y avait d’énormes problèmes de rythme, de tension. Il a donc fallu la réécrire pour trouver un équilibre entre les enjeux de survie et l’attachement aux personnages. On a dû bien doser l’humour, le ton et le suspense. Une fois validé auprès des financiers, le scénario a subi pas mal de modifications pendant un an et demi, au fil des étapes de fabrication.
Falcon Express est un vrai film d’action qui peut plaire à tous types d’adultes. On ne renonce pas pour autant à nos valeurs, aux thèmes qui nous sont chers comme la solidarité et la bienveillance. Le rapport de classes est aussi présent mais il ne s’agit pas d’être moralisateur ou de prendre le public en otage.
Benoît Daffis (réalisateur) : Le rapport de classes est un thème que l’on voulait mettre en valeur. Falcon, le raton-laveur, est comme Robin des Bois, il vole pour nourrir sa bande, des marginaux, des débrouillards. Dans le train, il se retrouve face à des animaux domestiqués, ce qui est à la fois un privilège mais aussi une forme d’aliénation. Rex, le chien policier, juge immédiatement Falcon : c’est un bandit ! Le rapport de classes est un bon ressort narratif parce qu’il est source de conflits. L’appliquer à des animaux suscite l’humour et le second degré, sans avoir besoin de forcer le message.
Jean-Christian Tassy (réalisateur) : Il y a ce paradoxe que les animaux « de luxe » sont en cage alors que les marginaux sont libres. Ils ont besoin les uns des autres… On tenait à ce que chaque personnage ait quelque chose à défendre et ne soit pas tout d’un bloc. Même Hans, le blaireau et le méchant, a aussi des failles qui peuvent le rendre touchant.
Deux niveaux de lecture : un pour les jeunes et un pour les adultes
J.-C.T. : C’est pénible d’aller en salles voir un film d’animation et de s’apercevoir que les parents scrollent sur leur portable pendant la projection. Non seulement ils s’ennuient mais il n’y a aucun échange avec leurs gamins. On a conçu Falcon Express comme un film familial, un moment de partage.
B.D. : Ce qui compte, c’est le plaisir immédiat du spectateur. Le sous-texte et les clins d’œil sont un bonus. Le chihuahua, dont la maîtresse est une influenceuse et qui a des propos complotistes, va parler différemment aux enfants et aux adultes. Le fait qu’il soit accro au sucre, aussi !
J.-C.T. : Quand les films live multiplient trop les références, les spectateurs se sentent exclus. Les films d’animation, à l’inverse, se nourrissent davantage de clins d’œil et ça tombe bien, Benoît et moi en sommes friands. Plus les niveaux de lecture sont nombreux, plus on touche un large public.
B.D. : On a fait attention à ce que les plus petits s’attachent aux personnages, les trouvent rigolos sans être gênés par des références qui leur échappent. La bande des rats évoque Chuck Norris mais elle fonctionne avant tout par sa dynamique et son humour. Même chose pour les répliques de Falcon inspirées de celles de Bruce Willis dans Piège de cristal.
Un choix minutieux du ou des réalisateurs
J.-F.T. : Un long métrage d’animation, c’est quatre ans d’implication. Notre studio développe toujours trois à quatre films en parallèle, ce qui entraîne logiquement un turnover. Faire travailler le même réalisateur sur tous les projets est non seulement impossible mais inadéquat : à chaque film sa personnalité, son univers et son ton. La sensibilité du réalisateur et son identification au projet lui donnent sa patte. Ce qui n’empêche nullement de travailler plusieurs fois avec les mêmes artistes. Laurent Bru et Yannick Moulin ont travaillé sur Les As de la jungle 2 et planchent actuellement sur deux nouveaux films chacun de leur côté.
Pour Falcon Express, Benoît était déjà impliqué dans le character design, il était mentalement immergé dans le film. Sa proposition de le réaliser avait du sens. Quelques semaines après, Jean-Christian a émis le même souhait en coréalisation. On a décidé de leur donner leur chance.
J.-C.T. : On avait travaillé sur les cinq premiers longs-métrages au sein de la boîte. Pour Jean-François, le choix du réalisateur dépend de l’ADN de chaque projet. Contrairement à Benoît, je ne sais pas dessiner. En revanche, je maîtrise la conduite d’un récit. Nos profils se complètent de manière cohérente. De plus, on avait bossé ensemble sur un épisode des As de la jungle. Benoît était à la réalisation, moi au montage. On s’était bien entendu.
Les producteurs nous ont cependant tout de suite prévenus qu’on n’avait pas intérêt à se fâcher pendant la production ! Il y a eu quelques désaccords, ce qui est normal, mais on a eu l’intelligence de s’écouter tout au long du process. Avec Benoît, on voulait faire et voir le même film.
B.D. : On s’en est bien sorti ! Sachant que Falcon Express est notre premier long d’animation, l’enjeu était plus fort que nos egos. Avec les producteurs, c’est aussi une question de confiance. Elle s’installe au fil des ans, sur une collaboration au long cours. À une époque, c’est vrai que TAT allait chercher des noms un peu plus connus mais le risque avec des réalisateurs « star », c’est qu’ils soient engagés sur plusieurs projets à la fois. Pour porter un film comme Falcon Express, il vaut mieux être disponible et présent tous les jours au studio.
Une collaboration créative entre les producteurs et les réalisateurs
J.-F.T. : Avec David et Éric, on a évolué sur le sujet. En tant que producteurs, on est davantage ouvert aux suggestions de réécriture même si on tient à notre implication. C’est important d’interagir avec les réalisateurs et d’être force de proposition. Un producteur qui se contente de dire « Ça ne marche pas », ne sert à rien. Tout réalisateur, à moins d’être un génie, a besoin d’un producteur qui l’accompagne et mette les mains dans le cambouis. Sur Falcon Express, cette dynamique créative était fondamentale.
Au départ, l’action était circonscrite au train et il y avait une quinzaine de personnages. Avec les réalisateurs, on en a sacrifié certains et on en a créé des nouveaux qui ne sont pas dans le train : la bande des rats, tontons de Falcon, les journalistes en quête de sensationnel et la petite fille qui veut sauver sa petite ocelot. Ces personnages ont permis d’aérer le récit, de sortir le spectateur du temps réel de l’action, d’amener des ellipses pour dynamiser le récit.
J.-C.T. : D’un film à l’autre, j’ai l’impression que tout devient plus compliqué. Un premier long, c’est beaucoup de responsabilité. On a appris les règles du jeu au fur et à mesure. Au moment de l’animatique, le film n’était pas encore trouvé et on a dû en rediscuter avec les producteurs. C’est là que la confiance entre nous est primordiale. On nous donne carte blanche pour modifier le scénario dès lors que l’esprit des productions TAT – leur empreinte familiale – est respecté. Ils savent très bien qu’on ne basculera pas dans le trash. Falcon Express est un film de studio, même si c’est Benoît et moi qui partons au front !
B.D. : On savait tous les deux que l’expérience serait complexe et intense. Je ne pensais pas avoir un jour l’opportunité de réaliser donc je me suis donné à fond.
J.-C.T. : Il faut savoir aussi défendre ses convictions. Comme par exemple cette séquence de combat entre Hans et Falcon calée sur la Symphonie n°9 de Beethoven. Je l’avais en tête depuis le début et je me suis battu au montage. Il y a tellement de départements d’animation impliqués que tout se joue à la frame près.
B.D. : Cette séquence était sur la sellette pour mille raisons, économiques notamment. Donc je me suis remis au storyboard pour qu’elle passe les étapes du layout puis de l’anim’. On était convaincu qu’elle amènerait du fun, de l’énergie. Je pense qu’on a eu raison.
Un budget confortable
J.-F.T. : Avec Falcon Express, on est autour de 12,5 millions d’euros [10 millions d’euros pour Pattie et la colère de Poséidon, ndlr]. À chaque projet correspond un budget mais notre objectif est d’avoir des budgets de plus en plus confortables. L’augmentation du coût d’un film ne signifie pas nécessairement un grand bond technique. Sur Falcon Express, on a payé le temps de maturation de l’histoire et de fabrication. Le film suivant, Lovebirds, coûtera plus cher mais il sera techniquement plus ambitieux. L’héroïne, une inséparable, va traverser tous les États-Unis, pour retrouver l’amour de sa vie. Cela nécessite de booster les curseurs, notamment sur la qualité de l’animation. À la différence de Falcon Express, la première mise en image du scénario a fonctionné du premier coup.
Côté entrées, on espère faire mieux que Pattie et la colère de Poséidon avec Falcon Express. Il en a le potentiel. Le concept est plus simple, les enjeux sont plus immédiats. Le film d’action s’adresse spontanément aux accompagnants des enfants.
Aujourd’hui, TAT fête ses 25 ans avec Astérix et Obélix : le combat des chefs sur Netflix ! Le studio n’a jamais eu autant d’argent sur un projet, on s’est régalé. Les conditions de travail étaient privilégiées, on avait la possibilité de fignoler, sans compter l’expérience créative, la reconnaissance et une exposition décuplée.
Crédit photos : © TAT Productions – Apollo Films Distribution – France 3 Cinéma – Kinologics