Jack O’Connell est connu pour ces rôles violents, du skinhead de This is England, au cruel chef de bande d’Eden Lake en passant par la tête brûlée de Skins, et aujourd’hui le délinquant endurci des Poings contre les murs. Son rêve est pourtant d’incarner Elvis Presley.

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Le jeune homme est trop sérieux pour son propre bien. Il ne décochera pas un seul sourire pour la photo préférant un air ténébreux. En revanche, il chantonnera et fera mine de boxer les barreaux d’une grille entre deux prises. Il veut qu’on le prenne pour quelqu’un de calme et de réfléchi. Il a savamment étudié son personnage.

Difficile pourtant de le prendre tout de suite au sérieux quand on voit son caleçon blanc assorti à ses chaussettes dépasser de son pantalon… Au point que son attachée de presse lui dira de tirer sur son polo moutarde pour le cacher. Un polo trop petit d’une taille et qui, au niveau du biceps droit, ne dissimule qu’en partie un de ses quatre tatouages : deux masques, l’un riant, l’autre pleurant. « J’aime ce symbolisme : rire aujourd’hui, pleurer demain, explique Jack O’Connell avec enthousiasme. Et puis, je suis un acteur. Aujourd’hui, j’ai 28 titres à mon actif. La dernière fois que j’ai regardé, j’en avais 10. Ces dernières années sont un vrai brouillard. Je me souviens juste de mettre senti vidé émotionnellement et physiquement. Je me suis impliqué à 100% dans tous ces projets. Je crois au dur labeur. » Il s’enfonce un peu plus dans son fauteuil et baisse la voix pour évoquer son père, décédé en 2009. « Il était cheminot et a rarement pris un jour de congé dans sa vie. Il est mon inspiration. Je regrette qu’il ne puisse pas voir où j’en suis aujourd’hui. Je suis fier de ma filmographie. La seule chose que j’aimerais améliorer est sa diversité. Les gens qui me connaissent savent que j’en suis capable. J’aime prendre des risques et je sais où je veux aller maintenant. »

Jack la fripouille

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Il semble pourtant avoir su depuis le début où il voulait aller. Il a quitté l’école à 15 ans pour se retrouver sur le plateau du film This is England à jouer un skinhead, enchaînant ensuite avec de (trop) nombreux rôles de mauvais garçons, de racailles, de « Jack the lad ». Son surnom. Et son premier tatouage, fait à 16 ans. « J’ai passé le plus clair de ma jeunesse à véhiculer une image de dur. C’était un prérequis là d’où je viens [Derby, en Angleterre, NDLR]. J’ai donc une bonne idée de ce qu’est la bravade mais aussi du sentiment d’être un moins que rien et une ordure. Le théâtre a été ma porte de sortie. »

Il a découvert l’art dramatique à l’école. Le cours était obligatoire et gratuit. Il n’aurait jamais pu s’offrir une école de théâtre. Le travail de son père lui permettait d’aller aux auditions sans payer le train. Trop cher pour lui. Le garçon parle de la pauvreté de sa famille sans s’apitoyer sur son sort. La roue a bien tourné pour lui. Il dit que Dieu y est pour quelque chose. Avant de préféré penser à un heureux hasard. Elevé en bon catholique irlandais, il a perdu la foi en chemin, ce qu’il a symbolisé en se faisant tatouer une croix toute abîmée sur son côté gauche. Il a cependant toujours sa famille à l’esprit. « Je ne fais pas ce métier pour la célébrité mais pour que ma mère et ma sœur aient une belle vie. Et éventuellement moi aussi. Si j’atteins ce but, ce sera une récompense plus belle que toute la gloire du monde. »

Sage, ou presque

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En disant cela, il retire son chapeau qui semblait jusque-là vissé sur sa tête. Il se passe la main dans une tignasse hirsute qui n’a pas dû voir un peigne ce matin. Il ne semble pourtant pas regretter les cheveux courts qu’il arbore habituellement dans ses films dont le dernier, Les poings contre les murs. Il y interprète Eric, un délinquant (encore) transféré dans une prison pour adultes. Un rôle qui se trouve dans sa zone de confort mais qui devrait être le dernier dans ce cas. « Je récolte ce que j’ai semé. J’ai toujours été limité dans les personnages qu’on me proposait car je devais utiliser à mon avantage ce que les directeurs de casting attendaient de moi. J’ai donc commencé par jouer des jeunes en colère et violents. » Il n’y a pas de regret dans sa voix. Il savait d’avance par quoi il devrait en passer pour faire ses preuves et obtenir d’autres personnages. Et sa stratégie porte ses fruits : Angelina Jolie l’a choisi pour incarner Louis Zamperini, athlète olympique et prisonnier de guerre des Japonais, dans son film Invincible. Un pur défi.

Jack O’Connell reprend son chapeau qu’il avait posé sur son genou, joue avec sa bordure puis ne sachant plus quoi en faire, le remet sur sa tête. « J’ai toujours eu une idée très claire de qui j’étais. J’étais différent des autres jeunes acteurs britanniques car pendant qu’ils apprenaient l’art dramatique dans une école, j’apprenais la vie et ça se sent dans mon travail. A 23 ans, j’ai le sentiment d’avoir vu ce que la vie a de mieux à offrir mais aussi ce qu’elle a de pire. Je me sens très mature. » Et là, il a pouffé de rire.

Article paru dans Studio Ciné Live – N°59 – Mai 2014

Crédit photos : © Film4