Dans Le Répondeur, un écrivain reconnu en quête de tranquillité engage un imitateur pour répondre à sa place au téléphone. Le premier aspire au silence et à l’invisibilité, le second rêve de lumière et de célébrité. La délicieuse comédie de Fabienne Godet raconte une jolie histoire d’amitié naissante entre ces deux hommes qui permettre à chacun d’avancer. Elle en profite aussi pour questionner avec pertinence notre dépendance au téléphone portable. Le Répondeur sort en salles ce 4 juin.

Denis Podalydès et Salif Cissé dans Le Répondeur

Denis Podalydès et Salif Cissé

L’histoire du Répondeur

Pierre Chozène (Denis Podalydès) est un romancier célèbre mais discret. Alors qu’il a besoin de calme pour écrire un livre ambitieux sur son père, il est constamment dérangé par les appels incessants de son éditeur, sa fille Elsa (Clara Bretheau), son ex-femme Clara (Aure Atika)… Il propose à Baptiste (Salif Cissé), un imitateur de talent qui ne parvient pas à vivre de son art, de devenir son ‘répondeur’ en se faisant passer pour lui au téléphone… Peu à peu, Baptiste ne se contente pas d’imiter l’écrivain : il développe son personnage et prend quelques libertés avec la vie de Pierre.

Du livre au film

Fabienne Godet, réalisateur du Répondeur

Fabienne Godet

Le Répondeur, le film, est adapté du Répondeur, le livre de Luc Blanvillain paru en 2020. “La première partie de ce travail a été de me demander pourquoi cette histoire me touchait, de clarifier en quoi elle résonnait avec mes propres interrogations ou obsessions, confie la réalisatrice Fabienne Godet. Cette étape a été fondamentale. Elle a guidé les choix que ma co-scénariste Claire Barré et moi avons faits ensuite. Nous avons donc resserré l’intrigue autour de la relation Baptiste/Pierre Chozène.” 

Les deux femmes ont également creusé l’idée que Pierre, désireux de se mettre à l’écart d’une vie sociale qui lui pèse, transmet à Baptiste, en quête de reconnaissance : “Il faut vivre sa vie maintenant et pleinement, sans chercher à l’hypothéquer au profit d’un succès aléatoire et éphémère”.

Les imitateurs

Fabienne Godet a choisi Salif Cissé pour le rôle de Baptiste pour son talent. Elle a juste dû quand tester sa voix par rapport à celle de Denis Podalydès. “Michaël Gregorio, l’un des meilleurs imitateurs en France, a participé au film très tôt, dès l’écriture, précise la réalisatrice. Il m’a accompagnée dans ce travail et m’a confirmé ce que je ressentais : il y avait une proximité entre la voix de Denis et Salif. Elles pouvaient donc s’accorder au service de l’histoire. »

Salif Cissé et Denis Podalydès

Salif a d’abord travaillé avec Michaël Gregorio pour se rapprocher de la voix de Denis. Mais Fabienne Godet souhaitait que Baptiste ne soit pas seulement un imitateur de voix parlée mais aussi un imitateur de voix chantée. Ce qui n’est pas le cas dans le livre. Salif s’est donc attelé à la tâche, coaché par trois imitateurs différents qui ont chacun leurs spécificités. Ainsi, dans Le Répondeur, Fabian Le Castel fait les voix de Columbo, Sarkozy, Chirac mais également de Johnny (pour la chanson Diego) et Bashung. Eklips est derrière la voix des morceaux de rap. Michaël Gregorio interprète Michel Berger ainsi que la chanson de fin, Moonlight in Vermont, avec Sinatra et Fitzgerald. Salif a appris chaque chanson pour pouvoir les interpréter en live devant un public. Il a aussi étudié la gestuelle, indispensable pour être crédible. Tout comme pour les voix car une imitation passe aussi par le corps.

La voix parlée

Quand Baptiste imite Pierre, c’est un mélange des voix de Salif Cissé et de Denis Podalydès. Salif a travaillé avec Michaël Gregorio pour se rapprocher le plus possible de la voix de Denis sur le tournage. Denis a ensuite postsynchronisé toutes les séquences où Salif l’imite, en se calant sur son jeu. “Chacun a fait un chemin vers l’autre, ajoute Fabienne Godet. La monteuse son, Anne Gibourg et son assistant Grégoire Chauvot, ont ensuite effectué un travail de dentelle, à l’ancienne, syllabe par syllabe, respiration par respiration, respectant y compris les petits bruits de bouche que personne n’entend. Le mixage de Laure Arto a fait le reste. Ce film est un film où le travail du son est capital. C’est la raison pour laquelle, au générique de fin, l’équipe son précède l’équipe image.”

“Je n’ai pas ce don d’imiter, confie Salif Cissé. Restait à œuvrer en tant qu’acteur et interprète. L’idée était de ne pas chercher à imiter la voix de Denis à la perfection – même s’il y a une proximité dans nos tessitures vocales un peu sableuses et profondes – cela aurait été une erreur. Il était plus intéressant de faire croire que je parlais avec sa voix, ce qui est un cheminement très différent. Il fallait que je capte l’essence de ce qu’est Denis pour réussir à créer l’impression.” Salif a écouté du Podalydès tous les jours : interviews, podcasts, lectures audios… afin d’étudier son intonation, sa cadence, son rythme, sa manière de poser les mots, sur lesquels amplifier.

La voix chantée

Salif Cissé

Pour les imitations chantées, Salif avait une oreillette pour le playback mais chantait vraiment sur le  plateau de tournage. “Il s’agit en fait d’une deuxième préparation puisque toutes ces scènes de spectacle ont été séparées du tournage et que cela nous a pris un bon mois, précise l’acteur. La prestation qui rend compte vraiment de cette difficulté c’est la dernière chanson, Moonlight in Vermont, voix de femme et d’homme mélangées. Donc extrêmement difficile à interpréter à tous les niveaux et effectivement, comme pour tous les autres titres, il fallait que je chante vraiment pour donner l’illusion devant une salle pleine. Je donne tout, peu importe le résultat in situ. Je suis dans mon rôle et c’est ce que j’avais demandé à Fabienne : être dans de vraies conditions de spectacle, ne pas tricher. Et qu’elle en fasse ce qu’elle veut à la fin.”

Quand Denis rencontre Salif

“La première fois que j’ai vu Denis jouer c’était en 2019 sur la scène de la Comédie-Française, où j’allais pour la première fois, explique Salif Cissé. C’était dans Fanny et Alexandre, une pièce tirée du film d’Ingmar Bergman et mise en scène par Julie Deliquet. Il n’avait pas le premier rôle mais sa présence sur scène m’a marqué profondément : sa voix, son rapport à la parole, sa maîtrise de l’ensemble, j’ai vu un maître à l’œuvre. Et c’est étourdissant pour un jeune comédien. Quand j’ai su que Denis jouait Chozène j’ai repensé à ce moment. J’étais impressionné, mais je l’ai surtout ressenti comme un honneur. On me demandait d’être lui en Chozène. La barre était haute, le défi passionnant à relever.”

Denis Podalydès et Salif Cissé

“Denis est quelqu’un de très occupé, continue Salif Cissé. C’est bien connu, il fait mille choses en même temps. Cependant, nous avons fini par caler une lecture sans avoir eu de contacts au préalable. Donc nous sommes rentrés directement dans la phase travail, sans fioritures, ce qui nous convient à tous les deux, je pense. Cette lecture était importante puisque je devais m’imprégner de lui. Tout s’est très bien passé. J’ai senti qu’il était là, présent à 100%.”

“J’avais découvert Salif dans le film À l’abordage de Guillaume Brac et je l’avais trouvé prodigieux, raconte Denis Podalydès. Mon frère Bruno avait aussi remarqué Salif et pensé à lui pour un projet qui ne s’est pas fait. Quand Fabienne m’a annoncé qu’il allait incarner Baptiste, j’ai été très heureux. Salif allie la puissance et la finesse, la douceur, la légèreté et une belle gravité. Il possède une grâce qui calme et apaise. J’en ai grandement profité.V

“Fabienne voulait nous entendre rapidement ensemble parce qu’elle avait cet enjeu crucial des voix, continue Denis Podalydès. Nous avons travaillé plusieurs hypothèses concernant ce rapprochement, le tout conseillé subtilement par Michaël Gregorio. Il fallait que nous fassions ce chemin l’un vers l’autre. Nous nous sommes tout de suite sentis à l’aise.”

Une célébrité encombrante

Denis Podalydès

“Un écrivain qui confie sa voix à un imitateur pour se débarrasser de lui-même, de sa propre vie et ne s’adonner qu’à l’écriture : j’ai trouvé cela culotté et gonflé, donc intéressant, précise Denis Podalydès. Cela relève du fantasme que beaucoup pourraient avoir de mettre leur vie entre parenthèses, de s’enfermer dans leur atelier personnel, de s’abstraire du monde et de se consacrer exclusivement à leur art. Bon, ce n’est qu’une illusion, on le sait. Mais cette histoire est un conte, on admet que le propos ne soit ni réaliste, ni vraisemblable. Pourtant, quand bien même il ne l’est pas, je trouve que le film est assez fin pour que ça vaille le coup d’en assumer et d’en jouer la fiction. » 

[La notoriété et les sollicitations qu’elle entraîne ont dû m’encombrer] à certaines périodes de ma vie même si je n’en ai pas de souvenirs précis, concrets, reprend Denis Podalydès. Je crois que ce qui m’a surtout encombré, c’est l’investissement dans le travail. J’ai eu un goût frénétique de la salle de répétition, ou de m’enfermer dans mon bureau pour travailler. S’abstraire de l’existence est une idée ou une aspiration qui m’a longtemps poursuivi. Depuis la naissance de mon fils aîné il y a dix ans, c’est quelque chose qui n’est plus possible. J’ai renoncé, non sans un certain bonheur. Le culte de la tour d’ivoire, qui m’a accompagné, revêt des aspects sombres, une incapacité à faire avec la vie notamment. En s’adonnant uniquement au travail pour tout combler, on peut aussi se confronter à un autre vide, celui de la création qui n’est plus nourrie.”

Une direction d’acteur atypique

Clara Bretheau et Salif Cissé

“La direction d’acteur, c’est d’abord et avant tout pour moi, une grande confiance réciproque, affirme Fabienne Godet. Concrètement, je ne fais jamais de répétitions à proprement parler avec les comédiens mais j’aime discuter avec chacun de leur personnage, avant le tournage. Le scénario était très écrit mais nous prenions le temps chaque matin de discuter de la scène à jouer et de sa mise en espace. Nous avons aussi parfois fait des improvisations. J’aime que le plateau soit un espace vivant où l’on réinterroge le scénario même si la comédie est un exercice de style qui se doit d’être rythmée et que la marge de manœuvre reste mince face à cette contrainte.”

“Cette forme de répétition sans caméra est très appréciable, admet Denis Podalydès. Cela permet de trouver des idées y compris de cadre comme lorsque Baptiste s’assoit au bureau de Pierre et appelle Elsa pour la première fois. Je voyais d’un seul coup le tableau de Baptiste en moi à mon bureau. Bertrand Tavernier appliquait cette méthode de travail de façon systématique, tous les jours. J’aime ces moments de réflexion pendant lesquels, un peu comme au théâtre, la lumière jaillit sans qu’on sache précisément qui l’a allumée. C’est un travail de résolution collective. Mais cela suppose évidemment d’être à l’écoute de tout et de tous. Ces temps calmes, précédant la mise en place technique, favorisent aussi l’ambiance, l’entente entre réalisation et interprétation.”

Aure Atika et Denis Podalydès

“Avoir la possibilité de ce moment qui nous appartient en début de journée est très enrichissant, confirme Salif Cissé. Des idées naissent comme dans la scène où Baptiste vient voir Chozène pour lui montrer qu’il tient sa voix. Spontanément je me suis assis à son bureau, ce qui n’était pas prévu par Fabienne. Denis a trouvé ça formidable, parce que Baptiste s’installait, prenait la place de Chozène. Et nous avons gardé cette mise en place. Avec les techniciens tout autour de nous, peut-être qu’il aurait été plus difficile de convaincre Fabienne.”

Pour Staying Alive, c’est mort

Pour la sonnerie de téléphone de Pierre, Fabienne Godet espérait utiliser Staying Alive des Bee Gees, “parce qu’elle avait plus de sens, explique la réalisatrice. Rester en vie, c’est la vraie question concernant Pierre. Il a quelque chose de mort en lui que Baptiste va réveiller. D’ailleurs c’est la musique qu’on utilise pour faire un massage cardiaque. Mais les droits étaient beaucoup trop chers. Donc nous nous sommes rabattus sur une autre musique que nous trouvions drôle et décalée par rapport au personnage : The Freak de Chic”.

Crédit photos : © Tandem Distribution