Dans Eternal, son deuxième long métrage après Sons of Denmark (2020), le cinéaste danois Ulaa Salim préfère le tumulte intérieur à la grandeur cosmique. Son histoire d’amour gangrénée par les regrets d’une vie passée supplante en effet une intrigue de science-fiction sur fond d’apocalypse annoncée. S’inspirant de sa vie personnelle, l’auteur-réalisateur signe ainsi une œuvre à la fois profondément sincère et résolument ambitieuse. Eternal sort en salles ce 30 juillet.

Viktor Hjelmsø et Anna Søgaard Frandsen incarnent Elias et Anita jeunes

L’histoire

Une fracture apparue dans les fonds marins entraîne un effondrement climatique et, à long terme, la fin du monde. Elias, pilote de sous-marin et climatologue, a l’ambition d’aller sceller cette faille. Mais il est aussi amoureux d’Anita, une apprentie chanteuse. Quand l’opportunité de réaliser son rêve lui est offerte, il préfère quitter la jeune femme. Quinze ans plus tard, alors qu’il travaille sur la fissure océanique, Elias a des visions d’une vie alternative avec Anita. 

Eternal s’inspire d’un court métrage du même nom que vous aviez réalisé en 2012. Pourquoi explorer à nouveau cette histoire ?

Le cinéaste Ulaa Salim © Hashim Musa

Ulaa Salim : J’aimais beaucoup un élément de ce court. Quand je l’ai écrit, j’avais une vingtaine d’années. Ma façon de penser et mes émotions étaient vraiment caractéristiques de cet âge-là. Dès que sont apparues les idées du nouveau film – la création d’une famille, le changement de vie, des personnages à deux époques de leurs existences – je me suis dit que ce serait intéressant de revisiter la façon de penser que j’avais à vingt ans. C’est un peu comme une expansion du temps, comme plusieurs versions de moi-même confrontées à l’amour.

Il y avait donc quelque chose d’assez sincère dans le fait de mettre un peu d’amour jeune et naïf dans ce film. Car même quand on vieillit, qu’on devient adulte, père, on n’oublie pas cette sensation pure de l’amour. C’est cette émotion de la jeunesse que je voulais retrouver.

Hormis cela, le long métrage est complètement différent. Il est centré sur la famille et sur la très grande peur, quand vous avez des enfants, de ne pas être un bon père ou une bonne mère.

Comment êtes-vous passé de cette base intime à ce récit de science-fiction ?

Anna Søgaard Frandsen et Viktor Hjelmsø

Nous essayons tous de vivre nos vies et d’avoir une existence la plus longue possible. Néanmoins, quoi que nous fassions, cette existence aura un terme. C’est la même chose pour notre planète. Notre monde finira. Peut-être pas tout de suite, ni dans une centaine d’années, mais cela arrivera. J’ai donc plutôt travaillé l’histoire dans cette direction, davantage qu’à travers une approche activiste.

De plus, j’aime les films dont la profondeur vous touche, comme Kramer contre Kramer que j’ai vu avant et après mon divorce. J’aime aussi me mettre à la place du spectateur et essayer d’éviter les clichés. C’est un mélange comme dans mon premier film Sons of Denmark. Je suppose que j’aime cette combinaison ! 

La vérité est qu’une histoire comme celle-là ne fonctionnerait jamais sans émotions. Ces émotions n’auraient pas non plus le même impact si je m’étais limité à une histoire plus simple.

Pourquoi avez-vous centré le film sur la parentalité ?

Nanna Øland Fabricius interprète Anita adulte

Quand j’ai commencé à écrire ce film, je ne savais pas si je voulais des enfants. Plus tard, ma petite amie de l’époque est tombée enceinte et mon fils est né. Il avait environ un an quand j’ai commencé le tournage d’Eternal. D’une certaine manière, ce film reflète toutes ces années où j’ai expérimenté le fait d’être père. L’histoire s’est ainsi articulée autour du type de parent que l’on devient et de la vie que l’on peut mener avec des enfants. Puis, elle a commencé à se recentrer autour de la notion du temps. Le rapport au temps change beaucoup lorsque l’on a des enfants.

Vous n’essayez pas de rendre sympathique votre protagoniste principal, Elias.

J’aime ce genre de personnages. Ce ne sont pas des héros, ils ne font pas toujours les bons choix. Mais ce ne sont pas non plus des antihéros. Les êtres humains sont en réalité plus complexes que ça. Nous sommes quelque part entre les deux.

Simon Sears joue Elias adulte

Nous commettons des erreurs dont nous tirons souvent les leçons trop tard. C’est humain et lorsqu’on le voit à l’écran cela nous fait sans doute réfléchir à notre propre passé. Au début, c’est Anita (interprétée par Anna Søgaard Frandsen et Nanna Øland Fabricius à différents âges) le personnage principal parce qu’elle a le dilemme le plus fort. Puis les rôles s’inversent et on découvre vraiment leurs points de vue respectifs. Elias (Viktor Hjelmsø et Simon Sears) voulait faire quelque chose de bien, quelque chose d’important pour l’humanité. Mais au fond, c’était surtout de l’égoïsme. Il se rend compte lentement qu’il a manqué sa chance.

D’où vient l’idée d’injecter un élément mystique dans votre récit ?

Je ne voulais pas qu’Elias descende jusqu’à la faille sous-marine, que quelque chose de magique survienne et qu’on en reste là. Je souhaitais qu’on soit centré sur sa quête intime, sur son expérience personnelle. Chaque spectateur peut aussi projeter ses propres quêtes existentielles. 

Ce qui est mystique, c’est l’amour, le bonheur, les peurs alors qu’on examine sa propre vie. Quand on en parle, ces éléments peuvent vite devenir banals. Cependant, on sent bien que nous cherchons tous quelque chose de plus grand que nos propres vies ou que nous-mêmes. Beaucoup de gens qui ne se considèrent pas comme religieux touchent à ce genre de questions à un moment ou à un autre de leur vie, sans savoir pourquoi. Ils ressentent la nécessité de penser, de croire, d’espérer, qu’il y a quelque chose de plus. Injecter quelques éléments de ce genre dans l’histoire lui donnait une autre dimension émotionnelle.

Crédit photos : © KMBO – Morten Rygaard – Plaion Pictures