Netflix diffuse à partir du 13 septembre une nouvelle série de genre dont elle a le secret. Déconseillée au moins de 16 ans, Marianne raconte en 8 épisodes de 52 minutes les terrifiantes aventures d’une auteure de romans d’horreur dont l’un de ses personnages, une sorcière, prend vie dans la réalité. Créée et réalisée par Samuel Bodin, elle est notamment interprétée par Victoire Du Bois, Lucie Boujenah, Alban Lenoir et Mireille Herbstmeyer. Le tournage s’est déroulé du 17 novembre 2018 au 7 mars 2019 en Bretagne et en Ile-de-France. On y était.

Victoire Du Bois incarne Emma Larsimon, auteur de romans d’horreur

La maison se découpe sur le ciel gris. Ses fenêtres et son porche semblent dessiner un visage triste sur sa façade. A la poignée de la porte d’entrée est accrochée une petite bourse faite d’une matière qui ressemble à de la peau humaine. L’intérieur de la demeure est grand mais assez sombre, même en pleine journée. Ses lustres oscillent au moindre courant d’air, projetant des ombres inquiétantes sur les murs. Son parquet craque et ses portes grincent. Le tic tac de sa comtoise résonne dans toutes les pièces. C’est la maison familiale d’Emma. La jeune femme vient de faire une découverte macabre qui lui déchire le cœur. Un ricanement qu’elle identifie aussitôt se fait entendre à l’étage. Elle monte l’escalier et se retrouve face à Mme Daugeron, la mère d’une de ses amies d’enfance. Mme Daugeron est assise sur le sol, contre le mur. Son visage et ses mains sont couverts de sang frais. Elle tient un grand couteau. Il est clair qu’elle vient juste de s’en servir. Ses yeux pétillent. Ses lèvres arborent un rictus pervers. En voyant Emma en haut des marches, elle lui dit : « Emma. J’avais promis. Tu vois. » Elle émet un nouveau petit rire sinistre et sadique et Emma se précipite sur elle. « Coupez ! », crie le réalisateur Samuel Bodin.

Du cauchemar à la fiction

Nous sommes à Soisy-sur-Seine, en Essonne, dans la maison d’enfance d’Emma Larsimon, une auteure de livres d’horreur. C’est l’un des décors principaux de la série Marianne. Dans l’histoire, elle se situe en Bretagne. La bâtisse trône dans un grand jardin. Un arbre cassé par la dernière tempête s’est avéré parfait pour nourrir l’étrangeté des lieux et est devenu un élément du décor. L’équipe déco a ajouté un puits recouvert de lierre et une cabane en bois. Elle a aussi creusé un trou du diamètre d’une plaque d’égout qui, quand il n’est pas utilisé dans un plan, est caché sous une trappe avec un cône de couleur dessus afin que personne ne tombe dedans. Cette excavation joue un rôle essentiel dans le récit au point que son intérieur a été construit un peu plus loin. Derrière la maison, on trouve en effet un bout de décor ressemblant à une tombe qui aurait été placée à la verticale. Le conduit du trou fait deux bons mètres de haut et est de la largeur d’un homme. Trois de ses cloisons sont recouvertes de terre et de bouts de racines. La quatrième a été retirée permettant à la caméra de filmer les actions qui s’y déroulent. Une échelle en bois est accrochée à la paroi du fond. Des murs de chaque côté, surgissent des prothèses de mains aux doigts crochus et aux ongles longs. Comme celles des monstres qui peuplent les romans d’Emma.

L’écrivaine a commis toute une série d’aventures de Lizzie Larck, une botteuse de fesses de démons, et notamment de celles de la sorcière Marianne. Cette dernière est un esprit maléfique qui passe de corps en corps et qui ne repart jamais sans rien. Cette histoire remonte aux années d’adolescente d’Emma. A l’époque, elle faisait des cauchemars en spirale. Quand elle pensait se réveiller d’un mauvais rêve, elle se retrouvait en fait dans un autre. Puis dans un autre. Jusqu’à son vrai réveil. A chaque fois, elle était terrifiée par la même entité, Marianne, qui prenait l’apparence de gens qu’elle connaissait. Pour l’identifier, elle lui posait la question : « Es-tu Marianne ? ». Et Marianne ne pouvait pas lui mentir.

Emma a fait cesser ses cauchemars en les écrivant. Elle a alors créé son héroïne, Lizzie Larck, afin de tuer Marianne. Après 10 ans, l’auteure à succès vient de publier son tout dernier tome, un ultime récit où Marianne meurt enfin. Emma veut en effet passer à autre sujet même si elle ne sait pas encore lequel. Mais Marianne en a décidé autrement. Elle devient une réalité dans la vie d’Emma et lui pose un ultimatum : Emma doit la faire renaître dans de nouveaux romans ou elle s’occupera de sa famille et de ses amis, là-bas, à Elden, un petit village breton « habité par le Mal », dixit le curé du coin.

Le rire dans l’effroi

Le scénariste et réalisateur Samuel Bodin est à l’origine de Marianne – qu’il a coécrite avec Quoc Dang Tran (10%, Nox). Il est plus connu pour sa série comique Lazy Company qui parodiait les films de guerre. Son passage vers l’épouvante n’est qu’un concours de circonstances. « La société de production Empreinte Digitale m’a demandé si j’avais une histoire fantastique à décliner en série, raconte-t-il. Je leur ai apporté cette histoire-là. J’avais déjà quelques bouts du récit car il s’inspire d’un cauchemar que je faisais souvent à la préadolescence et dans lequel je fuyais une sorcière qui se cachait dans tous les gens que je connaissais. La seule chose qu’elle ne pouvait pas faire était de me mentir quand je lui demandais si c’était elle. Je courais dans des lieux qui m’étaient plus ou moins familiers et quand je voyais quelqu’un, je lui posais la question : ‘Sorcière ?’. Il me répondait oui ou non. Si c’était oui, je me remettais à courir jusqu’à la prochaine personne que je croisais. J’ai fait ce cauchemar pendant longtemps. Ensuite, quand j’ai vu It Follows, lui aussi basé sur un mauvais rêve, je me suis renseigné. Apparemment, c’est une forme de cauchemar que font beaucoup de garçons à la préadolescence. Marianne partait donc de ça. Je voulais également créer un rôle féminin qui ne soit pas là pour défendre un amour, sa famille ou un enfant. Je souhaitais qu’elle existe par elle-même et qu’elle se surprenne à défendre quelque chose de moral et non quelque chose d’établi. Et puis j’aime beaucoup les livres. Marianne s’est construite comme ça. »

S’il ne veut pas donner de genre à sa série, Samuel l’apparente quand même à « un train fantôme. On n’est pas dans l’horreur psychologique pure. Il y a de l’épouvante et du fantastique. C’est beaucoup de portes qui s’ouvrent toute seule, de voix dans la tête. C’est une sorcière qui pourrait venir de chez Blanche-neige. Ce n’est pas graphiquement violent. Il n’y a pas trop d’effusions de sang ni trop de gore. Je n’ai pas encore le recul ni le talent pour créer une vraie frayeur blanche comme dans Shining ou une terreur qui s’insinue comme dans L’Exorciste. On va plus sursauter. Je veux aussi donner un rythme rapide, comme dans un petit grand huit. Mais c’est une histoire de sorcière, on va donc se faire peur au coin du feu. Cependant, j’essaye de ne pas me cantonner dans un genre car après, cela m’empêche de faire des choses. J’espère que les gens ne verront pas que l’épouvante et qu’au bout d’un moment la série leur ouvrira des portes afin qu’ils se posent des petites questions sur eux-mêmes. Je pense également qu’on va rire un peu. L’humour est nécessaire dans toutes les histoires même les plus dramatiques. Il faut en tout cas que le personnage ait de l’humour, c’est un signe d’intelligence. »

Cet humour ne se place pas en parodie avec le genre ou la situation mais est créé par les réactions et le comportement d’Emma par rapport à tout ce qui lui arrive. « Il n’y a pas de crises de rire mais des moments où la tension se relâche, continue Samuel. La tendresse d’Emma ressortira de son humour. J’espère qu’elle nous touchera par ça. » Car de prime abord Emma n’est pas très sympathique. Elle se montre cassante, égoïste, opportuniste et méchante. Ainsi, elle révèle la toute fin de son dernier roman lors d’une lecture publique, elle ne se soucie jamais de la sensibilité d’autrui et elle abuse effrontément de la gentillesse de sa fidèle assistante, Camille. « Je trouve cela mortel que ce soit une héroïne qui possède un côté immoral et un certain rapport à la violence, sourit Victoire Du Bois (Call me by your name), l’interprète d’Emma. Elle a un petit feu intérieur qui n’est pas toujours bien géré. Elle picole pas mal. Elle n’a pas tellement de moralité quant au couple ou au fait de devoir construire quelque chose. Elle se détruit un petit peu. Quoique ne pas construire n’est pas forcément destructeur. C’est peut-être juste une définition de la liberté. Emma est libre. Elle est aussi habitée depuis longtemps par quelque chose avec lequel elle se bat. Cela me parle. C’est l’intérêt des films et séries un peu extrêmes, c’est cathartique. C’est très humain. » Humain au point de tuer ?

La peur au coin du feu

Victoire Du Bois et Mireille Herbstmeyer

Le tournage se poursuit dans la maison familiale d’Emma. Au premier étage, Victoire étrangle Mireille Herbstmeyer (Les petits meurtres d’Agatha Christie) alias Mme Daugeron possédée par Marianne. La caméra est en gros plan sur le visage de Mireille qui a les mains de Victoire serrées autour de son cou. On entend ses halètements mêlés aux souffles d’effort de Victoire. Mireille arrête les prises régulièrement quand la pression de Victoire se fait trop forte. A chaque coupure, Samuel s’inquiète : « Tout le monde va bien ? ». Pour le contrechamp sur Victoire, c’est lui qui remplace Mireille afin de se faire étrangler hors champ. Victoire est alors plus à l’aise et redouble d’énergie.

« Tourner ce genre de scènes est amusant mais dur physiquement, admet la comédienne. En plus, le cou est une zone sensible. Je n’avais pas envie de faire du mal à Mireille. C’était plus facile avec Samuel. Après, se mettre dans cet état d’intensité et fantasmer, c’est toujours intéressant et cool à jouer. Tu as envie de toucher à quelque chose d’animal. Tu te dis qu’il y a cette possibilité de. C’est hyper agréable d’y penser. Tu te sens sûre de toi. Tu ne pourrais pas vivre comme ça bien sûr, ce serait le bordel, on se tuerait, mais dans le jeu, j’aime bien ça. J’étais en train de lire Sorcières de Mona Chollet quand j’ai appris que j’étais prise sur cette série. La question de la peur du monstre et de la monstruosité des femmes – mais pas forcément que des femmes – est passionnante. Comment peut-on croire qu’on est habité par le Mal ? Comment cela se construit-il ? Pour une actrice, c’est excitant de chercher à se servir de la peur de son propre monstre. »

Mais cela a quand même un coût psychologique et la comédienne a dû trouver un moyen de se détacher de son personnage et du sujet de la série. « J’ai un petit rituel bizarre chez moi avec de la sauge et des bois de Palo Santo, avoue Victoire. Cela fait un peu sorcière mais ça me fait du bien. Je lis aussi des trucs sur des blogs d’écolos qui font de la médecine. Ça m’apaise. Ou alors j’écoute des trucs de philo. J’ai aussi mis des choses qui m’appartiennent dans ma loge, comme si j’étais là depuis 15 ans. C’était important de me créer mon espace. » Surtout qu’Emma et Marianne s’affrontent pendant près de quatre mois de tournage.

Le mystère reste entier

Le choix du face à face entre deux femmes était une donnée primordiale pour Samuel. Il voulait d’un côté une héroïne qui ne trouve pas sa place ni socialement ni émotionnellement dans ce monde et de l’autre une antagoniste coincée dans quelque chose de fantastique et qui ne trouve donc pas non plus sa place dans le monde comme on le connaît. Le look des deux a été soigneusement dessiné. Concernant Emma, Samuel désirait un costume expressif, graphique et coloré – noir, rouge et blanc – et une coupe de cheveux qui fasse ressortir les angles du visage de Victoire. Il entendait que l’ensemble de sa série fasse pop culture, évitant ainsi d’aller dans « l’horreur délavée et sombre ». Il cherchait d’ailleurs une actrice possédant ce côté-là et qui l’exprime dans sa manière de bouger, dans son comportement. Il a pensé au style de Kristen Stewart et a trouvé Victoire. Cette dernière s’est inspirée du personnage de Lisbeth Salander de Millenium mais aussi des interprétations de comédiennes comme Elisabeth Moss et Tilda Swinton.

Quant à Marianne, elle montre son vrai visage quand elle n’est pas en possession du corps d’un autre. Elle est incarnée par une actrice qui porte un masque à la fois inventif et effrayant – et que Samuel entend garder secret jusqu’à la diffusion de la série. Afin de donner l’illusion que Marianne quitte un être physique, le réalisateur a préféré la technique traditionnelle de la superposition entre les deux visages plutôt qu’un trucage numérique. Le côté old school de la série est d’ailleurs totalement assumé. Les références de Samuel tournent autour de Sergio Leone, John Carpenter, Wes Anderson ou encore James Wan. Il dit aussi avoir été marqué par Hérédité, It Follows et Morse, « de petites perles fantastiques ». On sent également l’influence de Seven, de L’Exorciste, d’Alien et de Stephen King (Misery, Ça).

Elden est un Derry breton où Emma a grandi avec une bande d’amis qu’elle ne voit plus depuis 15 ans. Ils s’étaient baptisés « les gamins de l’épave » car leur lieu de rendez-vous était la carcasse d’un vieux bateau échoué sur la côte. Les flashbacks montrent les quatre cents coups d’Emma et le pourquoi et le comment du vol en éclats de leur petit groupe. « La série parle du pardon dans l’amitié, révèle Samuel. On s’étonne toujours des amitiés qui durent très longtemps mais on oublie souvent que ces amitiés passent par le pardon de choses qui sont en fait impardonnables – c’est pour cette raison que les amitiés explosent en milles morceaux. Marianne explore aussi le pardon qu’il faut se donner à soi-même. » Emma a en effet beaucoup de choses à se faire pardonner. Elle ne fait que « casser les jolies choses et empoisonner les gens qu’elle approche » comme disent ceux qui la connaissent. Elle-même sait que tout le monde lui en veut, à tort mais aussi à raison. Cette fois, si elle n’obéit pas à Marianne, elle sera punie mais d’autres le seront avant elle. Marianne n’épargne personne. Pas même les enfants. Ni les bébés. Mais pourquoi tant de haine ?

Samuel le promet, la série ne nous laissera pas dans la frustration. Quoique. « J’ai lutté avec nos amis de Netflix qui voulaient que j’en dise plus. On livre donc les règles du jeu mais tard. Je suis un amoureux de Twin Peaks où David Lynch nous a donné les règles 15 ans plus tard. Et encore, il en a gardées quelques unes pour lui. Et donc, on fournit des explications, mais pas toutes. Certaines devront être devinées et des choses resteront un peu floues. Je crois que le fantastique meurt quand on connaît tout. Je me suis cependant forcé à tout comprendre parce que je veux que les choses soient cohérentes. Néanmoins, au final, j’ai conservé secrètes plein de pièces du puzzle. En tant que spectateur, cela m’excite tellement quand je m’assois et que je ne sais pas ce qu’il va arriver. Et puis, je voulais écrire une histoire fantastique avec des sorcières, des fantômes et des démons. Il n’y a pas d’explication psychologique plausible à ça. » Marianne ne serait peut-être pas de cet avis…

Crédit photos : ©Empreinte Digitale / Netflix

Article paru dans L’Ecran fantastique – N°411 – Septembre 2019