Avec Les Tourmentés, Lucas Belvaux adapte son roman éponyme paru en 2022. Pour oublier son ennui, Madame, une veuve fortunée, charge Max, son majordome, de lui trouver un candidat pour une chasse à l’homme moyennant une belle somme d’argent. Il contacte Skender, son frère d’arme et ancien légionnaire sans le sou. Plus qu’une chasse à l’homme, c’est une chasse à la vie entre écorchés vifs, aussi palpitante que dramatique, que nous livre l’auteur-réalisateur. Les Tourmentés sort en salles ce 17 septembre.
Contrairement à ce que suggère le synopsis, Les Tourmentés ne raconte pas une chasse à l’homme.
Lucas Belvaux : Raconter une chasse à l’homme, stricto sensu, ne m’intéressait que moyennement. Quel que soit le film, au fil de l’écriture, les personnages se construisent, s’enrichissent, s’humanisent, deviennent de plus en plus complexes, de plus en plus proches, aussi. On s’y attache. Et plus je m’attachais à eux, moins la chasse, son issue, m’intéressait. Parce qu’elle a été racontée cette chasse-là – celle-là où une autre, peu importe – et plutôt cent fois qu’une, alors qui va mourir, qui va survivre et comment… Ce qui m’apparaissait de plus en plus passionnant, c’est pourquoi et comment ils en étaient arrivés là. On vit une époque brutale, violente, où « le bruit et la fureur » deviennent le seul horizon, je n’avais pas envie d’en rajouter. C’est comme ça que, de film noir, Les Tourmentés est devenu un film d’apprentissage.
À la sortie de votre livre, vous disiez avoir voulu écrire un roman noir qui soit lumineux. Le film possède-t-il la même tonalité ?
Je l’espère. J’aime bien cette image de « noir lumineux », d’un noir à la Pierre Soulages, qui renvoie la lumière, qui la révèle. J’ai l’impression que ça a toujours été la fonction de la littérature et du cinéma « noir », révéler quelque chose du monde, de l’époque, alors pourquoi pas la possibilité d’une vie avant la mort ? D’un bonheur possible, malgré tout.
Pensiez-vous déjà à une adaptation en écrivant votre livre ?
Non, au contraire. J’écrivais un livre pour ne pas écrire un scénario, pour changer de type d’écriture, varier les plaisirs en quelque sorte. Depuis trente-cinq ans, j’écris des scénarios ce qui est une écriture très particulière, très technique, très contrainte, surtout. Quand on écrit un scénario on pense déjà au film, aux acteurs, aux décors, au coût, à la durée, etc. Je voulais retrouver le plaisir d’une écriture libre de toute contrainte.
Dans un roman, on peut commencer par raconter la bataille de Waterloo en plans larges pour une séquence d’une minute ! Au cinéma, on ne peut pas se le permettre. Moi en tout cas, je ne peux pas. Dans un roman, on peut faire le tour du monde, traverser les époques ou écrire deux cents pages de pure introspection, tout est possible. La liberté est absolue. J’avais envie de ça. Ce n’est qu’une fois le livre écrit que je me suis dit qu’il y avait de quoi faire un film et que ça m’amuserait de l’écrire et le réaliser.
L’adaptation de votre propre livre a-t-elle été difficile ?
C’est la plus dure de toutes les adaptations que j’ai faites. Sans doute parce que je ne savais pas, d’entrée, à quoi je devais renoncer. Quand on adapte le livre d’un autre auteur, on va directement à ce qui nous a touché, ce qui paraît le plus important, mais là, tout me semblait d’une égale importance, c’était donc impossible de renoncer à quoi que ce soit, chaque coupe était un deuil, une perte.
Il y avait le problème de la forme aussi, puisque le livre était construit sur une suite de monologues intérieurs. Chaque personnage se racontait, racontait les autres et racontait l’histoire, ce qu’il en voyait, ce qu’il en savait. Le tout donnait un effet un peu tridimensionnel, un effet de profondeur, aussi. Il a fallu raconter autrement.
Quelles intentions aviez-vous en termes de mise en scène pour les Tourmentés ?
En ce qui me concerne, c’est toujours un peu la même histoire, la même angoisse : la peur que le lecteur du scénario, puis le spectateur, s’ennuie. Donc pendant toute la fabrication d’un film, de l’écriture au montage, j’essaie de raconter les choses précisément et de trouver le bon rythme, la tension qui fera qu’on a envie de continuer la lecture ou de s’intéresser au film, aux personnages, à l’histoire…
Par quoi vos personnages sont-ils tourmentés ?
Leurs tourments viennent qu’ils n’ont pas été aimés, qu’ils ont connu ce qu’il y a de plus noir dans la vie avant d’en connaître la beauté. Ils n’ont pas eu la chance de connaître l’innocence, la naïveté, la légèreté de l’enfance. Les Tourmentés, c’est un film initiatique à l’envers. Plutôt que des enfants confrontés à une réalité plus dure que ce qu’ils croyaient, c’est l’histoire d’adultes désespérés qui vont découvrir à travers un pacte un peu diabolique, que la vie mérite toujours d’être vécue.
C’est l’histoire d’une épiphanie, en fait. Leur découverte que la vie n’est pas faite que de souffrances et de violence et que la mort n’est pas la seule expérience à même de révéler aux hommes leur vraie nature. C’est le récit de leur voyage à la découverte de qui ils sont, en dépit de ce que l’on a fait d’eux, de ce qu’on leur a fait croire, de ce qu’on leur a fait.
Skender (Niels Schneider), cet ancien légionnaire qui devient gibier, pense que la vie et la mort, c’est la même chose. Max (Ramzy Bedia) semble s’interdire tout sentiment. Madame (Linh-Dan Pham) n’a plus ni affect ni scrupule.
Ils sont, littéralement, marginaux, dans un monde qui n’appartient qu’à eux. D’abord chacun dans le sien, puis dans une espèce de bulle dans laquelle ils s’enferment tous les trois. C’est « leur » monde, avec ses règles, son temps. De ce point de vue, le film raconte comment ils vont s’échapper de ce monde parallèle, s’en libérer, se libérer de leur folie, de leurs tourments et revenir dans le monde « normal », équivoque, où tout n’est pas ténèbres et souffrances. Même s’il y en a aussi.
Aviez-vous déjà des acteurs en tête à l’écriture du scénario ?
Avec l’expérience, j’ai appris à ne plus trop penser aux acteurs pendant l’écriture. Si j’y pense trop tôt, le personnage s’incarne de façon très prégnante et si l’acteur espéré refuse, ça peut être extrêmement difficile de changer l’image qu’on s’est faite du personnage.
Crédit photos : © David Koskas – Bizibi
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