Dans Marche ou crève, adapté du roman de Stephen King, le réalisateur Francis Lawrence transforme une histoire essentiellement dialoguée en une œuvre véritablement cinématographique. À mesure que les garçons avancent dans cette compétition de marche où il ne peut rester qu’un seul participant, s’accrochant aux dernières étincelles d’espoir et à la compagnie des autres, le voyage — et non la destination — devient l’essentiel. Voici une plongée dans la fabrication de Marche ou crève, film à la fois terrifiant et profondément humain, qui sort en salles ce 1er octobre.
L’histoire
Chaque année, une compétition captive une Amérique d’après-guerre dirigée par des despotes militaires et où l’argent se fait rare. Cinquante garçons, un pour chaque État américain, sont choisis par tirage au sort parmi des volontaires. Ils participent à un marche. S’ils ralentissent en dessous de 5 km/h ou s’ils s’arrêtent pour quelque raison que ce soit, ils reçoivent un avertissement. Au troisième avertissement, ils sont exécutés. Le dernier à rester en vie remporte une fortune et peut réaliser n’importe quel vœu.
La seule exigence de Stephen King
Stephen King a commencé à écrire Marche ou crève en 1967, en pleine guerre du Vietnam. Il était alors un étudiant de 18 ans en première année d’université. Son texte a été publié en 1979 sous son pseudonyme Richard Bachman, cinq ans après le succès immédiat de Carrie, son premier roman d’horreur.
À l’instar de Stand By Me, Les Évadés ou Misery, Marche ou crève est éloigné du registre habituel de l’horreur de l’auteur. En effet, son roman s’apparente plus à un thriller psychologique et à une exploration de la nature humaine dans ce qu’elle a de pire et de meilleur. La seule exigence de Stephen King pour l’adaptation cinématographique de son livre était que le film soit aussi brutal et honnête que son récit. Le long métrage est ainsi classé R (interdit aux moins de 17 ans non accompagnés aux États-Unis, interdit au moins de 16 ans en France).
La cohésion des acteurs
Marche ou crève aborde un thème cher à Stephen King : le pouvoir de l’amitié pour éclairer les ténèbres. C’est pourquoi le long métrage est entièrement centré sur les marcheurs, leurs relations et leur parcours émotionnel. « Ce qui m’a le plus marqué, au-delà du concept fort de Marche ou crève, c’est la complicité qui naît entre les marcheurs, avoue le réalisateur Francis Lawrence. Même s’ils sont en compétition, ils ne peuvent s’empêcher de créer des liens. Ils deviennent amis, sincèrement. »
Francis Lawrence a minutieusement sélectionné un ensemble de jeunes acteurs débordant d’énergie et d’endurance, mais aussi dotés de la volonté d’explorer en profondeur la dimension humaine de leurs rôles. Très tôt, une lecture collective a réuni tout le casting et donné le ton. Comme les marcheurs du concours, ils ont commencé la journée en étrangers méfiants et nerveux. Puis ils sont devenus des camarades soudés.
« Quand on met une douzaine de jeunes hommes d’une vingtaine d’années ensemble, ils vont forcément plaisanter, se taquiner, se défier, et tout cela s’est produit, raconte le producteur Cameron MacConomy. Francis a su s’en servir pour rendre les relations dans le film encore plus authentiques. Pendant la lecture, nous avons repéré différentes dynamiques entre les acteurs et nous nous sommes dit : “Et si on exploitait ceci ou cela entre ces deux-là ?” Cela a ajouté de nouvelles couches au récit avant même le début du tournage. »
« Tout au long du tournage, l’ambiance sur le plateau reflétait celle de l’histoire, poursuit Cameron MacConomy. Nous avons tourné intégralement dans l’ordre chronologique. Cela signifie que nous avons débuté avec 50 gars dans une atmosphère joyeuse et pleine d’énergie. Tous ont fait connaissance. Puis, très vite, ils ont dû commencer à se dire au revoir. »
La liberté de créer son personnage
Pour son casting, Francis Lawrence recherchait des interprètes ayant le courage de leurs convictions, prêts à suivre leurs instincts. Il a demandé à chaque acteur de développer une vision personnelle de son personnage. Cela concernait ses croyances, ses failles, sa manière de s’habiller, de parler, de marcher, de rêver et de chercher à survivre.
Pour connecter encore plus profondément les comédiens à la trame intérieure de leur personnage, Francis Lawrence a voulu que chacun choisisse un objet pour le voyage. Le genre chargé de souvenir, de sens et de réconfort qu’on garde près de soi. « Quand tu remplis ton sac avec toutes les choses que toi tu choisirais d’avoir avec toi, cela finit par influencer tout ce que tu ressens à propos de ton personnage », reconnaît David Jonsson, alias Peter McVries. « Tout avait une authenticité, une rugosité honnête, renchérit Cooper Hoffman, qui incarne Ray Garraty, à propos des objets proposés aux acteurs. Et cela rendait tout ce qu’on ressentait d’autant plus réel. » Les objets vont d’une balle de baseball à un crucifix en passant par un appareil photo ou encore une baguette de batterie.
La costumière Heather Neale a également collaboré étroitement avec les acteurs. Chacun pouvait déterminer comment son personnage exprimerait son identité à travers ses vêtements. « J’installais des portants entiers de vêtements,explique Heather Neale. Ils essayaient et trouvaient ce qui leur semblait juste et naturel »
Mark Hamill à contre-emploi
Mark Hamill incarne le Major, le fondateur de la compétition de marche télévisée et redoutable gardien de ses règles. Il plane au-dessus du destin des concurrents, tenant littéralement le pouvoir de vie ou de mort sur eux. « Je n’ai jamais joué quelqu’un comme ça », admet le comédien. « C’est précisément le fait que ce personnage me mette autant mal à l’aise qui m’a attiré en tant qu’acteur. Le matériau me paraissait éprouvant, sombre et totalement en dehors de ma zone de confort. Avec le temps, j’ai compris qu’il est souvent bénéfique d’être poussé hors de cette zone. Et puis, j’ai deux fils dont je savais qu’ils adoreraient cette histoire. »
« Ce qui m’intéressait le plus, c’est que Mark allait à contre-emploi, avance Francis Lawrence. Il y avait des acteurs vers lesquels nous aurions pu nous tourner, qui correspondaient clairement au profil du Major. Toutefois, dans les derniers films Star Wars, il y a chez le Luke Skywalker vieillissant une lassitude que je voulais retrouver chez le Major. Et Mark a su invoquer cela avec une force incroyable. »
« Ce qui comptait le plus pour moi, c’était de rendre le Major aussi proche que possible de celui du roman, reprend Mark Hamill. Heureusement, je ne suis pas un acteur de la méthode. Si je l’étais, tout le monde m’aurait détesté à la fin. »
Un tournage en mouvement perpétuel
Porté par une urgence constante et une immersion totale dans cette marche entre la vie et la mort, le réalisateur Francis Lawrence a imaginé un film en mouvement perpétuel, unique en son genre. Avec une exigence absolue de réalisme, il a décidé de tourner le film dans un ordre strictement linéaire. Ainsi, les acteurs évoluent en même temps que leurs personnages, permettant au public de les voir changer sous ses yeux. Leur corps s’épuise à force de parcourir des dizaines de kilomètres par jour. Leurs pensées se désagrègent. Cependant, leur esprit se renforce.
Le réalisateur a ainsi filmé les acteurs parcourant réellement les kilomètres en temps réel. Le tournage a été mené sur le vif. Il demandait de nouvelles stratégies de prise de vue et de conception pour reproduire le flot ininterrompu des cinq jours épuisants.
La seule façon pour que cela fonctionne était de tourner dans l’ordre chronologique, chaque journée d’expérience nourrissant la suivante. « Cela a mis le casting et l’équipe dans l’état d’esprit des marcheurs, déclare Francis Lawrence. Nous devenions tous plus sales, plus fatigués et plus proches les uns des autres, à l’image des personnages. Nous abordions chaque scène avec un état d’esprit différent car nous venions tout juste de vivre celle d’avant. »
La production a minutieusement tracé un parcours d’environ 1,2 kilomètre pour chaque prise. Cela a nécessité la mise en place de chariots électriques pour les caméras spécialement conçus, de « villages vidéo » mobiles et de fourgons de suivi. Des navettes transportaient les départements coiffure, maquillage et costumes, prêts à intervenir à chaque nouveau tronçon de route. « C’était une énorme caravane de véhicules qui partait à chaque prise, décrit Francis Lawrence. Cela a fini par devenir une manière très spécifique et soigneusement orchestrée de faire du cinéma. »
Les conducteurs des chariots électriques et les perchmen à pied étaient aussi essentiels que les cadreurs et opérateurs de grue, car ils devaient ajuster leur vitesse à celle des marcheurs. Certains ont fini par parcourir de plus grandes distances que les acteurs eux-mêmes, faisant des allers-retours entre plusieurs prises. Le premier assistant réalisateur, Sinan Saber, aurait établi le record de la production avec environ 24 kilomètres par jour. Le réalisateur marchait également souvent entre les acteurs et l’équipe technique.
Tous ont affronté des obstacles similaires : chaleur, humidité, insectes, ampoules et fatigue. « Nous avons vraiment compris à quel point ce serait difficile dès le premier jour, rapporte Garrett Wareing, qui incarne Stebbings. Nous avons marché 14 ou 15 kilomètres, sous plus de 38 degrés. Je me souviens que Ben Wang [qui interprète Hank Olson] m’a lancé en plaisantant : “Mais dans quoi vient-on de s’embarquer ?” »
Des kilomètres d’espaces ouverts comme décors
Les garçons traversent une Amérique à la fois rude, appauvrie mais magnifique. Les paysages se succèdent sans cesse : forêts luxuriantes, lacs azurés, champs pastoraux, ponts en acier, villes abandonnées, restaurants déserts, cimetières sinistres, cités peuplées de survivants impassibles… Un panorama d’un rêve américain délavé mais encore debout.
Francis Lawrence et son équipe ont tout recrée au Manitoba (Canada), où le tournage a eu lieu à l’été 2024. Winnipeg et plusieurs petites villes ont fourni les avant-postes ruraux, les longues étendues boisées et les cités industrielles traversées par les personnages.
« J’ai été ébloui par l’ambition de Francis de faire de ce film une œuvre intime au cœur d’environnements vastes et changeants, affirme le chef décorateur Nicholas Lepage. Il n’a jamais perdu cette idée de vue, pas une seule seconde. L’expérience des garçons a toujours été notre centre d’attention. »
Ce qui impliquait un difficile équilibre entre éviter un design trop flagrant et gérer une logistique complexe permettant d’enrichir les décors au fil de la marche. « La marche peut être assez monotone à l’écran, à moins d’y injecter sans cesse de la variété pour briser cette monotonie, reprend le chef décorateur. C’était la clé. Mais c’était aussi un défi très différent de celui qui consiste à décorer une seule pièce. Là, nous devions décorer des kilomètres et des kilomètres d’espaces ouverts. Nous étions toujours à la recherche de moyens subtils afin de rendre les paysages plus captivants. »
Travailler sur un terrain neuf à chaque prise les a poussés à la limite de leur créativité. « Nous arrivions généralement très tôt sur le lieu de tournage suivant et n’avions que quelques heures pour tout planifier, continue-t-il. Je suis très fier de la façon dont notre équipe a relevé ce défi. Chaque jour apportait son lot de difficultés inattendues mais aussi de sublimes instants. »
Un design sonore vital
Le son est aussi vital que l’image pour créer la tension et l’intensité enveloppantes de Marche ou crève. Le designer de sons Jeremy Peirson (Je suis une légende, Hunger Games : L’Embrasement) s’est appuyé à la fois sur les sons de la vie naturelle et sur ceux de la vie militaire — chants d’oiseaux, grondements de chars —, plongeant encore davantage le spectateur dans l’anxiété croissante.
« À un moment, tu entends les oiseaux chanter et les insectes bourdonner, évoquant l’été passé avec tes amis. Et l’instant d’après, tu as des sons plus sombres, inquiétants, menaçants, ajoute Francis Lawrence. Jeremy est vraiment doué pour manipuler l’ambiance avec subtilité. Puis il a ajouté toutes ces sonorités militaires plus rudes : les grésillements constants des radios, les chars, les coups de feu. »
Une musique obsédante et rythmée
La bande originale de Marche ou crève marque les débuts au cinéma du compositeur Jeremiah Fraites, le cofondateur du groupe folk-rock The Lumineers. Francis Lawrence avait fait sa connaissance lorsque le trio avait écrit les chansons Gale Song pour The Hunger Games : L’Embrasement et The Hanging Tree pour The Hunger Games : La Révolte – Partie 1.
Jeremiah Fraites a écrit la musique au fur et à mesure du tournage. Il souhaitait « capturer ce sentiment brut, brisé, d’humanité qu’il y a dans cette histoire. » Sur le plateau, le réalisateur écoutait souvent ses compositions dans une oreillette et les dialogues des acteurs de l’autre, afin de déterminer quelles pièces le touchaient le plus. « C’était une excellente façon de trouver les thèmes qui fonctionnaient », révèle Francis Lawrence.
Réalisateur et compositeur souhaitaient que la musique mette en avant les amitiés naissantes plutôt que les ténèbres.« Ce sont de très belles relations qui leur donnent une raison de continuer à marcher, déclare Jeremiah Fraites. C’est ce que j’ai essayé de refléter. J’avais l’impression de peindre leurs relations avec des sons et des instruments. Et en même temps, je voulais écrire une musique qui puisse exister seule, qui vous touche même si vous n’avez jamais vu le film. »
Crédit photos : © Lionsgate