Au rythme de Vera raconte l’histoire de Vera Brandes, une figure essentielle de la scène musicale des années 1975. Dès 16 ans, elle monte des tournées pour des jazzmen, défiant les conventions, s’opposant à ses parents et prenant tous les risques pour réaliser son rêve. En 1975, à 18 ans, elle organise un concert de la légende du jazz Keith Jarrett à l’Opéra de Cologne. Cela donnera naissance à l’un des enregistrements musicaux les plus mythiques du XXe siècle : The Köln Concert. Au rythme de Vera, c’est un personnage féminin incroyable, une histoire passionnante, du jazz et des acteurs épatants. Comment ne pas aimer ? Le film sort en salles ce 25 juin.

Mala Emde incarne Vera Brandes dans Au rythme de Vera

Mala Emde

1 – La genèse

En découvrant l’histoire de Vera Brandes et celle du concert de Cologne dans un article de magazine, le réalisateur newyorkais Ido Fluk y voit « l’occasion de raconter la musique autrement. Je ne voulais pas faire un film sur le jazz. Je voulais faire un film qui incarne le jazz ». Il veut ainsi raconter l’histoire du Köln Concert à travers Vera Brandes et non à travers Keith Jarrett. « La plupart des films musicaux se concentrent sur les artistes, prévient le réalisateur. Mais à mes yeux, les histoires les plus palpitantes sont souvent celles des gens de l’ombre. Au rythme de Vera est un film sur une productrice. Sur celle qui, dans l’ombre, pilote et gère les crises. Car si elle ne le fait pas, la magie n’opère pas. C’est précisément ce qui m’a attiré. Je voulais raconter l’histoire de cette femme, et à travers elle, parler de la création artistique, de ce qu’elle signifie. »

Ido Fluk contacte donc son mentor et partenaire de production Oren Moverman. Ce dernier lui présente Sol Bondy et Fred Burle, de la maison de production berlinoise One Two Films. Le projet est lancé.

2 – « Enfin ! »

Mala Emde

C’est le cri de Vera Brandes quand le producteur Sol Bondy lui présente le projet du film dont elle est le personnage principal : « Enfin ! Mais où étiez-vous pendant tout ce temps ? »

« J’ai tout de suite ressenti l’intensité de ce moment pour elle, se souvient Sol Bondy. Elle s’est immédiatement livrée et ne s’est finalement jamais arrêtée depuis. Elle est devenue notre pilier, notre alliée indéfectible. » Très vite, Vera Brandes entre en contact avec le réalisateur Ido Fluk. « Elle attendait depuis des années que quelqu’un raconte son histoire, explique-t-il. Dès nos premiers échanges, il est vite devenu évident que son parcours ferait un film formidable. Je tenais à lui rendre justice, à mettre en lumière son rôle crucial dans ce concert historique. C’est quelque chose d’important à mes yeux. Lorsqu’on évoque le concert du 24 janvier 1975 à l’Opéra de Cologne, Vera est trop souvent oubliée. On a l’impression qu’elle a été effacée de l’histoire. Nous avons donc fait de cette injustice notre point de départ : corriger l’histoire. Car sans Vera Brandes, ce concert n’aurait jamais vu le jour. »

Ido Fluk et Vera Brandes échangent par Skype pendant huit heures, au cours desquelles elle dévoile chaque détail de ce qui se passait au début des années 1970. Ces entretiens servent de base pour le scénario. « C’est son histoire, sa vision — sans équivoque », conclut Fred Burle. D’où ce carton au début du film : « KÖLN 75 – raconté par Vera Brandes en personne. »

3 – Un refus poli mais catégorique

John Magaro et Mala Emde

Contactée par les producteurs, l’équipe de Keith Jarrett a refusé qu’il soit associé au film. « La réponse ne s’est pas fait attendre, rapporte Sol Bondy. Polie, mais catégorique : ‘Désolé, mais non, ça ne se fera pas’. »

« J’avais entendu plusieurs anecdotes sur Keith Jarrett, continue Ido Fluk. Et même dans le film, on sent bien qu’il n’est pas la personne la plus facile à vivre. Keith n’aime pas ce concert. Et pour ce que ça vaut, je suis plutôt de son avis. Mais je pense, et c’est là où nos avis divergent, qu’il y a une raison pour laquelle ce concert-là, précisément, a transcendé la culture populaire. »

ECM Records, éditeur et détenteur des droits de l’enregistrement, a également répondu par la négative. Ido Fluk a donc créé un film sur le concert de Cologne sans pouvoir en utiliser la musique.

« Curieusement, cela ne nous a pas découragés, reprend Sol Bondy. Au contraire, cela nous a même confortés dans notre choix de mettre Vera Brandes au cœur du film. Keith Jarrett est une figure majeure, mais la véritable héroïne, c’est Vera — ce qu’elle a vécu au début des années 1970, jusqu’à l’apogée que représente The Köln Concert. C’est elle, dès le départ, qui nous a donné envie de faire ce film. »

4 – Le casting essentiel de Vera

Mala Emde

Trouver l’actrice qui incarnera Vera Brandes est crucial. « Il nous fallait une jeune femme intrépide, capable de porter le film, précise Ido Fluk. Je connaissais mal la jeune scène allemande, alors je me suis mis à regarder tout ce que Sol et Fred me recommandaient. Nous avons étudié d’innombrables candidatures. Mais pour être honnête, j’ai très vite senti que c’était la bonne. Elle dégage une énergie extraordinaire, une intensité qui irradie. Quand elle entre dans une pièce, on le sent immédiatement, l’atmosphère change. On ressent instantanément qu’on est en présence d’une star, d’une lionne. Je ne lui ai pas donné le rôle : elle l’a pris. »

« Pendant le casting, je n’arrêtais pas de dire : ’Je ne cherche pas une actrice, je cherche une partenaire.’ Quelqu’un qui fasse ce film avec moi, et non pour moi. Nous avons longuement échangé, et Mala était cette partenaire idéale. Elle voyait le même film que moi. Notre collaboration a été superbe. Nous avons travaillé ensemble sur les scènes, sur le scénario, et elle a toujours été présente. Je lui ai dit : ‘Ce n’est pas mon film, c’est le tien. Tu es Vera. C’est toi qui tiens les rênes’. »

5 – Recréer le décor de 1975

Mala Emde

Le plus difficile est de dénicher le lieu de tournage pouvant représenter l’opéra de Cologne, où se déroulent des scènes majeures. Le véritable opéra de Cologne est indisponible car l’édifice est en travaux depuis des années. La plupart des opéras historiques étant des bâtiments classés, les scènes n’ont guère changé en cinquante ans. Ce n’est donc pas la scène elle-même qui s’avère impossible à trouver, mais les coulisses. « Chaque porte, chaque fenêtre, chaque câble… rien ne ressemblait aux années 1970, se rappelle Sol Bondy. Et pour Ido, il était impératif de pouvoir faire évoluer la caméra sans contrainte dans tout l’espace de l’opéra : des coulisses à la scène, et vice versa. L’unité de temps et de lieu était pensée pour accentuer la tension à mesure que le concert approche. »

L’équipe multiplie les repérages et explore toutes les options, jusqu’à celle de construire un décor aux studios allemands de Babelsberg. Sans succès. La production étend alors ses recherches à l’étranger et choisit un théâtre historique à Łódź, en Pologne. « Nous avions convenu de pouvoir répéter deux semaines sur place, puis d’enchaîner avec deux semaines de tournage, confie Sol Burle. Malheureusement, rien ne s’est passé comme prévu. La situation faisait étrangement écho à l’histoire du film : nous avons dû improviser en permanence. » Chaque jour, il fallait réévaluer les possibilités : tourner sur la scène, dans les escaliers ou dans les coulisses. « C’était un casse-tête permanent. Chaque jour, nous devions établir un nouveau plan de tournage. C’était éprouvant, mais aussi profondément inspirant. Ces contraintes ont forgé entre nous une véritable cohésion d’équipe. »

6 – Le concert légendaire

John Magaro incarne Keith Jarrett dans Au rythme de Vera

John Magaro

Le 24 janvier 1975, à l’Opéra de Cologne, Keith Jarrett a improvisé un concert de jazz. Il a joué sur un piano à queue, un Bösendorfer quart de queue défectueux au lieu du Bösendorfer Imperial 290 qu’il exigeait habituellement. Les défauts de l’instrument ont obligé le musicien à repenser entièrement son improvisation.

« Keith Jarrett a joué ce soir-là comme aucun autre soir de sa vie, parce qu’il a joué contre le piano, affirme Ido Fluk. Il a dû se limiter au registre medium, car les aigus et les graves étaient défectueux. Au cœur d’Au rythme de Vera se trouve une vérité valable pour toutes les œuvres d’art de l’histoire de l’humanité : ce sont les obstacles, les blocages, les contraintes, qui façonnent l’œuvre. Et l’artiste doit les affronter pour créer quelque chose de bon. »

Les enregistrements de cette soirée ont été édités par ECM Records sous le titre The Köln Concert. Écoulé à plus de quatre millions d’exemplaires, ce double album à la pochette blanche reste l’album de jazz et l’enregistrement de piano solo le plus vendu de l’histoire.

Vous pouvez écouter ce concert ici : 

Crédit photos : © Metropolitan FilmExport