Avec Else, le prometteur Thibault Emin signe son premier long métrage. Dans son intrigue originale, le vivant et le non-vivant fusionnent dans une masse indifférenciée à la suite de la propagation d‘un virus. Commençant avec une première partie romantique, le film se coule rapidement dans le fantastique, quittant le monde de l’enfance vers un univers plus sombre mais où la noirceur recèle de la beauté. Une histoire d’amour intime devient le fil conducteur dans le dépassement de la peur de l’épidémie, de la transformation des être humains et du deuil. Else, aussi captivant que déroutant, sort en salles ce 28 mai.
L’histoire
Une épidémie se répand sur toute la planète : un virus donne vie aux choses qui fusionnent alors avec les être humains. Pour éviter la contamination, hommes, femmes et enfants se cloîtrent chez eux. Comme Anx (Matthieu Sampeur) et Cass (Édith Proust), confinés ensemble dans l’appartement d’Anx alors qu’ils viennent à peine de tomber amoureux.
La genèse
Thibault Emin signe ici son premier long métrage, une version longue d’un court qu’il a réalisé pendant ses études à la Femis. Else n’était pas le premier projet qu’il souhaitait développer après son diplôme, cependant c’est le seul qui a suscité de l’intérêt en festival et chez son producteur de l’époque.
Le jeune réalisateur s’est alors lancé dans l’écriture de son film, d’abord seul puis accompagné d’une scénariste. Sans grand succès. Quand un nouveau producteur entre en scène, Thibault retourne seul à l’écriture, ce qui lui demande des années avant de livrer un vrai premier scénario. Son film entre alors en production en 2019, grâce à l’aide au film de genre du Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC). Le tournage, envisagé en 2020, est reporté à cause de la Covid mais aussi de l’absence de chaîne de télévision au financement. Puis, un nouveau producteur, Damien Lagogué, arrive ainsi qu’une nouvelle scénariste, Alice Butaud, une chaîne de télé, OCS, et un coproducteur belge, Benoît Roland. Else est, enfin, sur la bonne voie.
Le titre
Else était le titre d’un autre projet de Thibault Emin. Pour le réalisateur, la philosophie de son long métrage est contenu dans ce mot, “else”, qui signifie “autre” en français, dans le sens d’”alien”. Alien est le titre préféré de Thibault dans toute l’histoire du cinéma, « un terme qui veut dire énormément de choses, qui est passé dans le langage courant et qui est magnifique ». Cependant, il incarne la figure de l’autre négatif, une menace pure qu’il faut absolument annihiler, sans chercher à comprendre. Ce dont le réalisateur entend se démarquer dans son long métrage.
Ancien étudiant en philosophie, Thibault Emin a souvent exploré la portée philosophique des films de science-fiction et notamment le thème de l’autre, de l’altérité, généralement évoqué de manière très négative, à de rares exceptions près. Néanmoins, son Else « n’est ni positif ni négatif, il est au-delà du bon et du mauvais ». Thibault tente de prendre le contre-pied de toutes ces œuvres, « de s’ouvrir à l’altérité, de dépasser l’individualité, comme dans une relation amoureuse ».
Dans le film, le titre est expliqué dans un poème, écrit bien après le montage et nécessaire pour convaincre ceux de la production qui ne l’aimaient pas…
La fusion
Thibault Emin confie que cette idée de fusion entre les objets et les humains vient de visions qu’il a eues. « Ce motif inconscient, devenu une obsession, représente le lien qui unit le fœtus et sa mère, à ce que vit un bébé dans le ventre de sa maman, à son premier rapport à sa génitrice et au monde. » Le réalisateur a perdu sa mère et a continué à vivre là où il a grandi. Son rapport avec sa maman et son lieu de vie constitue la matrice qui a donné naissance à l’imaginaire d’Else. Il l’a ensuite nourri avec les films qu’il a regardés à cette période (dont les œuvres de David Cronenberg, Tetsuo de Shin’ya Tsukamoto ou encore Les Lutteurs immobiles d’André Farwagi).
Le casting
Le casting s’est achevé dès 2019. Thibault Emin a découvert Matthieu Sampeur dans un court métrage. Diplômé du Conservatoire national supérieur d’art dramatique (CNSAD) en 2009, l’acteur navigue entre le théâtre, les courts métrages et les films. Au cinéma, il est notamment apparu dans L’Amour flou (2018) et Antoinette dans les Cévennes (2020). Il a reçu le Prix du meilleur acteur au ScreamFest Horror Film Festival de Los Angeles 2024 pour son interprétation dans Else.
Édith Proust a séduit Thibault Emin grâce à son clown de théâtre baptisé Georges. Diplômée du Conservatoire national supérieur d’art dramatique en 2013, l’actrice a multiplié ses apparitions dans des pièces de théâtre et a écrit des seule-en-scène centrés sur son clown (Le Projet Georges, Romance et Jouissance G.). Elle a également joué dans des courts métrages (Prix d’interprétation féminine au Festival Maffliers sur Court 2017 pour La Méthode Greenberry) et des films (dont Simon Werner a disparu… en 2009 et Mademoiselle de Joncquières en 2017).
Les deux comédiens, dont l’alchimie est belle à voir, s’avèrent une réelle révélation dans le film. Leur jeu intimiste, naturaliste et réaliste au sein de ce film de genre constitue l’ADN d’Else.
Un peu d’autobiographie
Pour créer ses personnages Anx et Cass et développer leur relation, Thibault Emin s’est inspiré de lui-même, de son deuil de sa mère et de sa première histoire d’amour. Au point de qualifier Else d’auto-thérapeutique. Ainsi, Anx est sombre, introverti, marqué par le deuil de sa maman et vivant dans l’appartement où il a grandi. Cass est tout son contraire : pleine de joie et tout en légèreté. Elle fait revenir Anx à la vie.
Les effets visuels
Si Thibault Emin devait fusionner avec un objet, il avoue que ce serait avec son lit. Cela arrive à l’un de ses protagonistes qui se chosifie avec un drap. Le réalisateur confie que, faute de moyens financiers, les maquilleuses Florence Thonet et Anne Van Nyen ont dû faire preuve d’une inventivité extraordinaire. Les deux artistes ont pris le temps de tester des choses, surtout pour la fameuse peau-drap, étonnante, magnifique et extrêmement flippante.
Thibault Emin a pensé certains effets comme entièrement numériques et conçu d’autres en mélangeant des matières sur le plateau et des effets numériques en postproduction. Pour compliquer la situation, il travaille sans storyboard, « préférant utiliser des références, des concept arts et un découpage souple afin de partager [ses] idées. Sur le tournage, être face au réel et non devant une feuille de papier, [lui] permet aussi d’adapter l’angle de sa caméra ».
De la couleur au noir et blanc
Depuis le début, Thibault Emin souhaitait passer progressivement de la couleur au noir et blanc dans Else. Anx, tel un adulte-enfant, vit dans un environnement rétro, un monde de jouets, toujours très coloré. Ces couleurs très vives et ces matières très plastiques correspondent à la propre enfance de Thibault Emin, dans les années 1980.
Puis, la couleur se désature à mesure que la maladie progresse. Le réalisateur avait l’idée d’atteindre différents paliers chromatiques mais a préféré casser la couleur, et le réalisme, en adoptant une couleur complètement dominante à la faveur de différents éléments narratifs (comme les coupures de courant puis l’éclairage sommaire, etc.).
Atteindre le noir et blanc après que la fusion soit devenue irrémédiable, ressemble pour Thibault Emin à ce qu’on ressent avec le deuil permanent d’une personne irremplaçable. « Le monde perd quelque chose d’essentiel et devient austère et dur. Et dans le même temps, cette âpreté recèle, si on l’accepte, une forme de beauté profonde, nouvelle, qui n’existait pas dans le monde en couleurs. »
« Puis, le noir et blanc évolue à son tour, de plus en plus contrasté, accroissant la confusion entre les matières. Le grain augmente aussi, ce qui donne à l’image une dimension vivante et sensuelle. »
Crédit photos : © UFO Distribution
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