Fantôme utile raconte l’histoire d’amour entre un homme et un aspirateur abritant l’esprit de sa femme décédée. Ce qui aurait pu n’être qu’une comédie d’horreur inventive et loufoque se transforme assez vite en une réflexion sérieuse et complexe sur le deuil, la dégradation de l’environnement ou encore le passé politique turbulent de la Thaïlande. Fantôme utile, premier long métrage de l’auteur-réalisateur thaïlandais Ratchapoom Boonbunchachoke, sort en salles ce 27 août.

Witsarut Himmarat et son aspirateur hanté

L’histoire

Nat (Davika Hoorne), décédée à cause de la pollution par la poussière, se réincarne dans un aspirateur. Sa mission : protéger March (Witsarut Himmarat), son mari inconsolable, pour qu’il ne meurt pas du même mal. Son époux est alors fou de joie de retrouver son amour. Contrairement à sa belle-famille. Cette dernière, qui ne l’aimait déjà pas de son vivant, s’avère indignée que la jeune femme existe encore. Et à peine surprise qu’elle soit désormais un appareil ménager. Pour gagner les faveurs de ce clan d’oppresseurs, Nat leur propose d’exorciser l’usine d’électroménager familiale menée à la ruine par un fantôme. Ce ne sera pas la seule âme errante qu’elle devra chasser.

Que représente la poussière dans Fantôme utile ?

Davika Hoorne et Witsarut Himmarat

« Au cours de la dernière décennie, il y a eu une importante prise de conscience concernant la pollution par la poussière en Thaïlande, explique le scénariste et réalisateur Ratchapoom Boonbunchachoke. Il semble que cette pollution soit principalement causée par les grandes industries du pays. Cependant, au-delà de la poussière au sens littéral – de mini particules qui flottent dans l’air – le mot « poussière » a pris un sens plus profond dans l’argot contemporain thaïlandais. Il désigne les êtres humains traités comme des moins que rien, les personnes à qui il manque une voix ou du pouvoir pour décider de leur propre vie – et qui sont aisément balayées, déplacées et effacées selon la volonté de la classe dirigeante. 

« J’ai aussi le sentiment que les fantômes sont similaires à la poussière, continue le cinéaste thaïlandais. Ce sont des choses dont vous ne voulez pas chez vous. Ce sont des personnes décédées, qui reviennent dans le monde des vivants. Ils ne respectent pas les règles du temps. Techniquement, ils ont disparu, mais ils résistent en restant anachroniquement dans le monde. L’aspirateur hanté est donc pour moi une figure ironique dans cette équation. »

Qui est Mae Nak dont la légende a inspiré Ratchapoom Boonbunchachoke ?

Davika Hoorne

La légende de Mae Nak est une histoire d’amour entre une femme fantôme et son mari vivant. D’une importance culturelle considérable en Thaïlande, cette histoire a été adaptée à de nombreuses reprises au théâtre, au cinéma et à la télévision.

Dans la deuxième moitié du XIXe siècle, sous le règne de Rama IV, Mae Nak vit dans le quartier de Phra Khanong, à Bangkok, avec son mari Mak. Alors qu’une guerre éclate, Mak part au combat tandis que Nak et son bébé décèdent suite à l’accouchement. L’amour de Nak étant plus fort que la mort, son esprit et celui de son nourrisson résistent et hantent la maison familiale. À son retour du front, Mak retrouve ainsi femme et nourrisson comme s’ils étaient toujours en vie. Il ne s’aperçoit pas ou ignore les signes apparents et les mises en garde de ses voisins. Une variante de la légende raconte que les habitants du quartier qui veulent prévenir Mak meurent étrangement avant d’y parvenir. 

Mak réalise que sa femme est un fantôme quand, au cours d’un repas, elle allonge démesurément son bras pour saisir un objet ou que son bras traverse un mur pour attraper un citron, selon les versions. Faisant le lien avec les derniers événements survenus dans le quartier, il s’enfuit et se réfugie dans le Wat Mahabut, un temple sacré où les esprits ne peuvent entrer. Nak, qui souhaite par-dessus tout être avec son mari, terrorise les habitants du quartier afin de les obliger à faire sortir son époux. 

Selon les sources, Phra Somdej Toh, le moine du monastère Wat Rakhang, ou un exorciste capture alors Nak et l’enferme dans une jarre qu’il jette dans le canal de Phra Kanong ou l’enterre près du temple.

Aujourd’hui, le Wat Mahabut abrite le sanctuaire de Mae Nak, un lieu de recueillement où de nombreux Thaïlandais viennent déposer des offrandes et prier pour leur protection contre les mauvais esprits ou que leur couple soit aussi fort que celui de Nak envers Mak.

Comment s’est déroulé le “casting” de l’aspirateur ?

L’aspirateur hanté et sa belle-famille

« Nous avions d’abord envisagé de collaborer avec des artistes pour concevoir l’appareil, raconte Ratchapoom Boonbunchachoke. Puis, Si En, notre coproducteur singapourien, nous a présenté Hao Jie, un designer industriel primé qui a déjà créé de véritables aspirateurs. Au départ, j’étais sceptique à l’idée de travailler avec un designer industriel, pensant qu’il privilégierait la fonctionnalité au détriment de l’esthétique. Mais après lui avoir expliqué ma vision du film, qui mêle pragmatisme et fantaisie, j’ai été vraiment impressionné par les options qu’il m’a proposées. Elles étaient toutes charmantes et uniques. 

« J’ai finalement choisi l’aspirateur que l’on voit dans le film. Sa forme étrange et sa légère inclinaison vers l’avant permettent d’exprimer l’humilité. Cette qualité définit la personnalité de Nat, un fantôme amical qui n’est ni agressif ni effrayant. J’ai également intégré le cercle lumineux d’une autre option. La présence du cercle lumineux est davantage motivée par des raisons pratiques que par une signification particulière. La lumière brillante est utilisée pour donner un signe de vie à la machine. Même lorsque la machine est immobile, la lumière continue de circuler, ce qui nous permet de ressentir sa vitalité. De plus, la couleur de la lumière peut changer tout au long du film en fonction du contexte de la scène. Je trouve que c’est une façon amusante pour la machine d’exprimer ses sentiments. Cela la rend aussi un peu étrange. »

Crédit photos : ©  185 Films Co., LTD.