Joaquin Phoenix estime être le septième acteur le plus prétentieux au monde et entend bien atteindre la première place. Cette autodérision cache pourtant un personnage peu commun et à la sensibilité à fleur de peau. A moins que tout cela ne soit qu’un jeu pour lui.

James Gray, le réalisateur de La nuit nous appartient, dit qu’il a écrit le rôle de Bobby pour vous.

Joaquin Phoenix : Ce n’est pas totalement vrai. Je me demande pourquoi il dit ça parce que, et je ne sais pas s’il est prêt ou non à l’avouer, mais je me souviens d’une conversation avec lui où il me disait quel acteur il envisageait pour le rôle de Bobby alors qu’il me réservait Joseph. Je lui ai répondu que l’autre acteur était très bon mais que j’étais blessé qu’il le veuille lui et pas moi. (Il sourit) Mais à deux mois du tournage, ce rôle est devenu le mien. Avant, James n’aurait pas pu faire ce film avec moi dans le rôle principal. Entre temps, il y a eu le succès de Walk the line.

Il y a pourtant des points communs entre Bobby et vous : vous avez suivi vos frères et sœurs (River, Rain, Liberty, Summer) dans le métier d’acteur, la perte d’un proche (River) a changé votre vie…

C’est la chose la plus absurde que j’ai entendue de toute ma vie ! C’est typique d’un journaliste. Je ne comprendrai jamais cet irrésistible besoin de dresser des parallèles entre la vie de l’acteur et la vie d’un personnage. Tout le monde peut s’identifier à un personnage s’il est très bien dessiné et s’il évolue dans un bon scénario. Je ne peux pas nier avoir vécu des expériences similaires à celle de mon personnage mais je peux aussi dire cela de tous les personnages de tous les films que j’ai vus. Je m’identifie même à des personnages féminins ! C’est le rôle des films, non ? Présenter des personnages que tout le monde peut comprendre.

Y a-t-il alors un personnage dont vous vous sentez le plus proche ?

Je ne pense jamais dans ces termes, sauf pour une interview, parce qu’au contraire un acteur essaye toujours de s’oublier lui-même, d’oublier sa putain de vie. Parce que c’est une putain de chose… Excusez-moi mais je suis toujours en train de jurer… Mais c’est une putain de chose de ne pas prendre totalement conscience de soi-même quand vous avez une caméra sous votre nez et une quarantaine de personnes autour de vous qui vous observent. Essayez donc de vous perdre dans l’instant, de prétendre que des types vous courent après avec des flingues quand la maquilleuse vient vous faire un raccord ou qu’un fan vous prend en photo entre deux prises… C’est une putain de gageure de sortir de cette conscience de soi. Quand vous jouez mal, c’est que vous avez pris conscience de vous-même, c’est que vous ne vous êtes pas perdu dans l’instant, pas que vous ne vous identifiez pas au personnage. La dernière chose à laquelle vous voulez penser quand vous jouez, c’est à vous ou à comment vous, personnellement, vous interpréteriez la situation. C’est dangereux d’utiliser vos propres expériences. Ce qui est important pour un acteur, c’est d’observer. J’aime étudier le comportement humain, regarder ce que font les gens et je me sers de tout cela dans mon métier.

Certains personnages que vous interprétez sont très torturés. Vous hantent-ils parfois tout au long d’un tournage ?

Avec Mark Wahlberg

(Il sourit) Cela n’arrive jamais, c’est ridicule. Mais cela nous amuse de voir les journalistes écrire que nous sommes intelligents et qu’un personnage nous a touchés à ce point. Non, à la fin de la journée, je rentre chez moi, je dîne avec ma copine… Tout simplement. Je n’ai pas de putain de fantôme qui me suit. (Il éclate de rire) Mais s’il vous plaît, si, écrivez que je vis avec ce genre de fantôme, comme cela je passerai pour un acteur sérieux, c’est important. J’aime être un acteur sérieux. Dites bien que mon personnage ne me quitte jamais pendant le tournage.

Pourquoi refusez-vous toujours de voir vos films ?

Parce que cela n’a aucune valeur. Je ne vais en retirer aucun plaisir parce que je ne vais pas le regarder comme un spectateur lambda. Chaque scène me rappellera un souvenir et je passerai aussi mon temps à me juger, à me dire : « Là, je suis mauvais » ou « Putain ! Là, je suis bon ! ». Et au prochain rôle, je vais finir par refaire la même chose. Le plus dangereux n’est pas de penser que vous jouez mal, mais de penser que vous êtes bon. Je suis sûr qu’en me voyant, je vais me trouver mauvais, mais il y a toujours ce 1% de chance que je me trouve bon, et là je suis baisé. Tant que ce 1% existe, je ne verrai pas mes films.

Vous n’y croyez pas alors quand quelqu’un vous dit que vous êtes bon ?

C’est une question de standard et je pense que nos standards actuels en cinéma sont tellement bas que c’est dur de ne pas être considéré comme un acteur décent. La plupart des acteurs d’aujourd’hui sont mauvais, moi y compris. Si vous nous comparez aux grands acteurs des générations précédentes, nous ne leur arrivons pas à la cheville. Si je suis bon, c’est juste de la chance et parce que je travaille à un moment où les acteurs sont mauvais.

Article paru dans Ciné Live – N°118 – Décembre 2007

Crédit photos : © Columbia Pictures